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Wittgenstein et le thème de la religion dans les "Leçons et Conversations"

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(nota : toutes les passages en gras sont tirés de la traduction française parue chez Gallimard des Leçons et Conversations sur l'Esthétique, la Psychologie et la Croyance Religieuse de Ludwig Wittgenstein)



Wittgenstein se demande ici si une croyance religieuse n'est qu'une affirmation incertaine qui nécessite d'être étayée par des preuves. Et il y répond en disant que, tout au contraire, la foi religieuse, contrairement à l'hypothèse empirique n'a nullement besoin de preuves. 

Supposez un croyant qui dise : "je crois en un Jugement Dernier", et que je dise "eh bien, c’est possible, mais je n’en suis pas si sûr". Vous diriez qu’il y a un abîme entre nous. S’il disait "il y a un avion allemand en l’air" et que je dise "c’est possible mais je n’en suis pas si sûr", vous diriez que nous sommes assez proches l’un de l’autre. En disant "Wittgenstein, vous avez dans l’esprit quelque chose de complètement différent", vous pourriez exprimer par là non pas le fait que je sois plus ou moins proche de lui, mais au contraire que je me meus sur un plan complètement différent. 

Le verbe "croire" dans "je crois en un Jugement Dernier" n'a pas le même usage que dans "je crois qu'il y a un avion allemand en l'air".

Sur ce problème, la position de Wittgenstein a quelque peu évolué. À l'époque du Tractatus, Wittgenstein pense que "dans la forme générale de la proposition, la proposition n’apparaît dans une proposition que comme base d’une opération de vérité [...]. À première vue, il semble qu’une proposition puisse apparaître aussi dans une autre proposition d’une autre manière aussi. Particulièrement dans certaines formes propositionnelles de la psychologie, telles que « A croit que p a lieu », ou « A pense p », etc. Car superficiellement, il semble qu’ici la proposition p ait une espèce de relation avec un objet A. (Et dans la théorie moderne de la connaissance (Russell, Moore, etc.), ces propositions sont conçues de cette manière) [...]. Il est cependant clair que « A croit que p », « A pense p », « A dit p » sont de la forme « ‘p’ dit p »"(Tractatus, 5.54-5.541-5.542). Par exemple, Othello croit que Desdémone aime Cassio s'analyse, pour Wittgenstein, en « Desdémone aime Cassio » dit : Desdémone aime Cassio. Le contenu de la croyance d'Othello, (« Desdémone aime Cassio ») ne dit, ni plus ni moins, que ce que dit la proposition douée de sens Desdémone aime Cassio. C'est-à-dire qu'un énoncé affirmatif donné, qu'il fasse ou non l'objet d'une oratio obliqua, qu'il soit cité, pensé, cru, espéré, craint, etc., possède les mêmes conditions de vérité quel que soit le contexte d'énonciation. Bref, entre "je crois en un Jugement Dernier" et "je crois qu'il y a un avion allemand en l'air", il ne semble y avoir aucune différence de nature épistémique. Cela dit, le Tractatus préfigure déjà, sur ce point, deux traits fondamentaux de la philosophie de Wittgenstein : sa préoccupation pour le mode de projection à l'oeuvre dans le vouloir-dire, et sa préoccupation pour la saisie aspectuelle de toute donnée sur le monde extérieur.

