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Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art.

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3 participants

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ЄutΞrpЭ a écrit:
Liber a écrit:
Taine me parait au contraire très sensuel, comme le note Zola dans la préface de l'édition du Voyage en Italie que vous avez mise dans la bibliothèque : "Taine Artiste".
Je n'aime pas cette préface. Mais je concède volontiers que je n'accorde aucun crédit à Zola, d'une manière générale. J'ai peut-être tort.

Je vous accorde que Zola donne dans cette préface trop d'importance à sa propre théorie du tempérament.


L'œuvre vit aussi de sa propre vie, indépendamment du milieu d'où elle surgit sans qu'elle soit réductible à ce milieu.

En tant qu'amateur d'art, Taine n'est pas aussi attaché que vous le pensez sans doute à sa théorie du milieu (auquel il faut rajouter la race et le moment). Burckhardt ne se gêne d'ailleurs pas pour utiliser ce genre d'explications par l’environnement immédiat dans son livre Civilisation de la Renaissance, qui est bien sûr un livre d'histoire et non d'histoire de l'art. C'est la théorie du climat étendue à toutes les causes d'influences possibles.
Je suis d'accord pour dire qu'il y a dans l'oeuvre du génie humain quelque chose qui échappe à la série des causes et des effets. Tout dépend aussi de l'artiste. Certains n'ont pas grand chose à dire de plus que ne pourrait le faire l'étude de leur entourage. D'autres sont beaucoup plus complexes, comme Léonard. Taine préférait Léonard justement parce qu'il n'était pas aussi facilement compréhensible que Raphaël. Je ne vois rien de mystérieux chez Raphaël, rien qui ne puisse s'expliquer par la période où il vécut, ses maîtres, son caractère. Comme le lui fait dire Gobineau dans sa pièce de théâtre : "J'aime tout ce que baigne la lumière du soleil". Il n'en est pas de même de Léonard.


Aktaíôn a écrit:
Je comprends de moins en moins cette supposée opposition entre intellectualisation et sensibilité. Il me semble plutôt que les deux sont complémentaires et peuvent s'accroître mutuellement.

Eh bien moi je la comprends de plus en plus. Voici le conseil donné par Stendhal au visiteur de Rome :
En arrivant à Rome, ne vous laissez empoisonner par aucun avis ; n'achetez aucun livre, l'époque de la curiosité et de la science ne remplacera que trop tôt celle des émotions.

L'oeuvre d'art se laisse saisir immédiatement et durablement, sinon c'est qu'elle est mauvaise. La médecine a même créé un syndrome Stendhal pour décrire cette émotion. Qu'aime t-on dans la peinture quand on est un peintre ? La couleur, la ligne, l'expression des visages, la limpidité d'une eau, la clarté d'un ciel, la lumière dorée du couchant, etc. Les explications sont du domaine de la science. Le Traité de la peinture de Léonard est de la science. Heureusement, son but n'est pas de former des savants, mais des peintres. Ainsi quand Léonard conseille par exemple de peindre les femmes dans des attitudes pudiques, ou qu'il donne comme la meilleure lumière celle du soleil couchant dans les rues, quand les visages paraissent si beaux à ce moment de la journée, il ne démontre rien. On est d'accord ou pas. C'est du domaine de l'émotion. Il explique simplement la technique pour parvenir à les peindre ainsi. Raphaël a trouvé les plus belles courbes pour les visages de ses femmes en affinant chaque jour par sa sensibilité le dessin de ses modèles. Michel-Ange pareil. Ingres disait à ses élèves que ces deux-là n'avaient rien fait d'autre que se mettre à genoux devant la nature et la copier.

La peinture est simple, très simple, sans doute trop simple pour qu'il vaille la peine de l'analyser. Si l'oeuvre d'art nous parle indépendamment de son milieu, c'est de cette manière. Et je puis être touché par un visage du XIVème siècle comme par un portrait plus moderne. Mais bien entendu, la peinture peut, comme toute chose, donner du plaisir à qui cherche à la comprendre. Sauf que c'est un plaisir identique à celui du chimiste qui parvient à recomposer une recette comparé au gourmet qui la déguste.

Il te sera du reste assez difficile de m'expliquer comment un analyste de l'amour aussi fin que Stendhal ne pense pas exactement comme toi. Logiquement, il devrait être d'accord avec cette idée que sensibilité et intellect se complètent, et pourtant, il ne l'est pas du tout !

