Dienekes a écrit: aliochaverkiev a écrit: Concernant la lettre à Herz je relève cette façon d'écrire de Kant : "Si nous décomposons intégralement "sa" représentation [ »sa " désigne l'espace] notre pensée n' y retrouve ni une représentation des choses ..." etc. et cette conclusion "d'où il suit que l'espace n'est rien d'objectif". Si je reste dubitatif sur cette conclusion c'est pour des raisons formelles (et non des raisons de fond). En effet le fait de départ, qu'il décortique, c'est la représentation de l'espace; mais comment peut-on parler de représentation de l'espace pour affirmer quoi que ce soit de l'espace dans la mesure où on ne voit pas du tout ce que peut être une représentation de l'espace; une représentation de l'espace c'est affirmer la réalité d'un espace, dont on ne sait pourtant rien a priori (a priori c'est-à-dire ici avant toute démonstration). Ce type de démonstration me gêne, je ne la trouve pas très mathématique.
Je ne suis pas certain de comprendre votre questionnement ci-dessus. Que nous puissions avoir une représentation de l’espace ne fait pas de doute, nous en faisons l’expérience à chaque instant. Après, l’espace pourrait être : une chose (une substance) ; une propriété des choses ou une relation entre les choses (un accident) ; ou enfin une forme de l’intuition sensible. Kant écarte les deux premières hypothèses pour conclure sur la dernière. Se représenter l’espace n’est alors qu’un moyen pour notre esprit de positionner les phénomènes extérieurs, il n’y a pas de réalité « en soi » de l’espace. Je ne comprends probablement pas ce qui vous pose problème à ce niveau, pouvez-vous préciser ?
Quelque chose en effet me chiffonne dans cette phrase "la représentation de l'espace" surtout en tant qu'elle est posée a priori, c'est-à-dire avant toute analyse. Mais votre questionnement me force à sortir de "l'impression" et à chercher à exprimer ce qui me chiffonne. Du coup j'ai fait une recherche et j'ai trouvé ce passage qui correspond tout à fait à mon questionnement. Il s'agit d'un passage extrait du livre de Jacques Rivelaygue , Leçons de métaphysique allemande, tome II, à partir de la page 80.
"La forme comme figure du néant.
Kant va décrire la forme, l'espace et le temps, comme des figures du néant, des figures négatives : ens imaginarium, des êtres de l'imagination.
[...]
En quel sens , pour autant, l'espace et le temps peuvent-ils être rangés dans l'une des significations du néant? En ceci qu'ils ne sont pas des
objets, qu'ils sont la forme des objets, mais ne sont pas eux-mêmes des objets.[...]
Le néant dont il est question avec l'espace et le temps, il faudrait le rapprocher...de ce que Kant appelle le nihil privativum, le néant privatif, qui est l'objet vide d'un concept... Par exemple, la notion d'obscurité est un concept, mais ce concept ne désigne positivement aucun objet, il désigne seulement une absence de lumière. Le nihil privativum c'est donc le concept d'une absence d'objet. Or certes, l'espace et le temps ne sont pas des concepts, mais des intuitions; toutefois ils sont l'intuition d'une absence d'objet, donc par analogie ils correspondent à l'ens imaginarium.
Espace et temps sont ici rangés, par conséquent, du côté de la négativité. Pourtant, dans l'Esthétique transcendantale ils sont définis comme positions : "il faut que la représentation de l'espace soit posée déjà comme fondement" [
aparté : c'est ça qui me gêne]. Or, il faut se souvenir que pour Kant, position signifie existence . [...]
Si nous rapprochons les deux faits :
- L'espace et le temps sont des intuitions d'une absence d'objet
- Ils sont d'autre part une position
Nous obtenons cette définition ambiguë qu'ils sont la position dune absence d'objet.
L'espace et le temps sont une position qui ne pose aucun objet : en d'autres termes, c'est la position de l'existence sans l'existence d'un quelque chose qui existerait. "
Voici exprimé, mieux que je n'aurai jamais pu le faire, ce qu'exactement je ressens : cette ambiguïté.
Mais je découvre du coup cette suite, dans le même livre, en page 82 :
"Il s'agit d'une [équivoque] qui sera lourde de conséquences pour l'interprétation du kantisme. En effet :
Ou bien l'espace et le temps sont interprétés [...] dans la perspective d'un idéalisme subjectif : puisqu'ils ne sont pas du domaine de l'étant, ils sont subjectifs, et ce sont alors des apparences qui sont rangées parmi le néant comme êtres de l'imagination;
Ou bien au contraire l'espace et le temps sont l'être même de l'étant sensible, en tant que ces "riens" sont aussi la condition, la position [existence selon Kant] de tout étant.
Là est l'équivoque, à savoir cette oscillation entre deux statuts de l'espace et du temps d'un côté, la position donc l'être ou l'existence; à l'opposé, l'être d'imagination, c'est-à-dire le néant. En conséquence, l'Esthétique transcendantale peut être interprétée comme une ontologie du sensible, comme la recherche de l'être du sensible, ou bien comme fondant un idéalisme subjectif."
Il semble bien donc que l'ambiguïté de l'affirmation de Kant quand il entend que "la représentation de l'espace est posée comme fondement" n'est pas levée.