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La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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PhiPhilo a écrit:

Eh si, justement. Ils nous ressemblent. C'est bien pour cela que nous leur attribuons des prédicats anthropomorphes. L'anthropologue Philippe Descola a montré que, pour les Indiens Achuar d'Amazonie, les êtres qui nous ressemblent le plus sont ... les arbres ! Pour eux, effectivement, il y a bien un sens à dire qu'ils pensent, communiquent et éprouvent des sentiments. Alors, vous voyez, pour le nématode, tout espoir n'est pas perdu. Sauf que cela demeure un problème conceptuel qui relève de l'étude des cultures et civilisations humaines et non pas un problème empirique qui procéderait d'une découverte scientifique. De même, "“une machine est incapable de penser”, est-ce là une proposition basée sur l’expérience ? Non, nous ne pouvons l’affirmer que de l’homme et de ce qui lui ressemble"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §360). La relation de ressemblance n'étant pas transitive (peut ressembler à bà c, et ne pas ressembler à c), elle n'est d'aucune pertinence scientifique.


Vous jouez beaucoup sur « ce qui lui ressemble ». C’est justement ce qui m’a dès l’abord ennuyé dans la phrase de Wittgenstein. A raison, je pense. Ce « ce qui lui ressemble » est soit une ineptie soit une cheville. La phrase convenable est « c’est seulement de l’homme que l’on peut dire qu’il parle, qu’il a des sensations, qu’il voit, qu’il a des états de conscience etc. » Les singes les plus évolués ne parlent pas. Alors l’animal n’étant pas un homme, on ne peut pas dire qu’il éprouve des sensations. Donc on ne peut pas dire qu’il éprouve de la souffrance. Donc toute cruauté (enfin ce qu’on peut ressentir comme une cruauté) envers les animaux est acceptable…

Mais vous me direz : ce n’est pas parce qu’on ne peut pas dire qu’ils ressentent de la souffrance qu’ils n’en ressentent pas. Oui mais alors, vous et Wittgenstein faites de la souffrance animale une réalité au moins douteuse et de la cruauté envers les animaux une faute très hypothétique…

Mais alors qui va départager ? La philosophie pour qui la souffrance des animaux est fondamentalement douteuse ou la science qui peut étudier empiriquement, spécifiquement et le plus finement , le plus précisément possible les symptômes de la souffrance et proposer des systèmes permettant la production de cette souffrance, systèmes dont il est possible de vérifier empiriquement s’ils sont viables ou non ?

La science se pose aujourd’hui comme moi la question de la souffrance d’animaux extrêmement primitifs. Et c’est un progrès. Progrès que ne partage pas forcément la philosophie. Admettre comme je le fais que la sensation, la douleur, l’effort puissent avoir une réalité physique autant que psychique, être quantifiable, être appréhensible par des études empiriques, cela est, à mon sens, un progrès. Si la souffrance et l’effort existent substantiellement, quantifiablement comme la matière, leur existence ne peut plus être niée même dans le cadre d’un matérialisme moniste absolument rigoureux. Et si leur production est liée à un mécanisme qui s’articule sur les lois fondamentales de la matière, leur production par l’artifice humain est quasiment impensable.

Vous n’avez pas de mots assez durs pour Dehaene, mais sur la réalité psychique qui fait l’essentiel de la conscience, qui est quantité avant d’être qualité et sans laquelle les qualia n’auraient aucune consistance, vous avez la même position que lui. Entre quelqu’un qui est prêt à donner de la conscience aux machines et un autre qui est prêt à la dénier aux animaux – et qui sait ? - aux faibles d’esprit, voulez-vous m’obliger à choisir ?