D'une part, en effet, après avoir dit que "« un état de choses est pensable » veut dire : nous pouvons nous en faire une image"(Tractatus, 3.001), en Tractatus, 3.11, Wittgenstein écrit la chose suivante : "nous utilisons les signes perceptibles d'une proposition (parlés, écrits, etc.) comme la projection d'une situation possible. La méthode de projection consiste à penser le sens de la proposition". En rapprochant ces deux formules, nous pouvons inférer que la pensée du sens d'une image en général et de celui d'une proposition en particulier consiste à comprendre qu'il existe une méthode de projection d'un fait réel dans ladite image considérée elle-même comme un fait : la réalité ne se projette pas toute seule et spontanément dans une image mais nous prenons la décision de modéliser la réalité de telle ou telle manière bien déterminée (une maquette en trois dimensions, une photographie, une proposition en allemand, une proposition en latin sont autant de modes de projection différents d'un fait donné). Sans ce type de décision, le réel est ce qu'il est, mais reste indéterminé. D'autre part, dans l'aphorisme 5.5423 du Tractatus, voici ce que nous lisons : "percevoir un complexe signifie percevoir que ses parties constitutives sont dans telle ou telle relation. Ceci explique bien aussi que l’on puisse voir de deux manières la figure [Cube de Necker] et de même pour tous les phénomènes analogues. Car nous voyons réellement deux faits distincts". Ce qui est interprété généralement comme une illusion d'optique (je vois un cube dans un espace à trois dimensions) versus la perception réelle d'un objet (il y a deux carrés et deux parallélogrammes dans un espace à deux dimensions) est analogue à l'opposition que l'on fait tout aussi généralement entre une croyance (je crois qu'il y a là un cube) et une connaissance (je sais qu'il n'y a en réalité que deux carrés et deux parallélogrammes). Pour Wittgenstein, il est clair que si je perçois l'image comme l'image d'un cube orienté de telle façon et non de telle autre, c'est précisément parce qu'il est tout à fait possible (crédible) que les éléments de cette image entretiennent entre eux les mêmes relations que les référents réels de ces éléments.

En ce sens, ne peut-on pas dire qu'il est possible qu'il y ait un Jugement Dernier de la même manière qu'il est possible qu'il y ait un avion allemand dans le ciel ? 

Il se pourrait qu’aucune explication de ce que l’on a dans l’esprit ne fasse ressortir la différence si peu que ce soit. Pourquoi se fait-il alors que, dans ce cas, il semble que je passe à côté de l’essentiel ? Supposez un homme qui se donnerait pour cette vie la règle de conduite suivante : croire au Jugement Dernier [...]. Comment allons-nous savoir si nous pouvons dire qu’il croit ou non que le Jugement Dernier va arriver ? Le lui demander ne suffit pas. 

"Possible" veut dire désormais "permis par les règles de grammaire d'un jeu de langage donné" et non plus "empiriquement vérifiable".

Quine et Durkheim ont une position très proche du "premier" Wittgenstein. "La notion de "référence à" doit être reclassée en notion de "vérité de", et l’expression singulière f(A) doit être reclassé en expression générale d’extension singulière "il existe au moins un x tel que {f(x) et (x=A)}"(Quine, le Domaine et le Langage de la Science, iii). En d'autres termes, dire qu'on fait référence à une réalité appelée "Dieu", par exemple, c'est dire que l'on fait des phrases réputées vraies avec le terme "Dieu" comme sujet. Bref, dès qu'il y a consensus social pour admettre qu'il y a au moins une chose (x) qui possède telle ou telle propriété (f) et que l'on donne un nom à cette chose (A), alors cette chose existe et l'emploi de ce terme est légitime, qu'il s'agisse d'"atome" ou de "Dieu". De son côté, Durkheim écrit que "sous l’influence de l’exaltation générale, […] les Croisés croyaient sentir Dieu présent au milieu d’eux et leur enjoignant de partir à la conquête de la Terre Sainte, Jeanne d’Arc croyait obéir à des voix célestes, etc. […] mais c’est la société, par la seule action qu’elle exerce sur eux, qui leur donnait la sensation du divin"(les Formes Élémentaires de la Vie Religieuse, ii). Pour lui, il est tout à fait possible d'avoir la sensation (et pas seulement le sentiment) du divin et que c'est un certain habitus social qui, dans des circonstances déterminées, nous fait percevoir Dieu. L'un et l'autre satisfont le critère de validité épistémique de la croyance en général : "la vérité ou la fausseté d'une croyance dépend toujours de quelque chose d'extérieur à la croyance même [...] ; la vérité consiste dans une certaine forme de correspondance entre la croyance et le fait"(Russell, Problèmes de Philosophie, xii).

