Cinéma et utopie
Au départ aucune utopie n’est bonne ou mauvaise, en rangeant de côté bien sûr les Fahrenheit 451 et autres Big Brother tiré de 1984 d’Orwell: ce sont des cauchemars tirés des totalitarismes nazi ou stalinien et il n’y a de “bonnes“ utopies que leur finalité… si l’on osait adopter ici un point de vue basiquement terre-à-terre ! Les utopies semblent condamnées TOUTES à finir en dystopies, selon une vision pessimiste laquelle est très répandue dans la littérature comme au cinema. L’excellent film de Spielberg “Minority Report“ et tiré d’une nouvelle de SF témoigne d’une sorte de péché originel lequel serait présent dans toute utopie : une mise en abîme. Ce par quoi tout a commencé…
De la conclusion de ce film émane un message étrange et indéfinissable au premier abord. Indéfinissable car très pessimiste sur le fond : il semble concerner toutes les utopies, même et surtout les plus séduisantes au départ. 
Dans ce projet de société utopique relaté dans l’introduction, il s’agit au départ de débarrasser la société du futur du crime grâce à une société dénommée PreCog. Celle-ci fonctionne grâce aux dons de précognition de trois frères et sœurs mutants et dont on ignore au début l’origine de leur pouvoir. On apprendra plus tard qu’ils sont nés avec ce don fusionnel suite à la toxicité des drogues consommées par leur mère durant sa grossesse. Ces derniers sont maintenus à l’état de zombies, prisonniers de cette société sous contrôle d’État et condamnés à la servir pour toujours : à cet effet ils seront dans une quasi léthargie et baigneront dans un liquide amniotique surnommé « la piscine ». Arrivant grâce à leurs précieux dons à prédire tout crime avant qu’il n’arrive, une brigade policière spéciale parviendra à empêcher les meurtres en se servant de leurs informations. À arrêter tout meurtrier avant qu’il ne commette l’irréparable: donc avant que le pire survienne… 
Comment tout cela a-t-il débuté ? Au cours d’un face-à-face final mémorable, on découvre qu’un crime a été initialement commis par le père fondateur joué par Max Von Sydow lequel s’est servi des talents de ces PreCogs pour maquiller un crime qu’il a lui-même commis sur la mère droguée de ces trois mutants. Afin de les lui subtiliser… Grâce à un stratagème technologique subtil, il a échappé à une arrestation laquelle aurait été suivie par un emprisonnement cryogénique à vie. Dans cette société débarrassée du crime on est condamné même si on n’a eu que l’intention d’accomplir un assassinat même sans l’avoir prémédité car seuls les PreCogs sont capables de les pré-voir: on est condamné à perpétuité sur simple présomption liée à leurs visions. Ces mutants sont reliés entre eux de façon fusionnelle ce qui permet une totale opérationnalité pour la société qui les emploie: bien malgré eux, car on ne leur a pas demandé leur avis avant de les maintenir dans cet état second de léthargie où ils pourront avoir leurs visions… Eux ne se trompent jamais et c’est là-dessus que repose tout le film, avec cette idée originale d’une société enfin débarrassée de toute possibilité d’homicide. Par anticipation de l’acte avant qu’ils ne soient commis.
Le projet initial de cette société utopique du futur a et c’est le message ambigu du film commencé par un meurtre, son péché originel. On peut trouver qu’il y a quelque chose de biblique là-dedans de par la référence voulue consciemment ou non à Abel et Cain: selon l’Ancien Testament nous serions tous descendants d’un assassin. Toujours selon la Bible, de par la chute originelle nous avons été amenés à transférer une partie de notre culpabilité à l’égard de Dieu vers une culpabilité mais sous une forme terrestre. Et bien terrestre, ce qui constitue un des nombreux aspects de la Révélation qui nous assigne une mission… 
La Chute est interprétée selon les exégèses comme conséquence du péché originel. 
Lorsque Eve fait croquer la pomme à Adam, ce n’est rien d’autre que la Pomme du Savoir qu’ils ont arraché de l’Arbre de la Connaissance laquelle est gardé par un Serpent surnommé le Tentateur, l’une des multiples facettes du Diable. Mais comme Dieu est omniscient toujours selon la Bible, il est jaloux de se voir dépossédé de cet attribut le définissant comme divin: il chassera donc Adam et Eve du Paradis avec cette phrase « vous prendrez conscience que vous êtes nus et serez comme des dieux qui verrez la différence entre le Bien et le Mal ». La naissance de la Morale est ainsi liée ou concomitante à l’origine du tabou de la nudité : Adam et Eve vivaient nus au Paradis avant d’en être chassés. Une fois arrivés sur Terre, la culpabilité du couple à l’égard de Dieu se doublera d’une autre culpabilité, une humaine cette fois. Bien terrestre et contingente… Le premier couple de l’histoire donnera naissance à deux fils dont l’un tuera l’autre. Cain sera condamné à expier son crime et demandera pardon à Dieu le restant de sa vie: retour à l’envoyeur si l’on osait formuler ainsi de façon un peu brutale cette question liée à l’origine de la culpabilité selon la religion… La Faute originelle se matérialisera sur Terre par ce qu’on peut caractériser comme une faute endémique ou consubstantielle envers l’Autre. Mais c’est une que l’on pourra expier par ses actions tandis que la première, celle contre Dieu lui-même ne peut s’expier que par les prières selon l’Église, avant tout par l’humilité devant son Créateur. 
Tout ça n’est pas très freudien orthodoxe comme interprétation et les psychanalystes risquent de me maudire après une interprétation pareille.