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 18 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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Ce « ce qui lui ressemble » est soit une ineptie soit une cheville. La phrase convenable est « c’est seulement de l’homme que l’on peut dire qu’il parle, qu’il a des sensations, qu’il voit, qu’il a des états de conscience etc. » 


"Convenable" ? Hum ... Convenable pour qui ? A qui convient-elle, sinon à qui préfère le wishful thinking au fastidieux et périlleux effort de réfléchir au sens de l'expression "ressembler à". C'est quand même une curieuse (et, ma foi, assez peu rigoureuse pour un "scientifique") stratégie argumentative que de supprimer les termes gênants dans les propos de ses contradicteurs ! Car le problème central, dans "C’est seulement de l’être humain et de ce qui lui ressemble que l’on peut dire qu’il parle, qu’il a des sensations, qu’il voit, qu’il a des états de conscience, etc"(Wittgenstein, Recherches Philosophiques, §281), c'est évidemment, la notion de ressemblance à propos de laquelle Wittgenstein écrit encore ceci : "on pourrait être enclin à dire :"il faut assurément qu'une ressemblance nous frappe, sinon rien ne nous pousserait à utiliser le même mot". [...] Et pourquoi cela ne consisterait-il pas en tout ou en partie en ce que nous soyons incités à utiliser la même locution ?"(Wittgenstein, le Cahier Brun, 130). Allez, méditez au lieu de faire le buzz !

l’animal n’étant pas un homme, on ne peut pas dire qu’il éprouve des sensations. Donc on ne peut pas dire qu’il éprouve de la souffrance. Donc toute cruauté (enfin ce qu’on peut ressentir comme une cruauté) envers les animaux est acceptable…


Grandiose ! Première question : quelle est la source du scoop selon lequel "l'animal n'[est] pas un homme" (sic !) ? Deuxième question : comment (c'est-à-dire au moyen de quel système d'inférences) passez-vous de "l'animal n'étant pas un homme" (re-sic !) à "on ne peut pas dire qu’il éprouve des sensations" et à "toute cruauté (enfin ce qu’on peut ressentir comme une cruauté) envers les animaux est acceptable" ?

La science se pose aujourd’hui comme moi la question de la souffrance d’animaux extrêmement primitifs. Et c’est un progrès. Progrès que ne partage pas forcément la philosophie. Admettre comme je le fais que la sensation, la douleur, l’effort puissent avoir une réalité physique autant que psychique, être quantifiable, être appréhensible par des études empiriques, cela est, à mon sens, un progrès. Si la souffrance et l’effort existent substantiellement, quantifiablement comme la matière, leur existence ne peut plus être niée même dans le cadre d’un matérialisme moniste absolument rigoureux. Et si leur production est liée à un mécanisme qui s’articule sur les lois fondamentales de la matière, leur production par l’artifice humain est quasiment impensable.


La philosophie, contrairement au scientisme que vous représentez (notez que je ne confonds pas la science avec le scientisme) établit une distinction entre problème conceptuel et problème empirique. Le problème de la souffrance, bien qu'il repose sur une base matérielle (comme, d'ailleurs, n'importe quel problème) est conceptuel, c'est-à-dire lié à des considérations culturelles et, en particulier, linguistiques. S'il n'en fallait qu'une preuve, la confusion terminologique (pour ne rien dire de sa "rigueur" formelle) de votre préchi-précha ("réalité psychique", "existence substantielle", "matérialisme moniste absolument rigoureux", "mécanisme qui s'articule sur les lois de la matière", "production quasiment impensable") l'a déjà fournie.

Entre quelqu’un qui est prêt à donner de la conscience aux machines et un autre qui est prêt à la dénier aux animaux – et qui sait ? - aux faibles d’esprit, voulez-vous m’obliger à choisir ?


Le Godwin point n'est plus très loin. Encore une étape et vous me traiterez de nazi ! Cool, guy, be cool !

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PhiPhilo a écrit:
l’animal n’étant pas un homme, on ne peut pas dire qu’il éprouve des sensations. Donc on ne peut pas dire qu’il éprouve de la souffrance. Donc toute cruauté (enfin ce qu’on peut ressentir comme une cruauté) envers les animaux est acceptable…


Grandiose ! Première question : quelle est la source du scoop selon lequel "l'animal n'[est] pas un homme" (sic !) ? Deuxième question : comment (c'est-à-dire au moyen de quel système d'inférences) passez-vous de "l'animal n'étant pas un homme" (re-sic !) à "on ne peut pas dire qu’il éprouve des sensations" et à "toute cruauté (enfin ce qu’on peut ressentir comme une cruauté) envers les animaux est acceptable" ?