Or, pour Wittgenstein, ce critère ne vaut plus, désormais, pour toutes les formes de croyance. D'abord parce que l'intérêt qu'il portait, primitivement à l'essence formelle du langage en général se transforme en intérêt pour la diversité des "jeux de langage" particuliers, dans le sens où le choix des méthodes de projection de la réalité et la variabilité des aspects de la perception, qui n'introduisaient, initialement, que des différences de degré, déterminent désormais de véritables différences de nature : "l’expression "jeu de langage" doit ici faire ressortir que parler un langage fait partie d'une activité ou d'une forme de vie [...] ; il y a d’innombrables catégories d’emplois différents de ce que nous nommons"signes","mots","phrases". Et cette diversité n'est rien de fixe, rien de donné une fois pour toutes"(Recherches Philosophiques, §23). La croyance religieuse (la foi) et la croyance empirique (l'hypothèse) manifestent donc, désormais, deux jeux de langage distincts. Ensuite, parce que, désormais, et par voie de conséquence, à l'unité de la logique comme soubassement formel de tout le langage, se substitue la diversité des règles de grammaire : "l’harmonie entre la pensée et la réalité est à découvrir dans la grammaire du langage"(Grammaire Philosophique, I, 112). Dès lors, "l’essence d’une chose, c’est l’usage grammatical du mot correspondant. [...] C’est la grammaire qui dit quel genre d’objet est une certaine chose (la théologie n’est qu’une affaire de grammaire)"(Recherches Philosophiques, §373). En particulier, l'essence de la croyance religieuse est complètement différente de l'essence de la croyance empirique en ce que "[la religion] n’est tout simplement pas une théorie"(Remarques Mêlées, 30). Dire "il est possible (a fortiori, il est nécessaire) qu'il y ait un Jugement Dernier", c'est énoncer une proposition métaphysique. Or, "lorsque nous rencontrons le mot "pouvoir" dans une proposition métaphysique, nous montrons que cette proposition cache une règle grammaticale"(le Cahier Bleu, 55). A contrario, "au lieu de "on ne peut pas", dites "il n'y a pas dans ce jeu""(Fiches, §134). En ce sens, Russell a tort d'affirmer qu'"un credo religieux [...] prétend exprimer la vérité éternelle et absolument certaine"(Science et Religion), puisqu'il ne peut y avoir de vérité que relativement à une théorie. La grammaire (comme la logique), quant à elle, n'est pas vraie mais tautologique. Ce ne sont pas des théories.

Est-ce à dire que la foi religieuse, contrairement à l'hypothèse empirique, n'a pas besoin de preuve pour être valide ? 

Il dira probablement qu’il a des preuves. Or, ce qu’il a, c’est ce que nous pourrions appeler une croyance inébranlable. Cela ressortira non pas d’un raisonnement ou d’une référence aux raisons habituelles que l’on invoque à l’appui d’un croyance, mais bien plutôt du fait que tout dans sa vie obéit à la règle de cette croyance [...]. En fait, s’il y avait des preuves, ce problème s’évanouirait. Rien de ce que normalement nous appelons preuves serait de nature à l’influencer le moins du monde. 

Wittgenstein nous dit que le croyant (le fidèle) lui-même s'abuse sur la nature de sa croyance en prétendant détenir des preuves de sa validité. 

Il est exact que les croyants prétendent souvent posséder des preuves de la validité des leurs croyances. Que ces preuves soient prétendument empiriques ou soi-disant rationnelles, la notion de preuve a, historiquement, joué un rôle non négligeable dans la rhétorique théologique. Par exemple, Saint Paul dit que "depuis la création du monde, [l]es attributs invisibles [de Dieu] se laissent comprendre et contempler dans les créatures, spécialement son éternelle puissance et sa divinité"(Épître aux Romains, 1, 20). Par ailleurs, comme le souligne Quine, "si le mythe des objets physiques est supérieur à celui des dieux de l’Olympe, c’est qu’il s’est révélé être un instrument plus efficace, mais on peut, en cas d’expérience récalcitrante, soit modifier certains énoncés théoriques, soit préserver la vérité de la théorie en alléguant une hallucination [...] On peut toujours préserver la vérité de n’importe quel énoncé à condition d’effectuer les réajustements qui s’imposent"(les deux Dogmes de l’Empirisme, vi). De même, pour Durkheim, "les idéaux collectifs ne peuvent se constituer et prendre conscience d'eux-mêmes qu'à condition de se fixer sur des choses qui puissent être vues par tous, comprises de tous, représentées à tous les esprits : dessins figurés, emblèmes de toute sorte, formules écrites ou parlées, êtres animés, ou inanimés [...] Voilà comment un chiffon de toile peut s'auréoler de sainteté, comment un mince morceau de papier peut devenir une chose très précieuse"(Jugement de Valeur et Jugement de Réalité). Ou Weber : "parce qu’ils croyaient que la transformation de leur conduite était rendue possible par une force vive qui les poussait à augmenter la gloire de Dieu, qu’elle n’était pas seulement voulue par Dieu, mais surtout le fruit de son action, [les calvinistes] accédaient au bien suprême visé par cette forme de religiosité: la certitude du salut; bien que les bonnes œuvres ne puissent aucunement donner accès à la vie éternelle, elles sont cependant indispensables comme signes d’élection"(l’Éthique Protestante et l’Esprit du Capitalisme). Pour eux, le croyant possède bien des "preuves" des objets de sa croyance.

