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Wittgenstein et le thème de la religion dans les "Leçons et Conversations"

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descriptionWittgenstein et le thème de la religion dans les "Leçons et Conversations" - Page 3 EmptyRe: Wittgenstein et le thème de la religion dans les "Leçons et Conversations"

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un énoncé théologique impliquant une conviction spirituelle


Non. Un énoncé théologique implique une tournure d'esprit philosophique, voilà tout. Encore une fois, la théologie, depuis Aristote, est une branche de la métaphysique.

 l'énoncé théologique n'a de sens que pour le croyant, pour les non-croyants ce n'est qu'une suite de significations grammaticales


Je ne saisis pas bien la différence entre "sens" et "signification grammaticale". Par ailleurs, vous confondez foi ("croyance") religieuse et théologie. Celle-ci est une (série de) thèse(s) métaphysique(s). Celle-là un acte, une démarche, un comportement. Il existe des théologiens qui ne pratiquent aucune religion et des fidèles complètement ignorants des principes métaphysiques par lesquels les théologiens justifient leur pratique.

Tout ce que vous écrivez, qui relève de la Grammaire de la psychologie, était de toute façon sous-entendu dans ce que j'ai écrit. 


La psychologie, c'est déjà de la grammaire. Alors la "grammaire de la psychologie" ... Par ailleurs, je disais souvent à mes étudiants "il n'y a pas de sous-entendu en philosophie, tout ce que vous ne dites pas explicitement n'existe pas". Si la philosophie, comme d'ailleurs n'importe quelle activité métaphysique, possède une vertu, c'est bien de mettre des mots sur (de dévoiler, dirait Heidegger) le non-dit.

je me souviens néanmoins de ce que j'ai vécu et il n'est pas nécessaire d'avoir fait des études de psychologie pour comprendre 


Avez-vous entendu parler de la psychanalyse ?

c'est le langage qui rend possible la Pensée.


Non. Langage, perception, intelligence et pensée sont une seule et même chose.

Freud interdisait à ses enfant de lire des contes de fées, et en terres communistes à leur bonne époque, on ne devait pas souvent raconter l'histoire de "Dieu"


Freud et Staline racontaient à leurs "enfants" des histoires tout aussi abracadabrantesques !

vous oubliez les conséquences quand cela s'insère inexorablement dans la Grammaire théologique qui a pour fonction de contrôler les esprits


La grammaire a pour unique fonction d'harmoniser/réguler l'usage social du langage/perception/pensée dans un un contexte géo-historique donné. Après, que certains lobbies confisquent cette fonction pour leur profit exclusif, voilà qui n'est ni nouveau, ni le seul apanage du lobby métaphysique à tendance cléricale. Personnellement, il me semble que la grammaire économiste dite "néo-libérale" qui tend à justifier et à perpétuer les exactions du capitalisme ainsi que la grammaire scientiste qui établit le règne définitif de la technologie et sa domination sur l'humain sont infiniment plus virulentes, sournoises et agressives.

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(suite de ...)


Les croyances religieuses sont-elles raisonnables ou bien déraisonnables ? Telle est la question qui se pose dans cet extrait et à laquelle l'auteur répond en disant qu'une telle distinction est, dans ce jeu de langage, dépourvue de signification. 

"Ces gens s’en tiennent rigoureusement à l’opinion (ou au point de vue) qu’il y a un Jugement Dernier". "Opinion" rend un son bizarre. C’est pour cette raison qu’on emploie d’autres mots : "dogme", "foi". Ce n’est pas d’hypothèse qu’il est question, ni de haute probabilité, non plus que de connaissance. Quand on parle de religion, on emploie des expressions telles que "je crois que telle ou telle chose va arriver", et cet emploi est différent de celui que nous en faisons dans les sciences. 

La croyance religieuse n'est pas la croyance scientifique. 

"Je crois que le mot « croire » a causé des malheurs effroyablement grands dans la religion. Toutes les idées inextricables sur le « paradoxe, la signification éternelle d'un fait historique et d'autres choses du même genre. Mais si tu dis, au lieu de « croyance au Christ » : amour du Christ », alors le paradoxe disparaît, autrement dit l'excitation de l'intellect. Qu'est-ce que la religion a à voir avec ce chatouillement de l'intellect ? [...]. Ce n'est pas du tout compréhensible, ce n'est pas seulement incompréhensible"(Wittgenstein, Carnets de Cambridge et de Skjolden). Il faut quand même souligner que les religions, notamment les trois monothéismes, cultivent l'ambiguïté et donnent le bâton pour se faire battre. Il n'est pas contestable, semble-t-il, que la rhétorique théologique ait usé et abusé, à des fins de prosélytisme, du "chatouillement de l'intellect" consistant, notamment, à "opérer la conciliation de la connaissance rationnelle et de la connaissance révélée"(Averroès, Discours Décisif, §21). S'il en est qui "aiment mieux ne trouver aucun sens rationnel dans les commandements et les défenses [à cause] d'une certaine faiblesse qu'ils éprouvent dans leur âme et sur laquelle ils ne peuvent raisonner"(Maïmonide, Guide des Égarés, III, 31) , en revanche, "LA FOI ET LA RAISON sont comme les deux ailes qui permettent à l'esprit humain de s'élever vers la contemplation de la vérité. C'est Dieu qui a mis au cœur de l'homme le désir de connaître la vérité et, au terme, de Le connaître lui-même afin que, Le connaissant et L'aimant, il puisse atteindre la pleine vérité sur lui-même"(Karol Wojtyla, Encyclique Fides et Ratio, 14 sept. 1998). Dans la religion chrétienne tout particulièrement, "peut-être peut-on dire : l'amour seul peut croire en la résurrection. Ou bien : ce qui croit en la résurrection est l'amour. On pourrait dire : l'amour qui sauve croit également en la résurrection. [Car] la religion chrétienne n'est faite que pour celui qui a besoin d'un secours infini, c'est-à-dire pour celui qui éprouve une détresse infinie"(Wittgenstein, Remarques Mêlées, 33-46). Ce qui rejoint ce que dit Marx : "la religion est le soupir de la créature accablée"(Critique de la Philosophie du Droit de Hegel), ou Pascal : "comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous [...]. Or, le royaume de Dieu est en nous, est nous-mêmes et n’est pas nous"(Pensées, B485).