Ce n'est pas bien sûr mon point de vue que j'exprime là (vous l'avez fort bien compris !) mais les conséquences logiques de la proposition : "c'est seulement de l'homme que l'on peut dire qu'il parle, qu'il a des sensations, qu'il voit etc." Car cette proposition implique que qui n'est pas un homme n'a pas de sensations. Or l'animal n'étant pas un homme,cela implique qu'il n'a pas de sensations. Or la douleur étant une sensation, cela implique que l'animal ne ressent pas la douleur. Or si l'animal ne ressent pas la douleur, on ne peut être cruel envers lui en lui infligeant un traitement qui ne lui est aucunement douloureux. 

Je maintiens d'autre part que la phrase : "c'est seulement de l'homme ou ce qui lui ressemble, etc." est une ineptie ou une proposition creuse. Car "c'est seulement" annonce un cas très particulier et "ou ce qui lui ressemble" une généralité sans fin. Vous me dites qu'un chat ressemble à l'homme. Et pourquoi pas une méduse alors ? et une algue, et un poteau électrique qui se tient droit comme lui ?

Vous balancez votre phrase de Wittgenstein à schub comme une parole d'Evangile sans même une exégèse parce que Shub comme moi s'intéresse à la question de savoir si les plantes peuvent ressentir des sensations. Cette question était pertinente. Votre citation m'a paru vouloir signifier brutalement et péremptoirement que non.

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Vous balancez votre phrase de Wittgenstein à schub comme une parole d'Evangile sans même une exégèse parce que Shub comme moi s'intéresse à la question  de savoir si les plantes peuvent ressentir des sensations. Cette question était pertinente. Votre citation m'a paru vouloir signifier brutalement et péremptoirement que non.


Premièrement, contrairement à ce que vous faites, je ne "balance" rien mais je suggère une approche conceptuelle possible.

Deuxièmement, vous n'avez (encore) rien compris. La citation de Wittgenstein montre au contraire et à l'évidence (enfin, pas pour tout le monde), donc sans qu'il soit nul besoin d'une "exégèse", en quel sens on peut dire que les arbres "communiquent" entre eux et avec nous. D'autant que j'ai lié cette citation aux travaux de Philippe Descola qui vont dans la même direction. Accessoirement, la citation de Wittgenstein rappelle que seule une approche conceptuelle peut permettre de répondre à la question : dans quelle mesure peut-on attribuer à des êtres non-humains des prédicats anthropomorphes ? 

"c'est seulement de l'homme que l'on peut dire qu'il parle, qu'il a des sensations, qu'il voit etc." Car cette proposition implique que qui n'est pas un homme n'a pas de sensations. Or l'animal n'étant pas un homme,cela implique qu'il n'a pas de sensations. Or la douleur étant une sensation, cela implique que l'animal ne ressent pas la douleur. Or si l'animal ne ressent pas la douleur, on ne peut être cruel envers lui en lui infligeant un traitement qui ne lui est aucunement douloureux. 


Que ce soit "seulement de l'homme que l'on peut dire qu'il parle, qu'il a des sensations, qu'il voit etc.", ça, c'est vous qui l'écrivez. Wittgenstein écrit, tout au contraire, que c'est de l'homme et de tout ce qui lui ressemble qu'on peut dire que ... Par ailleurs, que vous soyez ou non l'auteur d'une proposition donnée p, vous êtes tenu (surtout sur un forum philosophique) à la même rigueur formelle à l'égard de p. Or comment passez vous de p1 "l'animal ne ressent pas la douleur" à p2 "on ne peut être cruel envers lui", étant entendu que p1 est un jugement factuel (c'est vous qui le dites) tandis que p2 est un jugement moral ?

Vous me dites qu'un chat ressemble à l'homme. Et pourquoi pas une méduse alors ? et une algue , et un poteau électrique qui se tient droit comme lui ?