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Pour les explications c'est un surplus qu'on peut faire participer à la force provoquée par la toile, mais je suis d'accord que ça ne doit pas voiler cette toile au profit de la seule idée. J'ai du mal avec l'art conceptuel, pour autant un équilibre peut s'apprécier quand l'idée rejoint la qualité picturale produite.
Quant à Stendhal, j'ai lu De l'amour, et je crois qu'il a raison lorsqu'il parle de cristallisation dans l'amour-passion, mais il se trompe s'il s'agit de discréditer l'amour au nom de la comédie qui se joue ou de discréditer cet amour, certes toujours théâtralisé, par la seule idée qui s'en dégage et sur laquelle on se focalise. Je dirais simplement que l'émotion est importante parce qu'elle constitue l'expérience première, néanmoins l'intellectualisation, bien qu'elle déforme cette expérience en se la représentant, nous en écarte d'abord, mène à un processus comparable à une spiritualisation des instincts qui transcende l'expérience pour accroître les passions et leur intensité. Toutefois, cette idée prend sa source dans une autre idée, le souvenir, forcément déformant, mais qui ne cesse de renvoyer là aussi à cette expérience vécue si forte pour nous que nous avons du mal à la dire, à la maîtriser, c'est même l'irrationnel pur qui s'empare de nous et pourtant une raison si grande qui nous motive. Cette absence de l'expérience nous persévérons par l'idée à vouloir la combler et dans cette tension nous intensifions notre passion et en même temps ce n'est pas que s'illusionner ou fantasmer quelque chose qui n'a aucune existence. Le cristal ne fait que refléter la lumière infime et perdue d'une évidence vécue, et puisqu'elle semble inaccessible sa recréation la change en mystère. L'amour est le plus beau sentiment, il nous prend et nous élève pour mieux nous rabaisser, c'est le coup de foudre olympien, c'est aussi le sentiment le plus douloureux et qui punit cette démesure du sentiment. Cependant, si je ne suis pas dupe de mon romantisme, mais si je persévère encore dans un amour impossible, ce n'est pas par aveuglement devant les lumières d'une idole chimérique mais parce que cela renvoie toujours à un moment qui s'est vraiment déroulé où mes sens criaient de leur vérité que ce qui m'envahissait était bien hors norme et nécessaire, vital.
J'ajoute juste qu'il me semble aussi que si l'on ne se focalise que sur la connaissance et même si l'on privilégie l'empirisme ou la phénoménologie il reste que l'on ne réfléchit tout le réel que par nos idées, notre langage, les discours que l'on construit et qui façonnent des interprétations du monde aptes à le transformer aussi. Mais je ne pense pas que les idées soient une fin, au contraire elles peuvent ouvrir à de nouvelles expériences internes ou externes en pointant ou accueillant les choses différemment selon leur orientation ou l'ouverture permise.
Après il est certain que je ne fais que parler de moi-même, et il est vrai que mon intellectualisme provient de ma trop grande sensibilité, seulement je crois aussi qu'en gagnant en capacité cognitive, en maîtrise et en souplesse d'esprit je suis aussi plus apte à utiliser plus aisément mon intuition.

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Aktaíôn a écrit:
il est vrai que mon intellectualisme provient de ma trop grande sensibilité

En réalité, le mot juste que j'aurais dû employer est sensualité. Stendhal est très sensible, il goûte les oeuvres classiques en romantique. Tandis qu'un Goethe est très sensuel, comme l'étaient les Romains et les Grecs, c'est pourquoi il fait si souvent penser à eux. Au moins jusqu'à la période romantique, à part quelques exceptions, il n'y a pas d'artiste qui ne soit proche de l'Antiquité par son peu de sensibilité. Le christianisme n'a eu que peu de prise sur la peinture à la Renaissance et après. Les peintres sont restés païens. Dès que l'iconographie du Moyen-Age a été oubliée, on n'a plus vu le monde qu'avec des yeux gréco-romains. Il a fallu attendre le romantisme pour retrouver la fébrile excitation des couvents. Goethe appelait ces artistes des moinillons, et il savait depuis son Voyage en Italie, où il s'était guéri de son werthérisme, quelle était la bonne voie à suivre en art : le classicisme antique, bien entendu, la saine sensualité du corps. Sans doute aussi la cause de ce changement a t-elle été physiologique. Avec l'âge, sa "sensibilité maladive", comme il disait, s'est émoussée, pour laisser place aux plaisirs sensuels. Sa réflexion s'est faite plus sereine, moins enflammée. Il a regretté d'avoir perdu son temps avec le romantisme, et essayé tant bien que mal de retrouver la sérénité grecque. Évidemment, un art aussi paisible que l'art antique semble de nos jours manquer d'intérêt, parce qu'il nous faut l'excitation nerveuse devant un tableau, une statue, l'émotion, et toutes les bizarreries qui peuvent la susciter sont les bienvenues. Il va de soi que quand je parle d'émotion en art, je ne veux surtout pas parler d'une rêverie de ce genre !