Wittgenstein fait remarquer deux choses. D'une part, "la théologie, qui insiste sur l’usage de certains mots et en bannit d’autres, ne rend aucune chose plus claire. Elle gesticule pour ainsi dire avec des mots parce qu’elle veut dire quelque chose et ne sait pas comment l’exprimer. Seule la pratique donne aux mots leur sens [...]. Quand celui qui croit en Dieu demande : “d’où vient tout cela ?”, il ne demande pas une explication causale [...]. L’un arrive à la religion presque par une espèce de philosophie, l’autre par un chemin qui ne le conduit même pas à proximité d’une philosophie"(Remarques Mêlées, 85). Autrement dit, la théologie est une sorte de philosophie. Elle énonce des règles de grammaire (elle "[size=16]insiste sur l’usage de certains mots et en bannit d’autres"). Du coup, elle n'a rien à voir avec la religion : "le discours religieux [vs théologique] est une partie intégrante de l’action religieuse et non une [pseudo-]théorie"(Leçons sur la Croyance Religieuse, i). C'est pourquoi, "convaincre quelqu’un de l’existence de Dieu, c’est quelque chose que l’on pourrait peut-être faire par une sorte d’éducation, par le fait que l’on donne à sa vie telle ou telle configuration. La vie peut éduquer à la croyance en Dieu. Et ce sont également des expériences qui font cela : mais non des visions, ou des expériences sensibles d’une autre espèce qui nous montreraient "l'existence de cet être", mais par des exemples de souffrances de diverses sortes. Et elles nous montrent Dieu non pas comme une impression sensible nous montre un objet, et elles ne nous le font pas non plus conjecturer"(Remarques Mêlées, 85). On croirait lire Pascal : "en adressant leurs discours aux impies, leur premier discours est de prouver la Divinité par les ouvrages de la nature [...]. C'est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles"(Pensées, B242). De sorte que c'est "en faisant comme si [vous] croy[iez], en prenant de l'eau bénite, en taisant dire des messes, etc., naturellement même cela vous fait croire"(Pensées, B233), et non pas à travers des préceptes théologiques, qu'on acquiert la foi authentique.


Donc, tout en usant du même verbe "croire", le jeu de langage de l'hypothèse empirique et celui de la foi religieuse sont complètement différents. Si le premier s'insère dans la construction d'une théorie et repose sur l'existence de preuves, celles-ci ne sont nullement nécessaires au second qui est essentiellement une pratique et se distingue aussi, par conséquent de la théologie.[/size]

(à suivre ...)


Dernière édition par PhiPhilo le Dim 21 Fév 2021 - 8:42, édité 2 fois

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comme il y a une suite à votre premier texte PhiPhilo, je n'aborderais celui-ci qu'avec trois remarques soutenus par une seule citation de Thomas d'Aquin dans la Somme de théologie
 QUESTION I — LA DOCTRINE SACRÉE. QU’EST-ELLE ? A QUOI S’ÉTEND-ELLE ?