Là, ça frise le délire paranoïaque ... Vous ne semblez pas avoir la moindre idée de ce en quoi consiste la relation de ressemblance. Souffrez- donc (si je puis dire !) que je vous en informe. Alors figurez-vous que la relation de ressemblance est le symétrique de la relation d'identité. Dire que a est identique à b, c'est dire que, pour toute propriété p, p(a)=p(b), autrement dit une propriété vraie de a sera aussi vraie de b et réciproquement. Cette relation est fondamentale en logique, en mathématique et en science parce que, procédant d'une généralisation universelle, elle est facile à nier : il suffit d'un seul contre-exemple. Tandis que dire que a ressemble à b, c'est affirmer qu'il existe au moins une propriété p telle que p(a) est vraie et p(b) est vraie. On voit tout de suite pourquoi une telle relation n'a aucune pertinence logique, mathématique ni scientifique. D'abord parce que, reposant sur une affirmation existentielle, elle est impossible à nier (il faudrait pour cela un nombre infini de vérifications). En d'autres termes, n'importe quoi peut être dit ressembler à n'importe quoi sur la base d'une propriété quelconque. Ensuite parce que la condition sus-énoncée est, certes nécessaire, mais non pas suffisante : à partir de combien de propriétés p communes à a et à b, a-t-on le droit d'affirmer que a ressemble à b ? On rejoint par là le problème du sorite déjà évoqué sur ce forum et dont la solution est conceptuelle, c'est-à-dire culturelle mais non pas empirique.

Bref, plutôt que d'appliquer à la citation de Wittgenstein la devise scientiste "philosophia, non legitur", vous auriez dû commencer par vous poser un certain nombre de questions relevant de ... la philosophie des sciences (l'épistémologie).

PS : s'agissant des chats, dont je suis un amoureux fervent et un admirateur inconditionnel, je me permets de vous rappeller ce qu'écrivait Baudelaire à leur sujet dans les Fleurs du Mal

Les amoureux fervents et les savants austères
Aiment également, dans leur mûre saison,
Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,
Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

Amis de la science et de la volupté,
Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;
L’Erèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,
S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;

Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

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Scientifique? Philosophique ? La nature de ce fil fait débat. il est intégré certes à un forum de philosophie mais dans une partie spécifiquement consacrée aux questions scientifiques. Et s'il était, sinon avant tout, du moins aussi, politique ? Politique bien sûr au sens large et non partisan du terme.

Pour éclairer ce point de vue, je me permets de copier ici mon dernier article publié par Agoravox le 20 octobre 2018 et intitulé : "Politique et neuroscience". La question finale qu'il pose se ramène à celle-ci : "La recherche scientifique en France en matière de neurobiologie et de neurologie doit-elle ou non être réaménagée ? "


                                                               
Politique et neuroscience 



La science et la politique ont rarement fait bon ménage. Galilée abjurant sa thèse sur la rotation de la terre autour du soleil sous la menace de l’inquisition est devenu l’emblème d’une science soumise à l’autorité d’une théocratie. Trois siècles plus tard, à Moscou non plus à Rome mais toujours au sein d’un système où la politique se soumet à l’idéologie, Lyssenko, soutenu par Staline, promeut au rang de théorie officielle opposée à la « science bourgeoise » une théorie pseudo-scientifique sur l’hérédité. Du même coup, il fait interdire d’enseignement les travaux de Mendel sur le même sujet, travaux dont la validité est maintenant universellement reconnue.

L’invasion de la neuroscience

Bien sûr de nos jours, notre république ne ferait pas taire Mendel ou Galilée mais son rapport à la science en est-il devenu sain pour autant ? Ce n’est pas sûr. Par peur de la soumettre, voilà qu’elle s’y soumet. Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive au collège de France, élu par des magazines comme pape du cerveau, est devenu président d’un conseil scientifique de l’éducation. Les théories qu’il développe sont en passe de faire loi en matière de pédagogie.

Dehaene n’est pas Lyssenko et Macron n’est pas Staline. Mais le domaine concerné se rapproche de nous crucialement. Ce n’est plus comme il y a trois siècles l’espace et le mouvement des corps célestes, ce n’est plus la question de l’hérédité qui ne concerne pas plus les hommes que les plantes, c’est quelque chose qui nous est intérieur au plus profond, qui est au cœur de notre vie, de notre signification, de notre humanité : notre conscience.