Au lieu de quoi, nombre de philosophes ignorent délibérément ces ambiguïtés pour traiter les croyances religieuses comme des sortes de croyances scientifiques dégénérées, d'hypothèses invérifiables. Ainsi Kant : "je ne saurais admettre Dieu, la liberté, l'immortalité de l'âme selon le besoin qu'en a ma raison dans son usage pratique nécessaire, sans [...] dépasser le savoir théorique pour accorder une place à la croyance [en allemand der Glaube, à la fois "croyance" et "foi"]"(Critique de la Raison Pure, III, 19). Ou Freud pour qui la religion "est une illusion [...], la réalisation des désirs humains les plus anciens, les plus forts et les plus pressants. [Par là], nous faisons abstraction de la réalité extérieure […] à la connaissance de laquelle seul le travail scientifique peut nous mener"(l’Avenir d’une Illusion, viii)Ou Russell : "je ne peux admettre aucune autre méthode que celle de la science pour parvenir à la vérité ; mais, dans le domaine des émotions, je ne nie pas la valeur des expériences qui ont donné naissance à la religion. Par suite de leur association à de fausses croyances, elles ont fait autant de mal que de bien : libérées de cette association, on peut espérer que le bien seul restera"(Science et Religion). Ou encore Carnap : "quand un mystique affirme avoir des expériences qui se situent au-dessus ou au-delà de tous les concepts, on ne peut le lui contester. Mais il ne peut en dire quelque chose, car parler signifie capter [quelque chose] dans des concepts, réduire à des faits susceptibles d'être intégrés à la science"(la Conception Scientifique du Monde).

Or, justement, dans quelle mesure la vérité doit-elle être la valeur cardinale de la religion comme elle est celle de la science ? 

Toutefois, la tentation est grande de penser que nous employons ces expressions de cette dernière façon. Parce que nous parlons de preuves, parce que nous parlons de preuves par expérience. Nous pourrions même parler d’événements historiques. On a dit que le christianisme repose sur une base historique. Des milliers de fois des gens intelligents ont dit que dans ce cas il ne suffit pas que la base soit indubitable. Quand bien même il y aurait autant de preuves que pour Napoléon. Parce que ce caractère indubitable ne suffirait pas pour me faire changer ma vie tout entière. Le christianisme ne repose pas sur une base historique au sens où ce serait la croyance normale aux faits historiques qui pourrait lui servir de fondement [...]. 

Nous sommes obsédés par le jeu de langage scientifique dans le cadre duquel la certitude repose sur des preuves rationnelles. 

Wittgenstein est le premier à exiger la rationalité de la théorie scientifique, à la fois du point de vue de l'expérimentation a posteriori ("la proposition ne peut être vraie ou fausse que dans la mesure où elle est une image de la réalité" - Tractatus, 4.06) et, bien entendu, de la démonstration a priori ("que les propositions de la mathématique puissent être démontrées, cela ne veut rien dire d’autre sinon que leur justesse est percevable sans que ce qu’elles expriment doive être comparé avec les faits, pour établir sa propre justesse" - Tractatus, 6.2321). Démonstrabilité et expérimentabilité sont, pour lui, les critères indiscutables de la rationalité scientifique. Or, lorsque Durkheim parle d'"expérience religieuse", au sens que les grands mystiques donnent à cette expression, il affirme effectivement que "les expériences religieuses reposent sur une expérience spécifique dont la valeur démonstrative, en un sens n'est pas inférieure à celle des expériences scientifiques tout en étant différentes"(les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse). L'"expérience" dont il est question ici est, certes, précise l'auteur, différente de l'expérience scientifique, mais c'est une expérience tout de même : "aussi, l'homme n'est pas dupe d'une illusion, quand il se croit en relation avec une puissance supérieure qui lui est extérieure, en un sens, et d'où lui vient ce qu'il y a de meilleur en lui"(Durkheim, Cours sur les Origines de la Vie Religieuse). Wittgenstein est, bien entendu, d'accord pour ne pas juger l'expérience religieuse à l'aune de l'expérience scientifique et déclarer supérieure celle-ci et illusoire celle-là. Cependant, l'expérience religieuse n'a rien à voir avec l'exigence rationnelle de preuves à l'oeuvre dans l'expérience scientifique. Entre les deux, il ne voit, tout au plus, qu'une analogie. Or, "quand des mots de notre langage ordinaire ont à première vue des grammaires analogues, nous avons tendance à essayer de les interpréter de manière analogue ; c’est-à-dire que nous essayons de faire en sorte que l’analogie tienne jusqu’au bout"(Wittgenstein, le Cahier Bleu, 7). 