 Article 5 — La doctrine sacrée est-elle supérieure aux autres sciences ?



et comme pour toute la somme, Thomas propose des objections délibératives pour donner un contexte au développement de sa réponse centrale voici la deuxième de objections : 2. "C’est le fait d’une science inférieure d’emprunter à une science supérieure : ainsi en est-il de la musique par rapport à l’arithmétique ; or, la doctrine sacrée fait des emprunts aux doctrines philosophiques ; S. Jérôme dit en effet dans une lettre à un grand orateur de Rome, en parlant des anciens docteurs : “ Ils ont parsemé leurs livres d’une telle quantité de doctrines et de maximes de philosophes qu’on ne sait ce qu’on doit admirer davantage, de leur érudition séculière, ou de leur science des Ecritures.” La doctrine sacrée est donc inférieure aux autres sciences."

 
Rép: 2. La science sacrée peut faire des emprunts aux sciences philosophiques, mais ce n’est pas qu’elles lui soient nécessaires, c’est uniquement en vue de mieux manifester ce qu’elle-même enseigne. Ses principes ne lui viennent en effet d’aucune autre science, mais de Dieu immédiatement, par révélation ; d’où il suit qu’elle n’emprunte point aux autres sciences comme si celle-ci lui étaient supérieures, mais au contraire qu’elle en use comme d’inférieures et de servantes ; ainsi en est-il des sciences dites architectoniques, qui utilisent leurs inférieures, comme fait la politique pour l’art militaire. Du reste, que la science sacrée utilise les autres sciences de cette façon-là, le motif n’en est point son défaut ou son insuffisance, mais la faiblesse de notre esprit, qui est acheminé avec plus d’aisance à partir des connaissances naturelles, d’où procèdent les autres sciences, vers les objets qui la dépassent, et dont cette science (la théologie) traite.
 
si ce théologien propose une hiérarchisation des savoirs c'est que ceux-ci s'ordonnent par leurs objets,(gradus entis) et comme le dit Aristote plus l'objet est de moindre potentialité plus il est connaissable en acte et [parfait] comme être, jusqu'au point de sa totale simplicité ou il cesse d'être connaissable, il n'y a pas de concept de dieu ni en philosophie ni pour le croyant ni de pour le théologien, la certitude de l'affirmation est donc proportionnée à la saisie de ce qui rend telle réalité connaissable, c'est pourquoi aussi Thomas propose comme première objection:"1. La supériorité d’une science dépend de sa certitude. Or, les autres sciences, dont les principes ne peuvent être mis en doute, paraissent plus certaines que la doctrine sacrée( théologie), dont les principes, qui sont les articles de foi, admettent le doute. Les autres sciences paraissent donc être supérieures."

  sa réponse est  : "1. Rien n’empêche qu’une connaissance plus certaine selon sa nature soit en même temps moins certaine pour nous ; cela tient à la faiblesse de notre esprit, qui se trouve, dit Aristote, “ devant les plus hautes évidences des choses, comme l’œil du hibou en face de la lumière du soleil ”. Le doute qui peut surgir à l’égard des articles de foi ne doit donc pas être attribué à une incertitude des choses mêmes, mais à la faiblesse de l’intelligence humaine. Malgré cela, la moindre connaissance touchant les choses les plus hautes est plus désirable qu’une science très certaine des choses moindres, dit Aristote.
 
finalement si Thomas propose cette perspective divergente entre les objets étudiés par la philosophie ou les sciences et les articles de foi, c'est que la nature même de l'acte qui les perçois est distinct, en effet croire pour le fidèle,(en "les choses les plus hautes est plus désirable") c'est un assentiment qui associe l'intelligence à la volonté d'aimer ce qu'il croit être des vérités de foi, cette perception du croyant n'a donc pas à craindre les autres intelligibilités, puisque sa raison est soutenue par la lumière de la révélation, qui implique une confiance en dieu, à cet égard l'erreur de Descartes a été de présupposer que la connaissance du divin était naturellement innée, alors qu'elle suppose (pour les chrétiens en tout cas) les vertus théologales et curieusement Thomas ira même jusqu'à dire que les Démons ne croient pas en dieu mais ils savent qu'il existe... 