L’enjeu de la prise de pouvoir qui est en train de s’opérer semble échapper à tout le monde. La mise en place du conseil scientifique de l’éducation ne pourrait être qu’une étape du régentement par la science des individus. Ce n’est plus seulement la manière d’apprendre qu’elle irait contrôler, c’est la manière de se comporter, c’est la santé mentale. Dans le numéro 100 de « Cerveau et Psycho », Laurent Cohen, professeur de neurologie, et Christophe André, psychiatre, célèbrent ce qui n’est rien d’autre qu’une fusion de la neurologie et de la psychiatrie, cette dernière discipline étant appelée à disparaître au profit de la première. Plus de psychiatres bientôt dans les tribunaux mais des neurologues ayant seuls en charge de déterminer le niveau de responsabilité des accusés. Après l’éducation, c’est la justice qui est en passe d’être réglée par la neuroscience et avec elle peut-être le système pénitentiaire. Sébastien Bohler, rédacteur en chef de la revue « Cerveau et Psycho » que j’évoquais tout à l’heure, parle de neurodroit et de neuroéconomie en célébrant la révolution qu’apportera la neuroscience. C’est assez au moins pour montrer quelle place prépondérante elle vise à occuper dans tout le champ du politique. C’est assez surtout pour dire qu’il est temps que les politiques réagissent à son envahissement.

Une théorie erronée

Mais avant de réagir, il faut s’interroger. Si la théorie connexionniste de l’espace de travail conscient qui est celle à laquelle se résume l’approche neuroscientifique de la conscience apparaît indubitablement, définitivement juste, pourquoi s’alarmer ? Pourquoi au contraire ne pas se réjouir de voir de nouvelles formes d’intervention, de nouvelles réformes s’appuyer sur les certitudes de la science et non sur des idéologies subjectives et faillibles ? Certes des enseignants dépourvus ni d’expérience ni de sagacité se sont interrogés avec scepticisme sur le lien qu’il y aurait entre une théorie neuroscientifique même solidement établie et des recettes pédagogiques plutôt disparates et assez rudimentaires qu’on voudrait imposer en son nom. Mais je ne veux pas apporter mon grain de sel à un débat qui en est déjà saturé. Je préfère, avec Pierre Jacob, philosophe spécialiste des sciences cognitives ( 1 ), m’intéresser à la théorie sur la conscience de Stanislas Dehaene.

Dans son livre, «Le code de la conscience »( 2 ), le neuroscientifique présente sa théorie comme celle de « l’espace de travail neuronal global »( 3 ). Il précise que la conscience surgirait directement de « l’activité coordonnée des réseaux neuronaux »( 4 ). A la fin de son ouvrage, il illustre le fond de sa pensée en prétendant qu’on pourrait construire des ordinateurs conscients où des applications informatiques spécifiques pourraient communiquer entre elles « dans une sorte de presse-papier universel et autonome : l’espace de travail global » ( 5 ). Les sensations, les émotions, toute la réalité affective constitutive de l’expérience consciente subjective et intime que les philosophes ont appelé les « qualia » (6 ) serait le pur produit de cette activité intégrée et pourrait donc surgir dans une machine pourvue de de ces trois fonctions essentielles : « la communication flexible, la plasticité et l’autonomie »( 7). La pensée de Dehaene se distingue donc assez peu dans son principe de celle du philosophe américain Dennett pour qui la conscience est produite uniquement par un mécanisme computationnel.