De fait, les métaphysiciens ne se sont pas privés de faire de la théologie rationnelle. Par exemple Descartes : " faisant réflexion sur ce que je doutais et que, par conséquent mon être n'était pas tout parfait, je m'avisai de chercher d'où j'avais appris à penser quelque chose de plus parfait que je n'étais [...]. De façon qu'il restait que cette idée de perfection eût été mise en moi par une nature qui fût véritablement plus parfaite que je n'étais, et même qui eût en soi toutes les perfections dont je pouvais avoir avoir quelque idée, c'est-à-dire qui fût Dieu"(Discours de la Méthode, IV). Et même chez Kant : [size=16]"l’existence de Dieu [...] c’est-à-dire une proposition théorique, certes, mais qui, comme telle, ne peut pas être prouvée en tant qu’elle est inséparablement liée à une loi pratique valant inconditionnellement a priori"(Critique de la Raison Pratique, V, 122). Il semble qu'il n'y ait pas de certitude possible, donc de foi authentique, sans preuves rationnelles. Or, s'insurge Pascal, dont la rigueur scientifique ne peut guère être mise en doute, "le cœur a son ordre ; l'esprit a le sien, qui est par principe et démonstration. Dieu sensible au cœur, non à la raison"(Pensées, B283). En effet, "deux excès : exclure la raison, n'admettre que la raison"(Pensées, B253)Pour lui, il est clair qu'il existe une sorte de tyrannie de la science sur la religion : "la tyrannie consiste au désir de domination, universel et hors de son ordre. [Elle] est de vouloir avoir par une voie ce qu'on ne peut avoir que par une autre"(Pensées, B332). Et Pascal de se réclamer du "Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants"(Mémorial). De même, pour Wittgenstein, "la certitude n’est pas la présupposition non fondée, mais la manière non fondée de procéder"(de la Certitude, §110). Au point qu'"une question religieuse est seulement, ou bien une question de vie, ou bien un bavardage (vide)"(Carnets de Cambridge et de Skjolden). Un "bavardage vide" si on y voit un problème de connaissance.


Est-ce à dire que les croyances religieuses ne sont ni raisonnables, ni déraisonnables ? 

Dirais-je qu’ils sont déraisonnables ? Non je ne les appellerais pas ainsi. Je ne dirais pas pour autant qu’ils sont raisonnables, c’est évident. Car pour tout le monde "déraisonnable" implique blâme [...]. Vous diriez qu’ils raisonnent faux dans le cas où ils raisonneraient d’une manière semblable à la nôtre et feraient ce qui pour nous correspondrait à une faute [...] : tel coup est une faute dans un jeu particulier et non dans un un autre. 

La question de savoir si les croyances religieuses sont raisonnables ou non n'a pas de sens. 

"Le cérémonial religieux consiste en petits actes […] qui sont toujours exécutés de la même manière, ou bien d’une façon qui varie suivant des règles données […]. On peut dire que la névrose obsessionnelle individuelle est la caricature d’une religion privée, ou bien que l’acceptation de la névrose universelle dispense le vrai croyant de la tâche de se créer une névrose personnelle [...]. La religion serait donc la névrose obsessionnelle universelle de l’humanité"(Freud, l’Avenir d’une Illusion, vi). Pour Freud, il est clair que l'attitude religieuse est pathologiquement irrationnelle. La pathologie dont il est question ici est une pathologie sociale engendrée par un sous-developpement cognitif, affectif et psychologique d'une société donnée. Freud adopte l'analogie de l'irrationalité infantile versus la rationalité de l'âge de raison : "la religion n’apparaît pas comme une acquisition durable dans l’histoire de l’humanité, mais comme une névrose infantile par laquelle l’humanité doit inévitablement passer pour atteindre sa maturité"(Nouvelles Conférences sur la Psychanalyse). Freud et, avec lui, une bonne partie des philosophes des Lumières, adressent effectivement ce que Wittgenstein appelle "un blâme" aux croyances religieuses. Tous adoptent, plus ou moins consciemment, le critère de Clifford selon lequel "il est toujours, partout et pour tout le monde mauvais de croire quoi que ce soit sur la base de preuves insuffisantes"(Éthique de la Croyance).

Le défaut commun de toutes les positions attaquées par Wittgenstein n'est, évidemment pas, leur athéisme (il est lui-même athée, et certains de ses adversaires ne le sont pas), mais leur conception métaphysique du langage : "nous avons tendance à croire qu’il doit y avoir quelque chose de commun à ces jeux de langage, alors qu’en fait ils appartiennent à une famille dont les membres ont simplement des ressemblances"(le Cahier Bleu, 17). De la sorte, nous négligeons des différences essentielles qui, malgré des ressemblances et des analogies, présupposent des règles totalement différentes. Il en va de la nature de la croyance en religion et en science comme de celle de la dame au jeu de dames et aux échecs : un même terme ne présuppose pas une identité d'usage. Du coup, l'application du critère de Clifford aux croyances religieuses revient à appliquer les règles du jeu d'échecs au jeu de dame. C'est, comme dirait Pascal, un acte de tyrannie. "Tout ce que nous faisons a-t-il donc une fin ?"(Remarques sur les Fondements des Mathématiques, 153), se demande Wittgenstein. En effet, "l’homme est un animal cérémoniel qui accomplit, entre autres, des actions que l’on pourrait nommer rituelles [...]. Et tous les rites sont de ce type ; ce sont des actions que l'on peut nommer instinctives et une explication historique [...] est une supposition superflue qui n'explique rien. [Car en réalité], il n'y a aucune raison qui ait conduit certains hommes à pratiquer certains rites, de vénérer certains dieux, etc., sinon le simple fait d'être unis dans une communauté de vie et non l'effet d'un choix"(Remarques sur"le Rameau d'Or"de Frazer, 4-12). Bref, il se pourrait bien que la croyance religieuse soit dénuée de raison par essence, et non par faiblesse. De plus, pour Wittgenstein, cette absence de raison de croire en religion (dans ce jeu de langage particulier) n'est nullement un symptôme d'irrationalité en général (dans tous les jeux de langage) : "[chez les Musulmans de Bosnie], pour adopter un enfant, la mère le fait passer à travers ses vêtements, or il serait insensé de penser que la mère adoptive croit réellement avoir accouché de l’enfant; [quant au] sauvage qui transperce l’image de son ennemi, apparemment pour le tuer, il taille néanmoins sa flèche selon les règles, et non en effigie"(Remarques sur ‘‘le Rameau d’Or’’ de Frazer, 4). Bien plus, si on admet, avec Bourdieu, qu'est rationnelle l'action "qui, ayant le même sens pour celui qui l’accomplit et pour celui qui l’observe, n’a pas d’extérieur et occulte les conditions historiques et sociales de sa transparence"(Méditations Pascaliennes, iv), on comprend qu'il n'y ait pas de réponse possible à la question de savoir si les croyances religieuses doivent être réputées rationnelles ou non. Or, "d’une réponse qu’on ne peut formuler, on ne peut pas non plus formuler la question. Il n’y a pas d’énigme. Si une question peut de quelque manière être posée, elle peut aussi recevoir une réponse"(Wittgenstein, Tractatus, 6.5). Cette question est donc, typiquement, un faux problème.

