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Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art.

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3 participants

descriptionLe Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art. - Page 2 EmptyRe: Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art.

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ЄutΞrpЭ a écrit:
Un poète comme lui ne pouvait pas passer à côté de ce qu'une œuvre peut transfigurer, faire transparaître. Beaucoup ont appris à voir une œuvre en étant saisis par les jugements sidérants que Gœthe prononçait.

Ici, je dis : attention au charme du poète ! Nietzsche avait cette même qualité, appliquée aux oeuvres littéraires ou à la musique. Goethe connaissait très peu des arts plastiques. Aussi, il n'y a rien à attendre chez lui dans ce domaine hormis quelques jugements parfois très pertinents, il est vrai, mais appris je pense de sa fréquentation avec les peintres et de sa pratique du dessin, d'ailleurs peu assidue. Il a reconnu lui-même n'avoir aucun don pour l'art plastique. La valeur de son appréciation est surtout intellectuelle. Il avait aussi un faible pour les peintres appartenant à la gent féminine. On trouve cependant dans ses Conversations avec Eckermann beaucoup d'aperçus très justes sur les tableaux, d'autant plus méritoires qu'il n'avait pas nos belles reproductions photographiques, mais de simples gravures. Mais n'a t-il pas pris pour des oeuvres du grand Léonard certains tableaux de petits maîtres italiens ? Et l'Apollon du Belvédère pour un chef-d'oeuvre de l'antiquité grecque ? Méfions-nous de Goethe critique d'art. Burckhardt ou Taine sont des maîtres incomparablement plus sûrs en histoire de l'art.


Paul Veyne a écrit:
La civilisation hellénique est la civilisation tout court, dont les Grecs ne sont que les premiers possesseurs, et Rome entend bien ne pas leur abandonner ce monopole. La vraie originalité se mesure au naturel d'un geste d'appropriation ; une personnalité assez forte pour saisir aussi hardiment aura aussi la force d'assimiler et ne se réfugiera pas dans sa spécificité nationale. Nietzsche admirait l'audace impérialiste avec laquelle Rome considérait les valeurs étrangères comme son butin.

Je ne peux être d'accord avec cette affirmation. Dans les jeux de citations, j'ai eu l'occasion de vous montrer quelques échantillons de productions vraiment latines. Je trouve que les écrivains romains (et leur public) savaient parfaitement faire la différence entre une imitation du grec et une production véritablement nationale. Les pièces de théâtre de Térence n'ont ainsi jamais eu chez eux le succès de la simple pantomime. Huysmans a parfaitement montré les qualités de Pétrone, qui préférait se moquer des prétentions à l'éloquence des faux Démosthènes que de tomber dans une imitation servile. Mais somme toute, pourquoi ne pas avouer que ce que Goethe aimait dans la Grèce, c'était Rome, tout simplement ? Après tout, cette Grèce rêvée, pourquoi n'aurait-elle pas été Rome, la seule et unique Urbs Roma ? Tout cela parce que la Grèce n'a pas connu sa Renaissance. Le génie italien a su faire resurgir le passé, ce que les Grecs n'ont jamais réussi.


J'aime vraiment beaucoup le Voyage en Italie de Taine (là encore difficile à trouver en réédition intégrale).
N'oubliez pas les talents d'un vieux bibliothécaire que vous avez connu, et qui n'a pas tout à fait disparu. Vous trouverez dans le topic dédié à Taine une édition intégrale de 1990 et libre de droit, à télécharger (ici Hyppolite Taine).

Vous êtes sûr que cette édition est intégrale ? Je la possède en papier, mais il me semblait jusque là qu'il s'agissait d'un choix des meilleurs morceaux ?

descriptionLe Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art. - Page 2 EmptyRe: Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art.

