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Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art.

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3 participants

descriptionLe Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art. - Page 4 EmptyRe: Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art.

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Vous parlez donc d'une beauté qui ne se vit pas mais qu'il y a seulement à contempler, voire dans laquelle il s'agit de s'oublier ? Est-ce que ça n'a pas à voir avec une extase justement, et quelle différence avec le sublime, l'ivresse en tant que participation au sacré qui nous transcende et nous fait nous transcender en lui ? Lorsque je parle d'Otto Dix, j'affirme certes qu'il ne s'agit pas de beauté mais je ne l'appréhende pas forcément par la pensée, par ce qu'il me donne à penser, ce n'est pas un art abstrait au point de n'être qu'un discours plein de concepts stériles, c'est l'animation des sens et des sentiments par la création d'une exposition ou d'une situation où se donnent à nous des mouvements violents et des ambiances que l'on a à vivre. La force des expressionnistes s'appuie peut-être sur un appel à certaines modalités de compréhension mais ceci pour éveiller des sentiments communs et connus à expérimenter intensément. C'est très loin du dépouillement abstrait de Malevitch... Quant au travail de Raphaël, il provoque certes une contemplation d'ordre religieux, toutefois il y a tout un art du jeu avec des codes et symboliques, les motifs participent aux formes, au tableau représentant une scène qui a toute son importance, je ne crois pas qu'on puisse faire abstraction de ce qui est dépeint au profit de la seule technique qui ferait la beauté de l'œuvre. Certes, c'est beau quelque soit l'objet de la peinture mais cet objet est l'occasion sur laquelle s'appuie la technique pour donner à voir quelque chose de singulier. Je peux admirer la toile pour son rendu mais c'est un rendu de quelque chose, qui vise quelque chose : j'admire la manière dont sont disposées les figures, les détails qui leur donnent leur spécificité et les rendent vivantes, l'impression qui se dégage du savant usage des clairs-obscurs, etc. Tout ceci parce que cela participe de l'œuvre, les effets font la composition et celle-ci produit une impression qui aide au développement de sensations en moi. Le travail sur la couleur ou le dégradé, par exemple, devient inséparable de telle figure qui me fait telle impression et éveille en moi passion, courage, respect, etc., par cela même. Je reconnais néanmoins mon manque d'érudition et si j'apprécie certaines œuvres classiques je suis plus habitué à l'art qui commence avec le romantisme. Je ne saurais condamner entièrement cet art pour son décadentisme. Le jugement de goût a évolué et s'il faut savoir être critique on peut aussi apprendre à apprécier cet art pour ce qu'il peut avoir de bon. Je vous accorde en revanche que tout le monde à notre époque n'est pas Baudelaire, voire personne aujourd'hui, pour transmuter le laid en beau.

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Aktaíôn a écrit:
je ne crois pas qu'on puisse faire abstraction de ce qui est dépeint au profit de la seule technique qui ferait la beauté de l'œuvre.

Pas la technique. Pourquoi tout de suite cet aspect quasi scientifique pour quelque chose d'aussi sensuel que la peinture à l'huile ? On n'est pas en train de fabriquer un pont.  :) Si vous êtes amateur de peinture, vous éprouvez déjà du plaisir à la seule matière de Rembrandt : on laissait à Degas presque aveugle le droit de toucher les tableaux du Louvre. Chez Raphaël, la technique est très réduite, il se contente d'un modelé très simple. L'essentiel pour lui était le dessin. La Renaissance italienne n'a pas cherché à cultiver la matière picturale comme les Hollandais. Ils ont beaucoup pratiqué la fresque, qui avec ses temps de séchage très brefs, interdit les repentirs, et n'ont connu la peinture à l'huile qu'assez tardivement. Seul Léonard s'est longuement penché sur la recherche de vernis et de recettes de peinture.

Le travail sur la couleur ou le dégradé, par exemple, devient inséparable de telle figure qui me fait telle impression et éveille en moi passion, courage, respect, etc., par cela même.

Voilà, c'est à peu près ça. La technique comme vous l'appelez est inséparable de la beauté de ce qui est représenté. C'est quelque chose de tellement évident, de tellement consubstantiel à la peinture, qu'un peintre ne se posera même pas la question de la séparation entre technique et motif. Une chose est belle quand elle est représentée avec les moyens adéquats, en général les détails sont suggérés et la touche doit être nettement visible.

Je reconnais néanmoins mon manque d'érudition et si j'apprécie certaines œuvres classiques je suis plus habitué à l'art qui commence avec le romantisme. Je ne saurais condamner entièrement cet art pour son décadentisme.

Cet art peut être excellent, pourvu que le métier de peintre ne soit pas oublié. C'est malheureusement ce qui s'est produit au fil du temps.

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Aktaíôn a écrit:
Je comprends de moins en moins cette supposée opposition entre intellectualisation et sensibilité.