Finalement, en dépit d'une tradition rationaliste de bon aloi, l'hégémonie que les catégories de la scientificité ont fini par acquérir, non seulement incitent à la métaphysique, notamment théologique, mais aussi et surtout à une condamnation des pratiques religieuses qui, certes, restent critiquables, mais, précisément, pas au non de leur soi-disant irrationalité.[/size]


(à suivre ...)


Dernière édition par PhiPhilo le Dim 21 Fév 2021 - 10:59, édité 1 fois

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réponse rapide à vos objections quand vous dites : "Non. Un énoncé théologique implique une tournure d'esprit philosophique, voilà tout. Encore une fois, la théologie, depuis Aristote, est une branche de la métaphysique."
je vois bien mais depuis la révélation évangélique, (et je ne parles pas ici en croyant mais en philosophe qui essai de comprendre la cohérence interne de la théologie chrétienne, bien que l'on devrait aussi regarder si chaque religion développe aussi une théologie à partir d'une révélation X ), le langage s'est vu assigné une nouvelle direction, c'est ce que ne reconnaît pas Émile Durkheim ou Ludwig Wittgenstein, et ils ont bien raison, car de leur point de vue, il ne peut exister de langage qui ne soit une convertibilité de terme à terme dans la pensée, ainsi dire "foi" ou "dieu" n'est qu'une signifiance mais n'a aucun sens sans l'expérience qu'en fait le croyant dans son acte propre...


c'est sans doute pourquoi vous dites ensuite  : "Je ne saisis pas bien la différence entre "sens" et "signification grammaticale". Par ailleurs, vous confondez foi ("croyance") religieuse et théologie. Celle-ci est une (série de) thèse(s) métaphysique(s). Celle-là un acte, une démarche, un comportement. Il existe des théologiens qui ne pratiquent aucune religion et des fidèles complètement ignorants des principes métaphysiques par lesquels les théologiens justifient leur pratique."
sur la fin de votre phrase certes oui vous avez totalement raison de préciser cela, mais un théologien qui ne croit pas est-ce encore un théologien tout comme un croyant qui ne recherche pas l'intelligence de sa foi/espérance/charité, est-ce encore un croyant ? perso je suis convaincu que non, et donc vous avez raison de distinguer l'exercice de la foi et le langage de la foi sous cette acception spécifique de ce que l'on nomme habituellement la sécularisation...





pour cette autre phrase de vous PhiPhilo qui ne reprend pas ce que je vous disais mais ce que vous a dit PhiloGL  : "La grammaire a pour unique fonction d'harmoniser/réguler l'usage social du langage/perception/pensée dans un un contexte géo-historique donné. Après, que certains lobbies confisquent cette fonction pour leur profit exclusif, voilà qui n'est ni nouveau, ni le seul apanage du lobby métaphysique à tendance cléricale. Personnellement, il me semble que la grammaire économiste dite "néo-libérale" qui tend à justifier et à perpétuer les exactions du capitalisme ainsi que la grammaire scientiste qui établit le règne définitif de la technologie et sa domination sur l'humain sont infiniment plus virulentes, sournoises et agressives."
je ne peut être que de votre avis vu ce que j'ai écrit ailleurs sur le langage comme substitue de la mémoire...


en effet la scolastique cléricale a eu cet effet de perdition des consciences dans la même "déraison" que le capitalisme produit un terrible esclavagisme des mœurs, l'argent étant venu épouser, usurper plus exactement la place du langage cohérent par la même séduction qui lui donne de pouvoir être partout et toujours en mesure de simplifier les échanges...


comme si l'usage du langage (théocratique) et celui de l'argent avait pour trop vouloir bien faire, fait le mal...