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Liber a écrit:
Ici, je dis : attention au charme du poète !
On ne peut négliger tout ce que son rapport avec Schiller lui a apporté. De plus, bien des poètes qui ne font pas à proprement parler partie des critiques d'art sont incomparablement meilleurs qu'eux. Voyez comme Bonnefoy a élevé à des hauteurs bouleversantes le jugement qu'un poète peut porter sur des œuvres picturales (même en admettant que son Giacometti soit si mauvais). Certes, il a une érudition écrasante sur ce point, comparé à Gœthe, mais je crois que la masse des connaissances, pour le poète, est moins déterminante que pour d'autres, en la matière.

Liber a écrit:
Mais n'a t-il pas pris pour des œuvres du grand Léonard certains tableaux de petits maîtres italiens ? Et l'Apollon du Belvédère pour un chef-d'œuvre de l'antiquité grecque ? Méfions-nous de Gœthe critique d'art.
Justement, ce genre d'erreurs ne m'a jamais paru pouvoir disqualifier même un amateur. Seul quelqu'un qui y connaît quelque chose peut commettre cette erreur typique de ceux qui, ayant l'habitude d'identifier assez vite une œuvre particulière qu'ils ne connaissent pas, retrouvent la catégorie ou la famille à laquelle elle appartient. C'est ainsi que, pour ma part, je m'y retrouve quand je fais face à une peinture que je ne connais pas ; et ça marche, la plupart du temps, par approximations successives. Bref, au total, j'y vois une marque d'autonomie, celle de quelqu'un qui, face à l'inconnu, mobilise son savoir pour s'y retrouver

Liber a écrit:
Burckhardt ou Taine sont des maîtres incomparablement plus sûrs en histoire de l'art.
Vous jugez Gœthe intellectuel face aux œuvres. Je juge Taine le plus intellectualiste des trois. Ce qui m'a toujours ennuyé avec lui, c'est qu'on sent le talent du khâgneux qui ne veut pas se défaire de son pédantisme et de son verbiage d'écolier. Il s'est toujours laissé séduire par son propre talent littéraire, au point de risquer souvent (trop souvent), d'oublier ce dont il est censé parler. Gœthe et Burckhardt ont commis bien des naïvetés. Taine a dit beaucoup d'inepties.

Liber a écrit:
Vous trouverez dans le topic dédié à Taine une édition intégrale de 1990 et libre de droit, à télécharger (ici Hyppolite Taine).

Vous êtes sûr que cette édition est intégrale ? Je la possède en papier, mais il me semblait jusque là qu'il s'agissait d'un choix des meilleurs morceaux ?
Je n'y ai jamais prêté attention. Dans le doute, comparez avec cette édition. Si elle vous semble plus complète, je l'ajoute à la bibliothèque.


Dernière édition par ЄutΞrpЭ le Dim 13 Fév 2011 - 23:47, édité 2 fois

descriptionLe Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art. - Page 2 EmptyRe: Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art.

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ЄutΞrpЭ a écrit:
je crois que la masse des connaissances, pour le poète, est moins déterminante que pour d'autres, en la matière.

Leur intuition, leur sensibilité aiguë, peut compenser bien des lacunes, mais ne peut pas se substituer à une connaissance approfondie de l'art qu'il faut toujours se donner la peine d'acquérir. Goethe était bien trop dilettante pour se livrer à un tel travail. Sa valeur réside plus en lui-même, comme personnalité, comme caractère, la façon dont il vit l'art, que dans son analyse méthodique, objective, des oeuvres. Et comme philosophe bien sûr.


Liber a écrit:
Justement, ce genre d'erreurs ne m'a jamais paru pouvoir disqualifier même un amateur.

Dans le cas de quelqu'un qui n'a jamais vu de chef-d'oeuvre, comme Goethe à ce moment-là. C'est d'ailleurs ce qui fait le prix de son premier Voyage, la découverte de l'art italien jusqu'à son apothéose : Raphaël. Il fut malgré tout frappé par la Cène de Léonard. Mais je lui reproche d'en rester à des idées générales sur la peinture, et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir fréquenté des peintres. Il avouait lui-même que la peinture lui avait permis de comprendre... les phénomènes des couleurs. Et on en revient à la peinture comme moyen de connaissance de la nature, d'où l'importance que fut pour lui la découverte du Trattato della pittura de Léonard, où il dit que la peinture est "cosa mentale". Pour Goethe, ce mot sonnait comme une confirmation.