Dans son article « Philosophie et neuroscience : le cas de la vision » ( 8), Pierre Jacob  enfonce dans cette théorie un coin qui me paraît décisif. Contrairement à Dehaene, il reconnaît le bien fondé d’une opposition entre l’expérience consciente subjective (le quale) et les propriétés neurophysiologiques du cerveau. Il s’intéresse particulièrement à cette distinction dans le cas de la vision humaine, s’appuyant « sur un ensemble cohérent de données expérimentales issues de l’électrophysiologie du singe éveillé, de l’étude des dissociations neuropsychologiques chez les patients humains cérébrolésés et de l’étude psychophysique de sujets humains normaux. » (9) Écoutons ce qu’il dit à propos des déficits visuels :
« Au cours des années 1980-1990, deux sortes de déficits visuels complémentaires et connus depuis des décennies ont été systématiquement comparés : l’ataxie optique et l’agnosie visuelle de la forme. Ils constituent ce que les neuropsychologues nomment une « double dissociation ». Le premier déficit est produit par une lésion dans les aires pariétales supérieures (c’est à dire la voie dorsale). Le second déficit est produit par une lésion dans les aires inféro-temporales (c’est à dire la voie ventrale). Chez les patients ataxiques optiques, le transport de la main au voisinage d’un objet à saisir et la conformation de la pince digitale destinée à saisir l’objet sont perturbés par le déficit visuomoteur. Mais ces patients reconnaissent la forme, la taille et l’orientation des objets qu’ils éprouvent des difficultés à saisir. Les patients agnosiques ne peuvent pas reconnaître visuellement la forme, le contour, l’orientation et la taille des objets, mais ils sont capables d’actions manuelles visuellement guidées et dirigées vers des objets. Si les patients agnosiques, et surtout ceux qui n’ont qu’une vision résiduelle (ou « aveugle »), ne recevaient aucune information visuelle sur la taille, l’orientation et la forme de la cible, ils ne pourraient pas la saisir efficacement. On pourrait nier qu’ils voient les objets qu’ils parviennent à saisir. Je préfère dire qu’ils voient la taille, l’orientation et la forme d’un objet sans les percevoir, c’est à dire sans en être visuellement conscients. »( 10 )

Cette conclusion d’étude différencie clairement deux systèmes perceptifs à partir de la réception sensorielle des yeux. Un premier système qui passe par le quale de l’image : l’observateur voit au sens propre du mot l’objet observé, il en a une image consciente. Un second système qui ne passe pas par le quale de l’image : l’observateur ne voit pas au sens propre du mot, il n’a pas une image consciente de l’objet observé ni de l’espace dans lequel il se situe mais il peut le saisir comme s’il le voyait et en utilisant des informations qui passent forcément par le système visuel. Dans les deux cas, il y a une activité neuronale. Dans les deux cas, les informations qui peuvent conduire à la perception de l’objet ou à sa préhension passent par l’activité cybernétique des connexions, la libération selon un algorithme donné des potentiels d ‘action, donc par une mécanique qu’on peut qualifier de computationnelle ou de numérique. Mais dans un cas, cette mécanique est corrélée à l’apparition d’une image et, dans un autre, elle ne l’est pas. Donc l’idée que cette mécanique soit productrice de l’image apparaît à l’évidence fausse.

On pourrait dire que, dans un cas, celui du déficit visuel conduisant à la « vision aveugle », cette mécanique ne joue pas complètement pour la raison du déficit d’informations parvenant par la voie ventrale, que l’image ne peut apparaître que si existe une totalité d’informations visuelles numériques intégrées. Mais alors, comment expliquer que, dans le cas de l’agnosie, l’image perçue ne puisse pas permettre à l’observateur de saisir le moindre objet ? Dehaene parle dans « Le code de la conscience » d’un « Picasso éviscéré » (11) pour expliquer ce à quoi justement ne ressemble pas l’image perçue grâce à l’activité d’intégration des contenus informationnels qui la constituent. Je ne peux que reprendre ici, sous l’autorité de Pierre Jacob, ce que je lui ai déjà répondu : « Différentes formes d’agnosie consistant dans un déficit de la reconnaissance des formes, des couleurs, de l’orientation des objets peuvent justement faire ressembler la vision de certains patients à un « Picasso éviscéré » mais n’empêchent nullement le surgissement d’une réalité visuelle à la conscience »( 12 ). C’est là une nouvelle raison de penser que la mécanique computationnelle n’est pas celle qui engendre le quale de l’image.