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PhiPhilo vous dites au début de votre exposé : "Les croyances religieuses sont-elles raisonnables ou bien déraisonnables ? Telle est la question qui se pose dans cet extrait et à laquelle l'auteur répond en disant qu'une telle distinction est, dans ce jeu de langage, dépourvue de signification."
 
en effet si vous délimité l'accessibilité de la pensée par le langage on est dans le paradoxe qui fît du Credo quia absurdum "je crois parce que c'est absurde" un  credo ut intelligam, "je crois pour comprendre" et qui est le chatouillement interne à la théologie chrétienne qui a débordé dans toutes les sphères de la pensée à partir du deuxième siècle, l'évangile étant un pierre d'achoppement pour les païens et pour les philosophes (se rappeler la réponse des citoyens athéniens à Paul,act 17 32 "Quand ils entendirent parler de résurrection des morts, les uns se moquaient, et les autres déclarèrent : « Là-dessus nous t’écouterons une autre fois. » c'est typiquement la position positiviste qui n'accepte de nouveauté qu'à partir d'une cohésion avec ce qui est déjà en place dans la cohérence interne de l'intelligibilité de l'auditoire...

et puis il y a cette citation  de Ludwig Wittgenstein : Mais si tu dis, au lieu de « croyance au Christ » : amour du Christ », alors le paradoxe disparaît, autrement dit l'excitation de l'intellect." non il apparaît sous une forme distinct en optant pour une proposition où c'est la charité qui est mise avant la foi et l'espérance, bien que comme déjà dit il n'y a pas d'acte de charité sans un acte de foi et d'espérance simultanément unis... 



PhiPhilo vous dites  : "Il n'est pas contestable, semble-t-il, que la rhétorique théologique ait usé et abusé, à des fins de prosélytisme, du "chatouillement de l'intellect" consistant, notamment, à "opérer la conciliation de la connaissance rationnelle et de la connaissance révélée"(Averroès, Discours Décisif, §21)."  oui mais c'est ce qui fût le cas face à l'exigence de l'évangélisation, et c'est là que se trouve sûrement le lieu le plus conflictuel  (hier et aujourd'hui encore, voir la nouvelle loi votée au parlement sur la restriction du fondamentalisme et du communautarisme) la fameuse conciliation a pris bien souvent des formes syncrétiques entre les ambitions politiques et même économiques des dirigeants dans l'histoire, le facteur "conversion des infidèles" n'ayant pas toujours le première place dans le discours théologique, ceci est un constat au vue de l'égarement des autorités religieuses dans l'abus et le détournement de leurs pouvoirs...


pour cette nouvelle citation  : "la religion chrétienne n'est faite que pour celui qui a besoin d'un secours infini, c'est-à-dire pour celui qui éprouve une détresse infinie"(Wittgenstein, Remarques Mêlées, 33-46) il a bien raison de dire cela mais comme Maïmonide dans son Guide des Égarés, le constat de la position dramatique de la conscience humaine se sachant emprunt de finitude et en même temps en désir d'infini, en justifie la tension... 
 
ensuite vous écrivez :"Or, justement, dans quelle mesure la vérité doit-elle être la valeur cardinale de la religion comme elle est celle de la science ?" c'est une recherche de faire participer toute la nature humaine à ce nouvel "espoir" de vie éternelle qui justement réclame une validation, une véritable actualisation de sa permanence, ce qui veut être rendu visible par les sacrements de l'église par exemple, pour la judaïté par les 613 commandements  תרי"ג מצוות Tarya"g mitzvot (note 1), pour l'islam le hadith, cinq piliers أركان الإسلامarkān al-Islām (note 2)


pour la fin de votre exposé que vous présentez ainsi : "Or, "d’une réponse qu’on ne peut formuler, on ne peut pas non plus formuler la question. Il n’y a pas d’énigme. Si une question peut de quelque manière être posée, elle peut aussi recevoir une réponse"(Wittgenstein, Tractatus, 6.5). Cette question est donc, typiquement, un faux problème. " ne pas oublier que la foi repose non pas sur une énigme mais sur un mystère or la différence est de taille au plan conceptuelle, une question peut être posée intellectuellement mais ne pouvoir recevoir de réponse qu'au plan de la foi, c'est ce que dit Paul 1 cor.13-12/13 "Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manière obscure, mais alors nous verrons face à face; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai été connu. 13Maintenant donc ces trois choses demeurent: la foi, l'espérance, la charité; mais la plus grande de ces choses, c'est la charité " et ce miroir me fait rappeler ce passage du Tractatus : "Comment la logique qui embrasse toute chose, qui reflète le monde, peut-elle avoir recours à des attrapes et à des manipulations aussi spéciales ? Pour la seule raison que ces moyens sont liés en un filet infiniment subtil, au grand miroir." et lui même à ce passage du Tao: 
10
Pouvez-vous estimer votre unicité comme partie du Tout ?
Etre aussi subtil que le souffle, aussi souple qu’un bébé ?
Etre un miroir poli reflétant parfaitement la Vérité ?
Pouvez-vous aimer et diriger le peuple sans avoir recours au dogme ?
 
 et en disant   : "Finalement, en dépit d'une tradition rationaliste de bon aloi, l'hégémonie que les catégories de la scientificité ont fini par acquérir, non seulement incitent à la métaphysique, notamment théologique, mais aussi et surtout à une condamnation des pratiques religieuses qui, certes, restent critiquables, mais, précisément, pas au non de leur soi-disant irrationalité." voulez vous dire que l'expression de la vie religieuse n'a pas de place dans la vie public ou bien qu'elle n'a pas de place tout simplement dans la vie de l'esprit ?




bon dimanche à vous (tout de même, humour) 



notes : 
 
1) Les 613 Commandements (Mitsvot) - Chavouot (chabad.org)


2)

  • La "Chahada" ou "déclaration de foi" qui consiste en l'obligation de reconnaître l'existence d'un seul Dieu et d'un seul Prophète.