Liber a écrit:
Vous jugez Gœthe intellectuel face aux œuvres. Je juge Taine le plus intellectualiste des trois.

Voyez ce que j'écris juste au-dessus à propos de l'intellectualisme de Goethe face à la peinture. Taine me parait au contraire très sensuel, comme le note Zola dans la préface de l'édition du Voyage en Italie que vous avez mise dans la bibliothèque : "Taine Artiste". Simplement, son défaut ultérieur a été de chercher à pousser trop loin la suite logique des règles qu'il avait posées au départ. Mais dans son Voyage en Italie (il a je crois 36 ans), le ton n'a absolument rien de pédant. Certes, il y a le style de Taine, son caractère bien affirmé, qui plaît ou déplaît. Mais c'est le plus consciencieux des amateurs, le plus respectueux et le plus humble admirateur des oeuvres. Il a passé l'après-midi dans la cathédrale de Sienne. Après son incompréhension devant les fresques de Raphaël au Vatican, il ne va cesser de revenir jour après jour pour percer le mystère (pour lui) de sa célébrité. Les conclusions qu'il nous livre sont vraiment magnifiques de clarté pénétrante (et pourtant son peintre préféré était Léonard). Il a même retracé la carrière de Raphaël, comparé ses premières oeuvres déjà si loin de celles de son maître. Non vraiment, Taine c'est du sérieux comme historien d'art. Il a n'a pas été pour rien l'initiateur de toute une jeunesse. Vous devez sûrement savoir que Nietzsche admirait beaucoup Taine. Il a même rompu avec son vieil ami Rohde après une lettre où il lui défendait de dire du mal de Taine, arguant qu'il ne se sentait bien qu'en compagnie d'hommes âgés, comme Taine et... Burckhardt.


Je n'y ai jamais prêté attention. Dans le doute, comparez avec cette édition. Si elle vous semble plus complète, je l'ajoute à la bibliothèque.

Il y a un problème sur le serveur Gallica actuellement. Je vous dirai cela plus tard.

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Liber a écrit:
Taine me parait au contraire très sensuel, comme le note Zola dans la préface de l'édition du Voyage en Italie que vous avez mise dans la bibliothèque : "Taine Artiste".
Je n'aime pas cette préface. Mais je concède volontiers que je n'accorde aucun crédit à Zola, d'une manière générale. J'ai peut-être tort.

Liber a écrit:
Simplement, son défaut ultérieur a été de chercher à pousser trop loin la suite logique des règles qu'il avait posées au départ. Mais dans son Voyage en Italie (il a je crois 36 ans), le ton n'a absolument rien de pédant. Certes, il y a le style de Taine, son caractère bien affirmé, qui plaît ou déplaît. Mais c'est le plus consciencieux des amateurs, le plus respectueux et le plus humble admirateur des œuvres. Il a passé l'après-midi dans la cathédrale de Sienne. Après son incompréhension devant les fresques de Raphaël au Vatican, il ne va cesser de revenir jour après jour pour percer le mystère (pour lui) de sa célébrité. Les conclusions qu'il nous livre sont vraiment magnifiques de clarté pénétrante (et pourtant son peintre préféré était Léonard). Il a même retracé la carrière de Raphaël, comparé ses premières œuvres déjà si loin de celles de son maître. Non vraiment, Taine c'est du sérieux comme historien d'art. Il a n'a pas été pour rien l'initiateur de toute une jeunesse. Vous devez sûrement savoir que Nietzsche admirait beaucoup Taine. Il a même rompu avec son vieil ami Rohde après une lettre où il lui défendait de dire du mal de Taine, arguant qu'il ne se sentait bien qu'en compagnie d'hommes âgés, comme Taine et... Burckhardt.
Incontestablement, Taine est et reste une référence incontournable à laquelle on revient sans cesse. Je l'aime beaucoup, vous le savez. Mais j'adhère encore et toujours à ce qu'en dit Wölfflin dans L'Art classique, qui le dit sous l'influence de Burckhardt, du point de vue de la conception de l'histoire de l'art, de ce qu'elle doit être. Je n'ai que la version anglaise de cet opus majeur, n'ayant plus l'édition française :
There is a conception of the history of Art, which sees in Art merely a "translation of life" into pictorial language, and tries to make every style comprehensible as an expression of the prevalent spirit of the time. Would any one deny that this is a profitable way of looking at the question ? Yet it only leads to a certain fixed point, one might almost say only as far as the point where art begins. Anyone who restricts himself to the subject-matter in works of art will be satisfied with it, but as soon as he wishes to estimate things by artistic standards, he is compelled to deal with formal elements which are in themselves inexpressive*, and belong to a development of a purely optical kind.