Qu’elle ne soit pas celle qui engendre toute autre espèce de quale, qu’elle ne soit pas celle qui engendre tout simplement la conscience, le somnambulisme en apporte une preuve nette. Les sujets qui en sont atteints peuvent non seulement marcher les yeux ouverts en évitant les obstacles mais, par exemple, ouvrir un frigo et se servir à manger. Non seulement dans de très nombreux cas, au moment d’un réveil brutal ou après coup, ils reconnaissent n’avoir eu aucune conscience de leur vécu particulier mais une étude récente a montré qu’ils pouvaient être totalement insensibles à une douleur cuisante comme celle d’une fracture, qui ne se révélait à eux qu’à leur réveil (13 ).

Bien sûr les somnambules ne sont pas de purs « zombies »(14). S’ils peuvent parler et même écrire, leurs « performances » sont toujours limitées dans le temps et ressemblent plus souvent à celles d’un enfant ou d’un fou qu’à celles d’un homme réfléchi. Mais on est sûr que la mécanique computationnelle à l’œuvre chez le sujet conscient l’est aussi chez eux, conduisant leur perception, leur permettant de se mouvoir, de s’orienter, d’agir de façon efficace jusqu’à un certain point. Et cela suffit donc à démontrer que ce n’est pas cette mécanique-là qui produit le quale, l’expérience consciente subjective qu’évoquait Pierre Jacob.

Quelle serait cette mécanique ? Ayons l’humilité et l’honnêteté de dire que l’on ne la connaît pas encore. Peut-être tout simplement qu’elle n’existe pas. Que ce qui donne substance aux sensations, aux émotions, aux désirs, aux plaisirs, aux souffrances, à l’effort provient d’une réalité transcendante dont certains métaphysiciens, mystiques ou religieux pourraient parler avec pertinence mais qui serait à tout jamais exclu du champ de la recherche scientifique. Mais peut-être aussi qu’elle existe bel et bien, et aussi précisément que l’autre. Cette mécanique (et c’est là toute la difficulté !) pourrait intervenir presque toujours conjointement avec l’autre et reposer au moins pour partie, comme elle, sur l’activité des neurones. Mais au lieu que la mécanique computationnelle se base sur la transmission ou le blocage de potentiels d’action selon une logique binaire, cette mécanique se baserait sur la fréquence de chaque potentiel d’action et sur la modulation de champ magnétique que l’activité coordonnée de tous produirait dans le temps. Cette mécanique serait directement liée à l’activité de forces affectives primaires selon un rapport analogique et produirait leur modulation conjointe. De cette conjonction et de cela seul, naîtrait le quale, l’expérience consciente subjective. J’ai qualifié cette mécanique de moduliste et j’ai donné le nom de modulisme à l’hypothèse qui la soutient.

La recherche sur la conscience doit devenir un sujet politique essentiel

Mais mon propos n’est pas ici de ré-expliquer mon hypothèse psycho-physique sur la conscience. Je l’ai exposée en détail par ailleurs ( 15 ). Mon propos est avant tout politique. Et il est temps de le dire maintenant, la neuroscience qui semble désormais se baser toute entière sur la théorie de « l’espace de travail neuronal global » de Dehaene doit être jugée comme une mauvaise approche de la conscience. Pour s’en convaincre, il suffit de relire Dehaene lui-même commentant le philosophe Chalmers :
« Une fois revisité à l’aune des neurosciences cognitives et de l’informatique, le problème difficile de Chalmers s’évaporera sans laisser de traces… Dans quelques décennies, la notion même de qualia, ces quanta d’expérience pure, dépourvus de tout rôle dans le traitement de l’information, sera considérée comme une idée étrange de l’ère préscientifique... »(16)

J’avoue n’être pas prophète contrairement à Monsieur Dehaene qui connaît aussi bien l’opinion prépondérante dans quelques décennies que la façon dont on fabriquera des ordinateurs pourvus de conscience. Je peux seulement comme tout un chacun me tourner vers le passé et dire qu’on n’a jamais vu de prétendus savants mépriser à ce point l’objet de leur science qu’ils le dépouillent de tout contenu. Les qualia, Monsieur Dehaene, ce n’est pas seulement l’expérience sensorielle et sensuelle, ce sont les émotions, les sentiments, la force éprouvée du désir, de la volonté, de l’effort et même les idées qui, sorties de la conscience, ne sont que des abstractions, des coquilles creuses. Ce sont eux et eux seuls qui constituent la conscience, une réalité dont vous n’avez encore jamais pu parler et dont de futurs ordinateurs, si bien pourvus de « communication flexible, de plasticité et d’autonomie » qu’ils soient, ne pourront jamais produire que des fantômes.

