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Spinoza : un philosophe à part.

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Liber le Mer 22 Aoû 2012 - 11:15

JimmyB a écrit:
Liber vous concéderez quand même que le Dieu de Spinoza n'a pas grand lien avec le Dieu des religions monothéistes.
Ces religions conçoivent un univers expliqué par l'intelligence. Spinoza continue cette tradition, mais ni Schopenhauer ni Nietzsche.

Dernière édition par Euterpe le Mar 9 Aoû 2016 - 12:13, édité 1 fois

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Silentio le Mer 22 Aoû 2012 - 13:36

Zingaro a écrit:
Comment a été accueillie son œuvre par ses contemporains ?
Spinoza a été excommunié de sa communauté juive et poursuivi, menacé de mort, dénoncé comme hérétique par toutes les religions. On peut parler de persécution. C'était vraiment l'ennemi à abattre à cause de son athéisme. Je pense que le seul à avoir connu la même haine, à s'être attiré les foudres de toute l'Europe, fut Rousseau. Et lui a été rendu fou.

Liber a écrit:
Le premier grand philosophe à s'être affranchi du judéo-christianisme est Schopenhauer. On ne peut pas dire d'un philosophe qu'il est sans influence de la religion quand il écrit un livre où Dieu tient une place centrale. Certes, Schopenhauer a fait de la pitié chrétienne le fondement de sa morale, mais ce fut en toute lucidité et a plus à voir avec le bouddhisme, du reste.
Pour le peu que j'en ai lu, il me semble tout de même bien plus hériter d'une forme de pensée ou d'une image de la pensée teintée de christianisme et de platonisme. L'existence comme souffrance, le problème de l'individuation (incarnation), la volonté de s'oublier dans la contemplation des Idées, sa morale quasi-rousseauiste fondée sur la pitié, l'idéal de sainteté, etc. Il est clair qu'on se défait difficilement de ce qui nous influence, on pense dans notre époque et en rapport à une histoire, de la même façon qu'on n'est pas réductible à ces influences et que le philosophe s'en affranchit du mieux qu'il peut pour conquérir sa singularité. Même Nietzsche ou Heidegger sont encore chrétiens par certains aspects. Schopenhauer, bien qu'opposé à Hegel, ne me semble pas si éloigné de ce dernier au sens où l'idéalisme de l'un et de l'autre charrie avec lui une approche de la vie qui s'inscrit bien dans la pensée chrétienne (à ceci près que Hegel, penseur du négatif, est aussi le penseur de la dialectique : le salut se trouve dans le Progrès, le mal n'a pas vraiment d'existence puisqu'il est justifié, l'histoire en fait la rédemption, l'absout, là où Schopenhauer ne trouve pas de remède, sinon dans l'ascèse et la sublimation : il n'y a d'histoire, d'ex-istence, qu'au prix du mal, de la division, de la partition, du conflit, du désaccord, de la sexualité, du désir, du manque d'être, sinon il y aurait l'Un et non le multiple de notre réalité). D'ailleurs, Kierkegaard lira Schopenhauer à la fin de sa vie, cet athée pessimiste conscient de la cruauté et de la férocité de la vie, et se retrouvera énormément dans sa pensée, dans son approche des choses, de sa compréhension de la condition humaine, etc. C'est peut-être, comme le pense Clément Rosset, qu'il faut considérer Schopenhauer comme un philosophe de l'existence et de son absurdité. Certains parleront d'une philosophie tragique, d'autres verront qu'il y a peut-être un fond commun avec le christianisme (je pense qu'on pourrait rapprocher Pascal et Schopenhauer par exemple). Je pense que c'est surtout dû à l'anthropologie pessimiste, négative, des uns et des autres. D'une certaine manière c'est ce qui m'attire chez Schopenhauer, cette universalité qui conjugue tragédie, platonisme et christianisme (avec toutefois le vitalisme, certes assombri, d'un Spinoza).