  • La "Salat" qui désigne l'obligation de prier cinq fois par jour.

  • La "Zakat" qui représente l'obligation de donner 2,5 % de ses revenus aux plus pauvres dans son pays de résidence, si l'on n'est pas soi-même nécessiteux.

  • Le "Saoum" qui consiste en l'obligation de jeûner pendant le mois saint du Ramadan.

  • Le "Hajj" ou "pèlerinage" qui représente l'obligation de faire un pèlerinage à la Mecque au moins une fois dans sa vie, si la santé physique et financière le permet.

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(suite et fin de ... )

La question que Wittgenstein pose ici est : le problème de l'existence de Dieu est-il celui de l'existence d'une personne ? Il y répond en disant que l'existence de Dieu est l'existence d'un concept dont les caractères se postulent mais ne se découvrent pas. 

Le mot "Dieu" est l’un de ceux que l’on apprend le plus tôt : images, catéchisme, etc. Mais les conséquences ne sont pas les mêmes que lorsqu’il s’agit d’images représentant les tantes de l’enfant. On ne m’a pas montré ce que l’image représentait. Ce mot est utilisé comme un mot représentant une personne : Dieu voit, il récompense, etc. "Puisqu'on vous a montré toutes ces choses, avez-vous compris ce que le mot signifiait ?" Je répondrais : "oui et non. J'ai appris ce qu'il ne signifiait pas, je me suis fait comprendre, j'ai pu répondre à des questions, les comprendre quand on les posait sous des formes différentes. Et dans ce sens, on pourrait dire que j'ai compris."

Le mot "Dieu" n'est pas un nom propre ordinaire.

Apparemment, nous dit Wittgenstein, le mot "Dieu" est appris par les enfants de la même manière que les noms de pays, les noms de personnes, les noms de personnages historiques, etc. Or, on relève néanmoins deux difficultés. Première difficulté : le problème du référent. "Nous avons affaire là à l’une des grandes sources de l’égarement philosophique : un substantif [un nom] nous pousse à chercher une chose qui lui corresponde"(le Cahier Bleu, 1). Wittgenstein veut dire que c'est l'une des attitudes caractéristiques de la métaphysique ("l'égarement philosophique") que de présupposer que tout nom, a fortiori, tout nom propre, possède nécessairement un référent dans la réalité extérieure. Et d'entreprendre alors une enquête sur ledit référent réel jusqu'au point où, l'expérience directe du référent s'avérant décidément impossible, elle a recours à un subterfuge : "permettez-moi de rappeler ici le rôle étrange que l’aérien et l’éthéré jouent en philosophie: quand nous nous apercevons qu’un substantif n’est pas utilisé comme ce que nous appellerions en général nom d’un objet, nous ne pouvons nous empêcher de nous dire que c’est le nom d’un objet éthéré [...] ; l’idée d’"objets éthérés" est un subterfuge quand l’utilisation de certains mots nous laisse perplexes, et quand tout ce que nous savons, c’est qu’ils ne sont pas utilisés comme des noms d’objets matériels"(le Cahier Bleu, 47). C'est pourquoi Wittgenstein n'a eu de cesse de dénoncer la tendance de ceux qui "ont constamment à l’esprit la méthode scientifique et sont tentés de poser des questions et d’y répondre à la manière de la science : cette tendance est la vraie source de la métaphysique"(le Cahier Bleu, 28). En particulier, parler de Dieu comme on parlerait du référent d'un nom propre, c'est faire de la métaphysique, en l'occurrence, de la théologie. 

D'où, deuxième difficulté : le problème de la vérité des phrases contenant ce nom. Certes, souligne Wittgenstein, qu'il ait un référent ou non, celui qui a appris l'usage de ce terme parvient toujours à se faire comprendre lorsqu'il forme des phrases le mentionnant. Dès lors qu'on admet que "la signification d’un mot est un mode de son utilisation, c’est ce que nous apprenons au moment où le mot est incorporé dans le langage"(de la Certitude, §61), se faire comprendre en utilisant un terme donné n'est rien d'autre, en effet, que jouer à un jeu de langage déterminé en en respectant les règles. Et, "à quel signe voit-on que quelqu’un comprend les règles du jeu ? le fait qu’il puisse jouer à ce jeu, n’est-ce pas le meilleur critère ?"(Grammaire Philosophique, I, 26). Cela dit, "pourquoi voulons-nous que tout nom propre ait une référence en plus de son sens ? C’est dans l’exacte mesure où nous importe sa valeur de vérité"(Frege, Sens et Référence). Autrement dit, l'enjeu, lorsqu'on fait une phrase affirmative contenant un nom propre n'est pas seulement de se faire comprendre, mais aussi, en principe, de dire le vrai. Or "la proposition ne peut être vraie ou fausse que dans la mesure où elle est une image de la réalité"(Wittgenstein, Tractatus, 4.06) et "l’image est la transposition de la réalité"(Tractatus, 2.12). Sauf que, dans le cas du terme "Dieu", une telle correspondance entre une phrase faisant référence à Dieu et un fait réel extérieur est, pour le moins, problématique. Le même problème se pose lorsque le nom propre est celui d'un personnage de fiction : "la proposition « Ulysse fut déposé sur le sol d'Ithaque dans un sommeil profond » a évidemment un sens, mais il est douteux que le nom « Ulysse » qui y figure ait une dénotation ; à partir de quoi il est également douteux que la proposition entière [soit vraie ou fausse]"(Frege, Sens et Référence)Du coup, il semble que, pour pouvoir dire que celui qui utilise le terme "Dieu" comprend sa signification, on doive, ou bien admettre, comme Frege, qu'il fait de la littérature (ou de la poésie), ou bien, comme Wittgenstein, qu'il fait de la métaphysique en ce qu'il "a omis de donner, dans ses propositions, une référence à certains signes"(Tractatus, 6.53). Dans les deux cas, il est exclu qu'il puisse prétendre énoncer des phrases vraies.