Dans la partie centrale de son article(respondeo),il présente la réflexion qui seule peut faire admettre que la théologie comme acte de l'intelligence n'est pas irraisonnable, mais ne peut s'effectuer sans croire en dieu, puisque si l'on postule que l'acte de foi est progressivement ce qui fait le chercher toujours plus avant, l'intelligence comme la volonté se trouve interpellées par la révélation et par la tradition qui y est associée, la notion de preuves de l'existence de dieu est alors, non pas requise pour valider le discours théologique, mais devient une conviction de principe, une admission offerte par grâce puisque la foi, l'espérance et la charité sont les exercices vertueux de la vie divine, respectivement dans l'intelligence, la mémoire et la volonté, tendant à l'unification du croyant...



ainsi Thomas écrit comme réflexion centrale: "Nous avons dit que la doctrine sacrée, sans cesser d’être une, s’étend à des objets qui appartiennent à des sciences philosophiques différentes, à cause de l’unité de point de vue qui lui fait envisager toutes choses comme connaissables dans la lumière divine. Il se peut donc bien que, parmi les sciences philosophiques, les unes soient spéculatives et d’autres pratiques ; mais la doctrine sacrée, pour sa part, sera l’une et l’autre, de même que Dieu, par une même science, se connaît et connaît ses œuvres. Toutefois la science sacrée est plus spéculative que pratique, car elle concerne plus les choses divines que les actes humains n’envisageant ceux-ci que comme moyens pour parvenir à la pleine connaissance de Dieu, en laquelle consiste l’éternelle béatitude.
Et par là, Réponse est donnée aux Objections."

 
dès lors quand: "Wittgenstein nous dit que le croyant (le fidèle) lui-même s'abuse sur la nature de sa croyance en prétendant détenir des preuves de sa validité. 
doit-on comprendre qu'il n'admet la foi que comme une simple opinion ? 



de même quand vous dites PhiPhilo: "Il est exact que les croyants prétendent souvent posséder des preuves de la validité de leurs croyances. Que ces preuves soient prétendument empiriques ou soi-disant rationnelles, la notion de preuve a, historiquement, joué un rôle non négligeable dans la rhétorique théologique. "
faites vous de la théologie un discours comme tous les autres discours, malgré son objet qui est dieu ?jusqu'à dire :"Autrement dit, la théologie est une sorte de philosophie." 


pareillement la recherche de la vérité se résume-t-elle à proposer une distinction binaire de deux acceptions du verbe croire comme vous le suggérez dans ce passage : "Donc, tout en usant du même verbe "croire", le jeu de langage de l'hypothèse empirique et celui de la foi religieuse sont complètement différents. Si le premier s'insère dans la construction d'une théorie et repose sur l'existence de preuves, celles-ci ne sont nullement nécessaires au second qui est essentiellement une pratique et se distingue aussi, par conséquent de la théologie."
ou doit-on admettre que la connaissance de foi est une unité entre une pratique spécifique( vertu théologales) de l'intelligence unie à la volonté aimante comme dit plus haut...



j'attend impatiemment la suite de votre exposé...

Dernière édition par Zeugme le Lun 22 Fév 2021 - 5:54, édité 1 fois

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La doctrine sacrée est-elle supérieure aux autres sciences ?


Avec le Doctor Angelicus qui entreprend de concilier la raison aristotélicienne avec la foi chrétienne, on est, typiquement, dans la métaphysique au sens le plus traditionnel du terme, à savoir, de la grammaire qui s'ignore. C'est, précisément, ce qu'analyse et dénonce Wittgenstein (cf. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]). Cela dit, c'est d'autant plus intéressant que cette grammaire-là a eu une influence considérable dans l'histoire occidentale.

dès lors quand Wittgenstein nous dit que le croyant (le fidèle) lui-même s'abuse sur la nature de sa croyance en prétendant détenir des preuves de sa validité, doit-on comprendre qu'il n'admet la foi que comme une simple opinion ? 


Certainement pas, puisque nous venons de voir que, si le "je crois" au sens de l'hypothèse est bien une opinion susceptible d'être révisée, en revanche le "je crois" au sens de l'acte de foi est, par principe, insusceptible de révision. Notamment parce que l'acte de foi, nous dit Wittgenstein, ne relève pas de la connaissance mais de l'agir (cf. la suite de mon développement).


de même quand vous dites PhiPhilo: "Il est exact que les croyants prétendent souvent posséder des preuves de la validité de leurs croyances. Que ces preuves soient prétendument empiriques ou soi-disant rationnelles, la notion de preuve a, historiquement, joué un rôle non négligeable dans la rhétorique théologique" faites vous de la théologie un discours comme tous les autres discours, malgré son objet qui est dieu ? jusqu'à dire :"Autrement dit, la théologie est une sorte de philosophie." 