Liber a écrit:
Il y a davantage dans la critique de Nietzsche envers Spinoza qu'une rancoeur personnelle. Effectivement, le judaïsme est la clé de cette critique. Cela lui vient de Schopenhauer, qui ne cachait pas son antisémitisme. Spinoza n'était pas "trop juif", il était juif et cela suffisait à le rendre suspect aux yeux de Nietzsche, pour qui la décadence de la pensée occidentale a pour cause "l'idéal de la Judée". Pourquoi n'a t-il pas critiqué Gœthe, pourtant admirateur de Spinoza ? Parce que Gœthe s'était tourné vers Rome et la Grèce. Pour Nietzsche, hors ces deux pays, tout le reste est teinté de judaïsme (surtout l'Allemagne et la France).
Vous avez raison, Liber. Il faut toujours considérer que l'auteur a de bonnes raisons de faire ce qu'il fait et vous expliquez très bien la raison de cette critique de Spinoza. Mais en même temps, personnellement, je trouve que cela relève du préjugé, de l'obsession et je suis un peu surpris du traitement réservé par Nietzsche à son prédécesseur. Il me semble, comme le suggérait plus ou moins Euterpe dans une autre discussion, que Spinoza a toujours été l'épine dans le pied du philosophe allemand. Je ne suis pas certain que l'explication par le judaïsme, même si elle est avérée, rende le propos de Nietzsche plus intelligent. Par contre, vous oubliez les critiques faites en raison des éléments chrétiens et métaphysiques de l'œuvre de Spinoza.

Liber a écrit:
Ces religions conçoivent un univers expliqué par l'intelligence. Spinoza continue cette tradition, mais ni Schopenhauer ni Nietzsche.

Là où Spinoza est l'héritier de l'idéalisme (et bien plus le rationalisme) de Descartes en mettant en avant l'entendement (fini chez l'homme, infini en Dieu), Schopenhauer choisit de prendre la voie de la volonté comme puissance d'affirmer ou de nier illimitée, infinie (cette fois-ci puissance vitale). Mais les deux ont en commun de se débarrasser du libre-arbitre chrétien et cartésien. Schopenhauer ne me semble pas pour autant réhabiliter le corps, siège de la volonté, qui est toujours le "tombeau de l'âme", laquelle meurt d'envie de se libérer du monde sensible (dans lequel s'incarne et se divise la volonté qui s'entre-déchire, se dévore elle-même), de ne plus pâtir de l'existence là où, paradoxalement, Spinoza privilégie aussi bien l'esprit que le corps, on ne peut les séparer et il importe de vivre dans ce monde, il n'y a qu'une seule substance (immanence), pas d'au-delà. Intensifier la vie spirituelle est donc peut-être bonne pour le corps. Le plus idéaliste des deux n'est donc pas celui qu'on croit !

Dernière édition par Euterpe le Mar 9 Aoû 2016 - 12:24, édité 1 fois

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Euterpe le Lun 12 Nov 2012 - 1:14


Silentio a écrit:
Rousseau s'en est certainement inspiré mais n'en dit rien à ma connaissance. Diderot l'a lu et s'en est inspiré pour son matérialisme vitaliste. Je pense à d'autres matérialistes comme le baron d'Holbach. N'oubliez pas Kant non plus.

Leo Strauss affirme aussi un lien entre Spinoza et Rousseau. Pour ma part, j'en doute. Le fameux déisme de J. J. R., aussi sensible fût-il, n'a rien de spinoziste, il désigne la transparence à soi (la nature), par opposition à la société. Les conventionnels, en instituant le culte de l'Être suprême, par référence directe et explicite à Rousseau, montrèrent comme il était facile de réduire le déisme rousseauiste à presque rien. On ne trouve aucun déisme chez Spinoza.

Desassossego a écrit:
J'ai peu lu Kant, mais de ce que j'en ai lu, je n'ai retrouvé nulle part Spinoza ou une influence de sa philosophie ! Kant n'a décidément rien à voir avec lui... Y a-t-il des aspects de la philosophie kantienne ou Spinoza semble être une influence ?

Influence, non ; référence, oui.

Silentio a écrit:
Kant a lu Spinoza et lui répond. Je pense qu'on peut opposer les deux.