Est-ce suffisant pour conclure que Dieu, à l'instar de l'Ulysse de l'Odyssée, n'existe pas ? 

Si on en vient à l'existence d'un dieu ou de Dieu, cette question joue un rôle complètement différent de celui que joue la même question portant sur l'existence de toute personne ou tout objet dont j'aie jamais entendu parler. 

On ne peut pas dire "Dieu existe" au sens où on dit "le boson de Higgs existe".

Depuis Anselme de Cantorbery, les philosophes se sont souvent penchés sur les manières de prouver, a priori, l'existence de Dieu. Kant a été le premier à les critiquer : "la proposition "Dieu est tout puissant" contient deux concepts : "Dieu", le sujet, et "toute puissance", le prédicat. Le mot "est" n'est point un prédicat mais seulement ce qui met le prédicat en relation avec le sujet. Et si je dis "Dieu est", je n'ajoute aucun prédicat au concept de Dieu [...]. Le concept d'un être suprême est, certes, une idée très utile à bien des égards, mais, précisément, parce qu'il n'est qu'une idée, il est tout à fait incapable d'étendre à lui seul notre connaissance par rapport à ce qui existe"(Critique de la Raison Pure, III, 401-402). Pour Kant, dire "Dieu est" ou "Dieu existe" c'est ne rien dire du tout au motif que l'existence n'est pas un prédicat qui puisse augmenter la connaissance du sujet. En d'autres termes, celui qui affirme l'existence de Dieu n'affirme rien du tout. Un peu plus tard, le problème de l'existence de Dieu s'est posé en termes de logique de la forme propositionnelle plutôt qu'en termes de logique du contenu propositionnel comme chez Kant. Ainsi, pour Frege, "affirmer l’existence, ce n’est rien d’autre que nier le nombre zéro"(les Fondements de l’Arithmétique, §53). Ou, pour Russell ""Dieu existe" devient "il existe une entité x et une seule qui est Dieu" et [par exemple] "Dieu est parfait" ; or "il existe une entité x et une seule qui est Dieu" n’est pas prouvée"(Lettre à Frege du 12 décembre 1904). Dans toutes ces approches, il y a l'idée que l'existence est, certes, un prédicat, mais le prédicat d'un concept et non pas d'un objet. Dire "Dieu existe", c'est comme dire "gagner au Loto est possible" : c'est conférer une propriété à la description d'un fait et non pas à un objet individuel. Ce qui fait dire à Russell que "le fait que vous puissiez discuter de la proposition "Dieu existe" est une preuve que "Dieu", tel qu’il est employé dans cette proposition est une description et non un nom propre authentique. Si "Dieu" était un nom propre authentique, aucune question ne pourrait surgir à propos de son existence"(Philosophie de l'Atomisme Logique, vi). "Dieu" n'est plus un nom propre mais l'abréviation d'une disjonction infinie de propriétés : "Dieu" remplace "l'être éternel ou l'être tout puissant ou l'être qui accomplit des miracles ou l'être infiniment aimant ou ...". Ce qui, soit dit en passant, correspond à la pratique religieuse juive qui a recours à des périphrases ("l'éternel", etc.) pour désigner la divinité et même, dans une certaine mesure, à la pratique musulmane qui, justement, la désigne par la description "la divinité" (Al Lâ) et non pas par un pseudo-nom propre comme dans la tradition chrétienne.

Wittgenstein va plus loin encore que Russell en faisant de "Dieu" l'abréviation d'une description tout à fait particulière : ce qu'il appelle un "concept formel", par opposition au concept empirique dont les caractères sont des propriétés sensibles pouvant faire l'objet d'une image confrontable à la réalité. Or il semble bien, à la suite de ce qui a été dit supra, que "être Dieu" en soit un aussi. Auquel cas "la question de l'existence d'un concept formel est dépourvue de sens car aucune proposition ne peut répondre à une telle question"(Tractatus, 4.1274)D'une manière générale, "que quelque chose tombe sous un concept formel comme l'un de ses objets ne peut être exprimé par une proposition. Mais cela se montre dans le signe même de cet objet"(Tractatus, 4.126). Sauf que, si "être un nombre premier" peut, en ce sens, se montrer dans le signe d'un nombre qui exhiberait effectivement la propriété formelle de divisibilité exclusive par lui-même et par un, en revanche, pour "être Dieu", on voit mal comment les propriété d'infinités, d'éternité, d'omnipotence, d'omniscience, etc. pourraient, de quelque manière, se montrer, sauf, peut-être de manière négative (cf. la théologie négative). Mais cela pose alors le problème du principe du tiers exclu dans lequel on prouve p en démontrant l'impossibilité de non-p et que refuse Wittgenstein. Du coup, "Dieu ne se révèle pas dans le monde"(Tractatus6.432). Ce qui veut dire que "la solution de l'énigme de la vie dans l'espace et le temps se trouve hors de l'espace et du temps. (Ce ne sont pas des problèmes de la science de la nature que ici nous avons à résoudre.)"(Tractatus, 6.4312).

La solution de "l'énigme de la vie" ne se trouve-t-elle donc pas dans la pratique religieuse plutôt que dans le discours religieux stricto sensu ? 