The art of the italian Renaissance, p. 284.


*On retrouve ce que je vous disais plus haut à propos de Burckhardt, qui sait « voir dans l'œuvre l'œuvre même, comme objet irréfragable tant elle est, aussi, une affirmation pure, quelque chose d'immédiat qui résiste à l'analyse ». L'œuvre vit aussi de sa propre vie, indépendamment du milieu d'où elle surgit sans qu'elle soit réductible à ce milieu.

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Je comprends de moins en moins cette supposée opposition entre intellectualisation et sensibilité. Il me semble plutôt que les deux sont complémentaires et peuvent s'accroître mutuellement. Dès lors que nous voulons dire ce qui a trait à l'expérience sensible nous ne faisons qu'employer notre langage pour dé-limiter le champ de l'expérience et substituons des idées à la chose elle-même. D'autant plus que le langage, comme le dit Nietzsche, est métaphore de métaphores. Pour autant, l'idée elle-même ne cesse de vouloir renvoyer à ce à quoi elle se réfère et dans sa tentative de correspondance, dans ses nuances, nous développons une doublure esthétique, certes intellectuelle, qui intensifie notre rapport à l'œuvre et nous ouvre à toujours plus de compréhension sinon à rechercher à établir de nouvelles passerelles vers cette œuvre pour de nouvelles relations aptes à nous en ouvrir de nouvelles dimensions d'expériences. La sensibilité seule n'est rien, mais puisqu'elle permet aussi de provoquer la pensée, de nous ouvrir à l'autre contre nous-mêmes (la sensibilité serait la partie féminine en nous qui se fait féconder et engendre des pensées après le travail, transformation du différent en idées, assimilation par le même qui lui est viril dans son affirmation, sa volonté de puissance, qui mobiliser sa connaissance pour s'emparer de l'inconnu), nous pouvons développer des facultés pour naviguer différemment dans l'œuvre et la vivre d'autant plus, d'autant mieux, que nous la balisons de points d'attache que sont les mots, comme autant de balises significatives nous aidant à persévérer dans l'œuvre. Le tout n'est pas d'en rester aux idées mais de les utiliser pour nous renvoyer sans cesse vers la captation de plus de sens (aux deux définitions du terme) et je dirais simplement que l'intellect qui peut catalyser la sensibilité peut aussi l'accroître tout en aiguisant le regard, ou en tout cas en élargissant l'angle ou la profondeur de champ. Et au fond, ce dialogue avec l'œuvre, ce liant qui se renforce par là alors qu'il y a une distance irréductible, peut-être une "non-relation" entre spectateur et œuvre (sinon par les catégories), cette relation poétique (Heidegger disait que « La poésie est le lien rigoureux qui lie ce qui est sans rattachement. »), cela rappelle à mon sens la relation entre le profane et le sacré (ce qui me fait penser au beau et au sublime kantiens, de même qu'à l'ivresse dionysiaque qui pourtant se ramène en images, en formes, en symboles, dans l'apollinien), entre le langage restrictif et l'indicible, et l'idée se fait médiation, elle fait circuler l'information entre les deux sphères, donnant plus de poids à l'un et à l'autre.
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