La Critique de la faculté de juger est même l'une des "réponses" kantiennes (et même tout court) les plus abouties au spinozisme (mais ça commence avec Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée ?, œuvre avec laquelle Kant se jette dans la querelle du panthéisme). On peut lire, entre autres textes, le § 86 de la CFJ : De la théologie éthique (p. 419 de l'éd. folio) :
Kant, Critique de la faculté de juger a écrit:
Il est un jugement dont l'entendement le plus commun lui-même ne peut se défaire, lorsqu'il réfléchit* sur l'existence des choses dans le monde et sur l'existence du monde lui-même : c'est que toutes les diverses créatures, quelle que puisse être la grandeur de l'art de leur organisation ou la variété du rapport qui les relie selon des fins les unes aux autres, et même l'ensemble de leurs multiples systèmes, que nous appelons incorrectement des mondes, seraient là pour rien s'il n'y avait pas des hommes (des êtres raisonnables en général) ; c'est-à-dire que sans les hommes la création tout entière ne serait qu'un simple désert, inutile et sans but final. Mais ce n'est pas non plus par rapport au pouvoir de connaître de l'homme (raison théorique) que l'existence de tout le reste dans le monde prend sa valeur, pour qu'il y ait par exemple quelqu'un qui puisse contempler le monde. Car si cette contemplation du monde ne lui permettait de se représenter rien que des choses sans but final, le fait d'être connu ne pourrait donner à l'existence du monde aucune valeur.

*Il est impératif de connaître et comprendre la distinction kantienne entre raison déterminante et raison réfléchissante (cours de Jacques Darriulat). S'il tel n'est pas le cas, inutile d'aller plus loin.


On ne peut écrire un passage plus opposé au spinozisme. Comme le rappelait Pierre-François Moreau, chez Spinoza, "la force de l'idée vraie est intrinsèque". Connaître, c'est comprendre, c'est agir. La question n'est pas de savoir si ce que je connais me convainc ou emporte mon adhésion, ça n'a aucun sens de se poser la question du point de vue du spinozisme. A l'opposé, Kant affirme clairement que s'il ne s'agissait que de connaître, le jeu n'en vaudrait pas la chandelle. Kant ne fait pas confiance dans la connaissance (et la distinction entre entendement et raison a déjà été faite, en lieu et place de la distinction entre foi et raison). Du reste, on sait bien qu'elle n'accède guère au-delà des phénomènes. Continuons (pp. 419-420) :

Kant, Critique de la faculté de juger a écrit:
Mais ce n'est pas non plus par rapport au sentiment de plaisir et de la somme des plaisirs que nous pensons un but final de la création comme donné, car ce n'est pas le bien-être, la jouissance (qu'elle soit corporelle ou spirituelle), en un mot le bonheur, qui est le critère d'appréciation de cette valeur absolue. Car, du fait que l'homme, dans son existence, fasse pour lui-même du bonheur son intention finale, il n'y a aucun concept justifiant son existence en général, ni sa propre valeur pour qu'il se rende son existence agréable. L'homme doit donc déjà être présupposé comme but final de la création pour avoir un fondement rationnel justifiant le nécessaire accord de la nature à son bonheur, quand elle est considérée comme un tout absolu selon les principes des fins. Ce n'est donc que la faculté de désirer, mais non pas celle qui fait dépendre l'homme de la nature (par le penchant sensible), ni celle par rapport à laquelle la valeur de son existence repose sur ce qu'il reçoit et sur ce dont il jouit, mais la valeur qu'il peut seul se donner lui-même et qui réside dans ce qu'il fait, dans sa manière de le faire et dans les principes selon lesquels il agit, non pas comme membre de la nature, mais dans la liberté de sa faculté de désirer, c'est-à-dire une bonne volonté, qui est ce par quoi son existence peut avoir une valeur absolue, et par rapport à quoi l'existence du monde peut avoir un but final.