On a dit, il fallait bien le dire, que l'on croit à l'existence, et on a considéré le fait de ne pas y croire comme quelque chose de grave. Normalement, si je ne croyais pas à l'existence de quelque chose, personne n'irait penser qu'il y ait là quoi que ce soit d'étrange. Donc il y a cet emploi extraordinaire du mot "croire". On parle de croire et, dans le même temps, on n'emploie pas "croire" comme on le fait ordinairement [...]. Je pourrais imaginer quelqu'un qui montrerait une passion extrême dans sa croyance à un tel phénomène et dont je serais absolument incapable d'entamer sa croyance en disant : "l'apparition de ce phénomène pourrait tout aussi bien être due à telle ou telle chose", car il penserait alors qu'il y a là blasphème de ma part. 

Le problème de l'existence de Dieu est un problème de vie et non un problème théorique.

En admettant, comme le fait Wittgenstein, que "Dieu" est un concept formel et non un concept empirique, encore moins un nom propre, le problème de l'existence de Dieu est, en un certain sens, résolu par avance. En effet, "lieu géométrique et lieu logique s’accordent en ceci, que tous deux sont la possibilité d’une existence"(Tractatus, 3.411), réfutant ainsi ce qui, depuis Kant, est le fondement de l'épistémologie positiviste, à savoir l'idée que l'existence ne se prouve que par l'expérience sensible. Si un concept formel comme "Dieu" peut être, en quelque manière, être réputé exister, ce ne peut être que par postulation. Quine affirme quelque chose de ce genre, mais en généralisant à tous les types d'entités et, surtout, en soutenant qu'il y a toujours une forme de confirmation empirique de l'existence de l'entité postulée : " pour tout x, si x=a et u(x), alors u(a), et inversement, si u(a) alors il existe un x tel que x=a et u(x)"(le Mot et la Chose, §37). En tout cas, pour l'un comme pour l'autre, il ne faut pas chercher ailleurs la fonction de ce que les trois monothéismes appellent "profession de foi" et que les croyants ont l'obligation de prononcer pour affirmer leur appartenance religieuse : "Écoûte, Israël : l'Éternel est notre Dieu, l'Éternel est Un, et tu aimeras ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force" chez les juifs ; "j'atteste qu'il n'y a de Dieu que Dieu et que Muhammad est son Prophète" chez les musulmans ; "je crois en un seul Dieu, le Père tout puissant, Créateur du ciel et de la terre, de l'univers visible et invisible" chez les chrétiens. Il s'agit là, ni plus, ni moins, que de postuler l'existence de Dieu. Soit au sens grammatical que Wittgenstein donne à ce terme : [size=16]"l’essence d’une chose, c’est l’usage grammatical du mot correspondant. [...] C’est la grammaire qui dit quel genre d’objet est une certaine chose"(Recherches Philosophiques, §§371-373). Soit au sens pragmatique que lui donne Austin lorsqu'il remarque que certaines phrases, pourtant affirmatives "ne décrivent, ne rapportent, ne constatent absolument rien, donc ne sont pas vraies ou fausses [mais sont] l'exécution d'une action"(Austin, quand Dire c'est Faire, i). Soit encore, au sens éthique que lui donne Kant : 
"l’existence de Dieu est la condition requise pour qu’un monde intelligible soit le souverain bien [...] ; c’est un postulat de la raison pratique pure"(Critique de la Raison Pratique, V, 122). 

Pour Wittgenstein, il est tout à fait clair que l'existence de Dieu n'est pas un problème théorique. En effet, "[la religion] n’est tout simplement pas une théorie. Ou encore, si c’est une vérité, alors ce n’est pas celle qui semble, au premier abord, être exprimée par là. Plutôt qu’une théorie, c’est un soupir ou un cri"(Remarques Mêlées, 30). L'aspect essentiellement affectif de la croyance en l'existence de Dieu a été, maintes fois, souligné. Par Carnap : "lorsque quelqu'un affirme : "Il y a un Dieu", [...] nous ne lui disons pas "Ce que tu dis est faux", mais nous lui demandons :"Qu'est-ce que tu signifies avec tes énoncés ?" [...] Ces énoncés ne disent rien, mais ne sont en quelque sorte que l'expression d'un sentiment de la vie"(la Conception Scientifique du Monde). Ou par Weber : "la religion met l’accent sur le contenu affectif de l’instant pieux qui semble garantir le salut"(Économie et Société). Mais, pour Wittgenstein, ce n'est pas simplement un sentiment mais un problème de vie qu'il s'agit d'exprimer et, si possible, de résoudre : "la façon dont tu emploies le mot « Dieu » n'indique pas qui tu vises mais ce que tu vises [...]. Il me semble qu'une foi religieuse pourrait n'être qu'une sorte de décision passionnée en faveur d'un système de référence. Que, par conséquent, bien que ce soit une foi, c'est cependant une manière de vivre"(Remarques Mêlées, 50-64). Plus précisément, "l’on distingue une croyance religieuse à ce que tout dans la vie d’un individu obéit à la règle que fournit cette croyance"(Leçons sur la Croyance Religieuse, i). D'où l'hégémonie, la rigidité et l'intolérance qui la caractérisent. D'où, également, ses intrications historiques avec la morale, le droit et la politique. 

Nous avons ainsi pu constater que le terme "Dieu", loin d'être un banal nom propre, est le condensé d'un ensemble de propriétés qui ne sont pas expérimentables mais qui constituent les règles de grammaire d'un système de référence censé régir la vie tout entière.[/size]
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