Non pas "un discours comme un autre", mais "une métaphysique comme une autre" (cf. Aristote et sa dichotomie métaphysique : d'une part l'ontologie qui étudie l'Être, d'autre part la théologie qui s'intéresse à l'Être en tant qu'Être).


la recherche de la vérité se résume-t-elle à proposer une distinction binaire de deux acceptions du verbe croire comme vous le suggérez dans ce passage : "Donc, tout en usant du même verbe "croire", le jeu de langage de l'hypothèse empirique et celui de la foi religieuse sont complètement différents. Si le premier s'insère dans la construction d'une théorie et repose sur l'existence de preuves, celles-ci ne sont nullement nécessaires au second qui est essentiellement une pratique et se distingue aussi, par conséquent de la théologie." Ou doit-on admettre que la connaissance de foi est une unité entre une pratique spécifique( vertu théologales) de l'intelligence unie à la volonté aimante comme dit plus haut...


Il n'y a pas de "vérité" de la foi dans la mesure où la foi n'est pas une connaissance mais une pratique. Rappelons au passage que les trois vertus théologales sont, outre la foi (dont le statut peut prêter à confusion), l'espérance et la charité qui n'ont rien à voir avec la vérité. Quand à la théologie, en tant que subdivision de la métaphysique, elle n'a pas non plus de valeur de vérité puisqu'elle n'est pas expérimentable.

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Bonjour.

Je signale que je n'ai pas encore lu les deux dernières interventions car j'étais en train d'écrire dans cet intervalle.

J'essaie encore un peu de me frotter à la Grammaire, sans saisir les subtilités de la logique de Wittgenstein.

Dans La nature des dieux de Cicéron, on peut lire : "une croyance sur laquelle tous les hommes sont naturellement d'accord est nécessairement vraie ; il faut donc admettre l'existence des dieux". On peut retrouver ce genre de proposition dans un livre de 1941 (Religion chrétienne. Dogme - Morale. Moyens de sanctification. Chanoine Le Grand) : "La croyance universelle en l'immortalité de l'âme est un fait historique... le sens commun de l'humanité ne peut universellement se tromper... ce que l'humanité croit unanimement est vérité de nature... Donc l'humanité ne se trompe pas : l'âme est immortelle."

Dites-moi si je dis des bêtises. Croyance et Grammaire sont intimement liés, c'est-à-dire que la logique (trompée par la structure de notre habitude de pensée et trompeuse) à l'œuvre dans ces phrases contient une autoréférence du fait de la production d'un langage dont on ne peut sortir. Ces phrases sont donc de nature métaphysique ; Cicéron et son successeur du XXème siècle étaient dans l'impossibilité de vérifier objectivement si leur proposition est vraie. En rendant la métaphysique consciente d'elle-même  par l'analyse grammaticale-logique des propositions, Wittgenstein avait l'intention d'"objectiviser" la Pensée.

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Croyance et Grammaire sont intimement liés, c'est-à-dire que la logique (trompée par la structure de notre habitude de pensée et trompeuse) à l'œuvre dans ces phrases contient une autoréférence du fait de la production d'un langage dont on ne peut sortir. Ces phrases sont donc de nature métaphysique


Tout à fait.

En rendant la métaphysique consciente d'elle-même  par l'analyse grammaticale-logique des propositions, Wittgenstein avait l'intention d'"objectiviser" la Pensée.


Si par "objectiver", vous entendez "déniaiser", oui, effectivement : "la philosophie est un combat contre la fascination que des formes d’expression exercent sur nous"(Wittgenstein, le Cahier Bleu, 27). Si cela veut dire "en faire un objet de connaissance objective", certainement pas. Ce serait du scientisme. La philosophie ne construit rien. Elle détruit (des idoles, dirait Nietzsche).
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