Passage incompréhensible pour qui n'a pas lu la CRPratique et la Métaphysique des mœurs. Pour le raccourci (et pour les plus paresseux), vous pouvez vous reporter directement au § 1 de la CRPratique (Définition), et au 2e (Théorème I), p. 37-41. En somme, la nature et le désir, ici, sont une seule et même chose (cf. Spinoza). Or, la liberté de la faculté de désirer, c'est la volonté bonne, i. e. soumise à la raison, i. e. une volonté sans désir. Ou comment réinstituer le libre-arbitre. Or, dans la Critique de la raison pratique, § 2, Kant dit ceci (p. 40) :
CRPratique a écrit:
J'entends, par matière de la faculté de désirer, un objet dont la réalité est désirée. Lorsque le désir de cet objet précède la règle pratique* et se trouve être la condition requise pour s'en faire un principe, je dis (...) que ce principe est alors toujours empirique. Car le principe déterminant de l'"arbitre" est alors la représentation d'un objet et le rapport de cette représentation au sujet, par lequel la faculté de désirer est déterminée à la réalisation de cet objet. Or, un tel rapport au sujet se nomme le plaisir pris à la réalité d'un objet. Donc ce plaisir devrait être présupposé comme condition de la possibilité de détermination de l'"arbitre". Mais aucune représentation d'un objet quelconque, quelle qu'elle soit, ne permet de savoir a priori si elle sera liée au plaisir ou à la peine, ou si elle sera indifférente. Ainsi, en pareil cas, le principe déterminant de l'"arbitre" est nécessairement toujours empirique ; par suite, aussi, le principe pratique matériel qui le supposait comme condition.

On appelle ça une récusation du spinozisme.
* Ici, la règle pratique est une maxime, qui constitue certes un principe, mais pas un impératif. Pour Kant, c'est là tout le problème :
CRPratique a écrit:
Dans la connaissance pratique, c'est-à-dire dans celle qui a seulement affaire à des principes déterminants de la volonté, les principes que l'on se fait ne sont pas encore pour autant des lois auxquelles on serait immanquablement soumis, parce que, dans l'ordre pratique, la raison a affaire au sujet, à savoir à la faculté de désirer, et la règle peut répondre de façon diverse à la nature de cette faculté. La règle pratique est toujours un produit de la raison parce qu'elle prescrit l'action comme moyen en vue d'un effet, comme intention. Or, pour un être chez qui la raison n'est pas le seul principe déterminant de la volonté, cette règle constitue un impératif, c'est-à-dire une règle qui est désignée par un devoir exprimant la contrainte objective qui impose l'action, et elle signifie que, si la raison déterminait entièrement la volonté, l'action aurait lieu infailliblement d'après cette règle. Les impératifs ont par conséquent une valeur objective, et sont entièrement distincts des maximes, en tant que celles-ci sont des principes subjectifs.

Ibid., p. 38.


Zingaro a écrit:
Je ne suis pas tout à fait d'accord dans le sens où Spinoza restructure le rapport à l'être ; la destruction consiste plus en un réagencement des perceptions et du jugement

Zingaro a écrit:
Et si effectivement l'œuvre de Spinoza a été oubliée un temps comme le suggère Desassossego, n'est-ce pas un signe qu'il n'a pas été si destructeur que ça ?

Si ce "réagencement" n'était qu'un réagencement, Spinoza n'eût pas été l'objet d'un herem. Comptez le nombre de juifs exclus de la communauté. Vous n'aurez pas besoin de vos dix doigts. Pour le reste, Spinoza n'a rien détruit (il n'est pas "nihiliste"), ni rien apporté (il n'est pas un innovateur). Le spinozisme ne retranche ni n'ajoute rien à rien. C'est pourquoi il est irréductible, inassimilable et qu'on ne sait pas quoi en faire, sauf à être spinoziste.

Zingaro a écrit:
En ce sens [la critique que Nietzsche adresse à] Spinoza peut apparaître justifiée car quelque part il applique sa pensée (celle de Spinoza) à un niveau encore plus concret, et de ce point de vue Spinoza est encore trop métaphysique en effet.

"A un niveau plus concret". J'aimerais comprendre.

Liber a écrit:
Le premier grand philosophe à s'être affranchi du judéo-christianisme est Schopenhauer. On ne peut pas dire d'un philosophe qu'il est sans influence de la religion quand il écrit un livre où Dieu tient une place centrale.