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Il y a un enchevêtrement entre sensibilité et sensualité, me semble-t-il, et la sensualité chrétienne qui s'introduit avec le fantasme en est un exemple, on va beaucoup plus éprouver sa chair et le rapport aux corps quand cela s'oppose aux valeurs morales, l'écart provoque une tension qui peut libérer ou se faire cruauté mais il y a un accroissement de la façon d'être affecté par ce avec quoi on entre en relation désirante. Il est vrai que le christianisme introduit un rapport à soi différent de l'Antiquité en substituant un désir fini et diabolisé à l'économie des plaisirs, à l'esthétique de soi. L'émotion dont tu parles reste floue pour moi, elle ne me parle pas, je reste devant certaines œuvres avec l'idée béate de beauté en tête mais c'est d'une beauté si froide... Récemment on m'a offert un livre concernant Otto Dix. Je ne peux pas dire que cela soit beau, et ce n'est pas l'intérêt de son art : il s'agit plutôt de créer une ambiance, un lien entre intériorité et extériorité, de communiquer des affects. Cela marche à la perfection, en m'ouvrant à l'expérience de la toile j'ai l'impression de sentir, de vivre ce qui est évoqué et de comprendre en mon for intérieur ce qui se passe dans l'entremêlement des couleurs et des formes et les thèmes qu'ils font surgir. D'ailleurs, le symbole lui-même a la double nature d'être sensible et intellectualisable. Après tout, je suis peut-être trop chrétien, toujours est-il que je ne dévalorise pas le corps ou le matériau, l'esprit exercé me semble plus réceptif aux détails et de voir plus de choses dans l'œuvre que ce qui peut être visible et ramené en soi au premier abord. Et l'intensification de la vie par l'esprit est aussi une manière de promouvoir des dispositions du corps qui s'imbibe de ce que crée la toile en lui (mais la toile n'est vue que par la conscience qui s'ouvre à elle et la sensualité me semble être difficilement l'exclusivité du domaine corporel, de même que celui qui pense est le fruit de son corps - mais je mettrais l'accent sur le corps subjectif, désirant, vécu). On peut trouver de nouvelles façons de tirer plus de plaisir de l'œuvre tout en se basant sur l'expérience subjective de son appréciation instantanée qui développe une puissance en nous et qui peut se traiter par différentes approches.

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Aktaíôn a écrit:
L'émotion dont tu parles reste floue pour moi, elle ne me parle pas, je reste devant certaines œuvres avec l'idée béate de beauté en tête mais c'est d'une beauté si froide...

Plus je me familiarise avec l'art, plus je m'éloigne de ces conceptions rêveuses modernes. J'avoue avoir été intoxiqué par le romantisme. C'est une maladie dont il faut se guérir si on veut vraiment apprécier l'art. C'est vrai qu'Otto Dix nous parle plus que Raphaël. Sauf que nous regardons avec notre cerveau, nous sommes malades de notre manie de tout penser, il nous faut trouver un intérêt à tout. Schopenhauer, Kant, ont bien vu ce qu'était la beauté, quelque chose de désintéressé, donc sans attrait. Une femme nue n'est pas belle, elle est désirable, on tend vers elle. Devant un tableau, il suffit de se poser la question : "Est-ce que je cherche autre chose que ce que je vois ?" Si la réponse est oui, alors il n'y a pas en lui cette beauté dont parle Schopenhauer. Il n'est pas question de froideur, puisqu'il n'y a plus de désir devant la beauté, aucun intérêt, aucune pensée.
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