aliochaverkiev a écrit:Oui je vous cite le passage où Kant qualifie comme n'étant pas pure la proposition dont nous parlons.
C'est en page 94 de la Critique (édition poches GF), je cite :
"Ainsi, par exemple, la proposition : tout changement a sa cause est-elle une proposition a priori, mais non point pure, étant donné que le changement est un concept qui ne peut être tiré que de l'expérience". Dans le texte Kant emploie le mot changement et je vois que nous, nous parlons de mouvement. Mais je pense que Kant pense aussi que le mouvement est un concept inclut dans celui de changement. [le mouvement est un changement de position spatiale].
Effectivement, ce passage était sous mon nez et je ne le retrouvais pas. Par contre, il m’a posé quelques soucis car il semble réellement contradictoire avec ce que dit Kant par la suite et même au paragraphe suivant :
Introduction de la seconde édition, II a écrit:Or, que des jugements de cette espèce, nécessaires et universels dans le sens strict et, par suite, purs, a priori, se trouvent réellement dans la connaissance humaine, il est facile de le montrer. Si l’on veux un exemple pris dans les sciences, on n’a que parcourir des yeux toutes les propositions de la mathématique ; si on en veut un tiré de l’usage le plus ordinaire de l’entendement, on peut prendre la proposition : Tout changement doit avoir une cause.
De même, je ne comprenais pas comment il pouvait s’inscrire avec le concept de causalité tiré de la table des catégories : qu’un concept pur de l’entendement ne permette pas de créer des propositions pures a priori, ça me semblait assez étrange.
Nous sommes en fait victimes d’une chausse-trape de notre ami Kant. Je travaille sur l’édition PUF qui ne mentionne rien sur ce point et j’ai l’impression que votre édition n’est pas plus bavarde. Par contre, j’ai également l’édition Pléiade qui se fend d’une note :
Note a écrit:On a ici un très bon exemple du vocabulaire kantien. La distinction apparemment claire entre a priori et « pur » va être négligée dès le paragraphe suivant, dans la nouvelle rédaction même de la deuxième édition, où la proposition donnée ici en exemple sera dite « pure », - Aussi bien cette proposition n’est-elle autre chose qu’un des principes de l’entendement pur, la deuxième analogie de l’expérience. Il n’y a pourtant pas là contradiction, ni même à proprement parler négligence, quoique la façon dont Kant use du vocabulaire soit une vraie source de difficultés. On voit bien dans ce texte que tout son effort va à définir une source du connaître (non une connaissance achevée) ; il n’y a pas assez de précautions prises alors pour la désigner dans sa différence d’avec l’autre source, et c’est ce que veut signifier la distinction d’a priori (signifiant « d’avance ») et de « pur ». Mais l’analyse se fait toujours dans une connaissance où jouent les deux sources. La source « pure » intervient toujours alors dans un rapport à l’autre source, donc a priori dans la terminologie ici proposée ; mais il en résulte que ce qui est a priori doit aussi être dit « pur ».
De plus, faisant quelques recherches sur internet, je suis tombé sur une thèse mentionnant cette apparente contradiction (Nathanael Masselot. Temps et individuation : le sens du transcendantal dans la philosophie de Kant et de Husserl : métaphysique, ontologie, phénoménologie.) en page 182, et qui mentionne un autre texte de Kant ou ce dernier s’explique sur ce point :
Kant, Sur l’usage des principes téléologiques en philosophie, avant-dernier paragraphe a écrit:Je voudrait encore, à cette occasion, dire ne serait-ce que quelques mots du reproche de prétendues contradictions, qui, dans une œuvre d’une certaine ampleur, auraient été découvertes avant qu’on l’ait bien saisie dans son ensemble. Elles s’évanouissent toutes d’elles-mêmes si on les considère dans leur rapport avec le reste. Dans la Leipzig Gelebrte Zeitung (numéro 94 de 1787), on présente ce qui se trouve dans la Critique, etc. (édition de 1787 : introduction, page 3, ligne 7), et ce qui se trouve peu après (page 5, ligne 1 et 2) comme directement contradictoires ; car dans le premier passage, j’avais dit : « Parmi les connaissances a priori, on appelle pures celles auxquelles rien d’empirique n’est mélangé », et j’avais cité comme exemple du contraire la proposition : « Tout changement a une cause. » En revanche, à la page 5, je cite juste cette même proposition comme exemple de connaissance pure a priori, c’est-à-dire d’une connaissance telle qu’elle ne dépend de rien d’empirique ; ce sont là deux sens différents du mot pur, alors que , dans tout l’ouvrage, je ne m’occupe que du dernier sens. Sans doute aurais-je pu prévenir le malentendu en donnant comme exemple du premier genre de proposition : « Tout ce qui est contingent a une cause. » Car, dans ce cas, rien d’empirique ne s’y mêle. Mais qui peut prévoir tout les prétextes à malentendu ?
Donc pour conclure, l’explication que vous donnez dans votre message du 21 février est parfaitement conforme à ce que Kant indique dans ce paragraphe. Simplement, il faut prendre garde que le mot « pur » employé ici n’est pas le même que celui que Kant emploiera dans le reste du texte, à commencer par le paragraphe suivant. Rien d’empirique n’est mêlé à la construction du jugement dans le premier sens de pureté (aucun concept empirique), le second se basant plutôt sur le fait qu’ils ne dépendent de rien d’empirique (ils sont « nécessaires et strictement universels », l’expérience n’est pas nécessaire pour les poser). Je ne suis pas certain que mon explication soit suffisamment claire, ce qui montre que ce n’est probablement pas encore bien clair dans la tête…