Les Essais de psychologie contemporaine de Bourget vous permettraient d'en saisir la réalité et l'importance (notamment la partie consacrée aux Goncourt). Le propre du romantisme est d'avoir intellectualisé à outrance la sensibilité. Placer son intelligence dans sa sensibilité consiste en une démarche exactement inverse (cf. par exemple, de Jung, L'âme et la vie). Prenons enfin ce qu'Edgar Poe reprochait aux poèmes de Vigny, qu'il expliquait très bien. Un poème didactique est un contresens qui mêle ce qu'on ne peut mêler : l'intellect et la fiction, la pensée et la poésie. L'intellect cherche philosophiquement le vrai, la fiction cherche sensiblement le beau. Vous aurez beau faire, il y a des choses que vous ne pouvez dire qu'à la condition de laisser parler la sensibilité, ce qui implique de ne pas parler à sa place. La musique en est un bon exemple tant elle semble interdire la parole. Les grands peintres se reconnaissent aussi à cette faculté qu'ils ont de créer des œuvres que l'intellect ne peut saisir qu'en les torturant (pour ma part face aux fresques de Pompéi, aux peintures de Poussin ou du Lorrain, je suis heureux d'être immédiatement saisi par leur(s) beauté(s) ; cf. la compréhension immédiate chez Croce [quand je vous dis qu'il faut le lire !]), d'où la force communicative de Burckhardt, qui savait n'éveiller que la sensibilité par des remarques d'une simplicité déroutante pour qui ne sent qu'avec sa tête.

[Et il est regrettable qu'aujourd'hui tant de personnes se détournent d'œuvres pour la seule raison qu'on ne peut rien en dire, comme si le fait même d'être rivé à la réalité d'une chose était insupportable (nous avons l'inconvénient opposé et tout autant insupportable avec les personnes qui se détournent de toute œuvre qu'animent des idées : la simple nécessité de mettre en branle une pensée les effraie)].


Dernière édition par Euterpe le Mar 26 Juil 2016 - 17:22, édité 2 fois

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J'ai du mal à voir la réalité exclusivement selon l'une ou l'autre, la position que j'ai décrite fait jouer les deux tendances et ne laisse aucune prééminence de l'une sur l'autre, quoiqu'au fond nous partions de la sensibilité pour y revenir bien plus. C'est à considérer comme un jeu avec du répondant et des échos. Ma position vaut peut-être plus pour la littérature puisque nous sommes confrontés au langage et donc à des idées, mais ces idées émeuvent, elles ont une force, elles donnent à voir et à sentir. Je ne saurais clairement distinguer l'idée du sentiment qu'elle porte en elle. Et il y a des beaux mots, bien formulés, qui sonnent creux parce que stériles, éloignés du vivant. Mais la pensée a elle-même son propre domaine d'expérience et de vécu. Je n'irais pas lire le style de Kant quand j'ai le profil proche de Kierkegaard par exemple.

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Aktaíôn a écrit:
Ma position vaut peut-être plus pour la littérature puisque nous sommes confrontés au langage et donc à des idées, mais ces idées émeuvent, elles ont une force, elles donnent à voir et à sentir. Je ne saurais clairement distinguer l'idée du sentiment qu'elle porte en elle.

Vous pouvez quand même assez facilement distinguer un roman qui porte beaucoup d'idées, politiques, philosophiques, sociologiques, esthétiques, etc.  d'un roman sentimental, descriptif, narratif. Par exemple, Gautier écrivait des nouvelles essentiellement descriptives, avec très peu d'action, très peu d'idées, pour atteindre à la beauté, plastique bien entendu pour ce visuel. Typiquement le genre qui devrait vous ennuyer.  ;) Balzac privilégie la narration, la description des personnages, des lieux. Stendhal nous fait éprouver chaque sentiment de ses héros. Aucun des deux ne s'attarde pour analyser ce qu'ils décrivent. Stendhal utilise à la place le "petit fait vrai". Balzac ne recule devant aucun détail, aucune monstruosité. A l'inverse, Gœthe philosophe constamment, il est souvent froid et impersonnel. Dans les Affinités Electives, chaque coin de jardin porte un symbole. Et comme si ça ne suffisait pas, il faut aussi interpréter les paroles des personnages, qui sont à double ou triple sens. Avec lui, vous devriez vous sentir plus dans votre élément. Comme le disait Bourget, c'est le genre de romans sur lequel on peut discuter à l'infini.

Quant à être ému par un roman de Gœthe, hum ! A part Werther, et encore, ce roman est truffé d'ironie ou de détails ridicules, comme la lecture d'Homère en grec. C'est devenu une habitude chez lui. Dans le Meister, l'action est interrompue par une discussion interminable sur Hamlet. Il ne se souciait pas de nous émouvoir. Il préférait nous faire réfléchir. En tous les cas, rien de la douleur poignante de Manon Lescaut. La simplicité du roman accentue la tragédie du couple. C'est pourquoi ce que l'on aime encore aujourd'hui le plus de Gœthe sont ses poésies courtes, "de circonstance", comme il les appelait. On a la chance d'y trouver souvent une émotion directe. Par exemple, celle très célèbre sur Mignon où il décrit les citronniers en fleur. Schopenhauer y note justement la valeur des images, qui nous impressionnent directement. On ne peut pas mieux décrire la douce atmosphère italienne si propice au bonheur :
Connais-tu la contrée où les citronniers boutonnent
Dans le sombre feuillage rougeoient les oranges d’or
De douces brises soufflent des cieux d’azur
Silencieux le myrte et haut le laurier fleuronnent
La connais-tu bien ?
Là-bas ! Là-bas
Ö mon bien-aimé, je voudrais partir avec toi.

Après cette description, il lui est facile de faire comprendre sa nostalgie de l'Italie.

On peut même faire plus court, par exemple, le titre du livre de Stendhal : "Rome, Naples et Florence". Le prononcer, c'est déjà se sentir en Italie.
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