S’il paraît scandaleux de confier un pouvoir à la tête d’un conseil scientifique à quelqu’un qui tient des propos aussi aberrants, la façon dont les fonds publics consacrés à la recherche en matière de neurologie sont accaparés par la neuroscience me paraît également poser un grave problème. J’ai essayé de montrer ici qu’il y avait au moins une autre hypothèse scientifique alternative pour expliquer le mécanisme qui produit la conscience. Il y en a bien sûr plusieurs autres. Mais toutes ces hypothèses ont besoin de se frotter à la recherche expérimentale et donc de recevoir des moyens pour cela. Un seul exemple : mon hypothèse moduliste nécessite d’examiner très finement la forme de modulation du champ magnétique corrélée avec tel ou tel ressenti et il faudrait sans doute améliorer pour cela les performances des magnétoencéphalographes. La recherche en matière scientifique n’a de réelle valeur que si elle permet de confronter des équipes de chercheurs travaillant sur des hypothèses concurrentes. Vu l’importance je le répète cruciale du sujet, cela doit être peut-être plus qu’ailleurs le cas en neurologie.

Non seulement les partis au pouvoir mais tous les partis politiques devraient inclure la réflexion sur la conscience dans leur vie interne comme ils incluent par exemple la réflexion sur le climat et l’environnement, même si, à l’heure actuelle, la nécessité ne s’en fait pas aussi dramatiquement sentir. Des équipes de militants passionnés par le sujet pourraient travailler de pair avec des philosophes, des psychologues, des psychiatres, des neurobiologistes (17 ) pour dresser en quelque sorte un état des lieux des hypothèses présentes qui ont besoin d’avoir recours à la recherche, pour réfléchir sur la façon équitable de financer ces recherches, pour envisager peut-être des réformes des instituts de recherche eux-mêmes comme le CNRS.

La politique se doit d’empêcher l’invasion de la neuroscience qui se considère faussement comme une science de la conscience humaine. Mais elle doit aussi, de toute urgence, favoriser la réflexion et la recherche pluraliste sur un sujet essentiel à notre humanité.

1-Pierre Jacob est maître de recherche au CNRS et directeur de l’institut Pierre Nicot.
2-publié chez Odile Jacob en 2014
3 et 4- Code la conscience, p.222
5-ibid p.354
6- Le mot « qualia » est le pluriel du mot « quale ». Quale est la forme neutre du pronom indéfini latin qualis. On pourrait traduire quale par la chose telle quelle, la chose en soi, la chose dont on parle ici étant un fragment de conscience.
7-Code de la conscience, p.353
8-publié en 2004 aux éditions Ophrys au sein d’un ouvrage collectif intitulé : « La Philosophie cognitive », rédigé sous la direction d’Elisabeth Pacherie et Joëlle Proust.
9-La Philosophie cognitive, p.208
10-Ibidum, p.217-218
11-Le Code la conscience, p.244
12’-https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/stanislas-dehaene-nous-a-t-il-170388
13-https://www.sciencesetavenir.fr/sante/sommeil/le-paradoxe-du-somnambule-il-souffre-de-migraine-mais-ne-ressent-pas-la-douleur_102249
14- « Chalmers suggère qu’on peut imaginer des êtres dénués d’expérience consciente subjective – les zombies – qui seraient physiquement et fonctionnellement indiscernables d’êtres conscients », Pierre Jacob, La Philosophie cognitive, p.207
15-https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/une-niche-pour-la-conscience-2-2-177798
16-Le Code de la conscience, p.356
17-J’aurais pu ajouter à cette énumération des physiciens. La physique me semble avoir quelque chose à dire sur le mécanisme qui conduit à la conscience.
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