Qu'est-ce qu'un Dieu sans barbe, ni sandales, ni robe, ni humeurs (bonnes ou mauvaises), qui n'est pas un Verbe, qui ne présente aucun mystère, qui n'a ni écailles, ni plumes, etc. ? Il n'y a aucune téléologie chez Spinoza, ni aucun "plan", de la nature et/ou de dieu. Spinoza est on ne peut plus affirmatif : s'il doit "croire" en Dieu, ce sera par le seul recours à la raison. Son "dieu" est un dieu de raison. On le connaît. Un spinoziste, et Spinoza le premier, ne voue de culte à rien de ce qu'il connaît. Mais, ce qu'il connaît, en tant qu'il le connaît, autrement dit en tant qu'il connaît que ce qu'il connaît, c'est ce qui est, le rend joyeux. Il est content que ce qui est soit. Y a-t-il un seul penseur allemand qui en soit capable ? Ce qui intéresse les Allemands, ce n'est pas le désir, mais la volonté, qui est une invention allemande. Il n'y a qu'une philosophie dont on puisse dire en toute rigueur qu'elle est un eudémonisme, c'est celle de Spinoza (même la philosophie d'Aristote ne l'est pas exactement). Il est le seul à être satisfait de ce qui est.

Liber a écrit:
Spinoza n'était pas "trop juif", il était juif et cela suffisait à le rendre suspect aux yeux de Nietzsche, pour qui la décadence de la pensée occidentale a pour cause "l'idéal de la Judée". Pourquoi n'a-t-il pas critiqué Gœthe, pourtant admirateur de Spinoza ? Parce que Gœthe s'était tourné vers Rome et la Grèce.

Nietzsche prêtait à Spinoza un sentiment auquel il était complètement étranger, quand il prétendait qu'il était animé d'une haine juive contre le Dieu des Juifs. Et se souvenait-il que Gœthe déclara Spinoza theissimus et christianissimus (ce qui ne veut rien dire non plus) ?

Liber a écrit:
JimmyB a écrit:
Liber vous concéderez quand même que le Dieu de Spinoza n'a pas grand lien avec le Dieu des religions monothéistes.

Ces religions conçoivent un univers expliqué par l'intelligence. Spinoza continue cette tradition, mais ni Schopenhauer ni Nietzsche.

Pourriez-vous développer ?

Dernière édition par Euterpe le Dim 14 Aoû 2016 - 0:49, édité 4 fois

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Liber le Lun 12 Nov 2012 - 11:03

Euterpe a écrit:
Liber a écrit:
JimmyB a écrit:
Liber vous concéderez quand même que le Dieu de Spinoza n'a pas grand lien avec le Dieu des religions monothéistes.
Ces religions conçoivent un univers expliqué par l'intelligence. Spinoza continue cette tradition, mais ni Schopenhauer ni Nietzsche.
Pourriez-vous développer ?
Ni Schopenhauer ni Nietzsche n'expliquent le monde par l'existence d'un intellect. Vous le dites vous-même à propos de Spinoza :
Euterpe a écrit:
s'il doit "croire" en Dieu, ce sera par le seul recours à la raison. Son "dieu" est un dieu de raison.

On peut aussi bien revenir à l’antiquité, à un Démocrite par exemple, pour une explication du monde sans une Raison divine.

Euterpe a écrit:
Il est content que ce qui est soit. Y a-t-il un seul penseur allemand qui en soit capable ? Ce qui intéresse les Allemands, ce n'est pas le désir, mais la volonté, qui est une invention allemande.
Je veux bien, mais le désir suppose un mouvement. Quant à la volonté allemande, elle est une sorte d'instinct vital, quelque chose d'animal. Le désir lui est humain, la volonté non. Spinoza propose une ascèse, il suffit de lire la fin de l'Éthique qui est une sorte d'appel aux happy fews : "Tout ce qui est est beau...", blablabla, ça ne me touche pas. Platon a déjà proposé de nous amener à la beauté. Il y a là un miroir aux alouettes, la recherche indéfinie d'une fin, une quête. D'autres philosophes me paraissent bien plus proches de l'être, Épicure par exemple. Vous pouvez appliquer sa philosophie à l'instant.

Euterpe a écrit:
Il n'y a qu'une philosophie dont on puisse dire en toute rigueur qu'elle est un eudémonisme, c'est celle de Spinoza (même la philosophie d'Aristote ne l'est pas exactement). Il est le seul à être satisfait de ce qui est.
Spinoza n'est pas content de tout ce qui est (vous me direz ce qu'est une réalité dont on extrait seulement une faible partie ?), il supprime pas mal de choses dans la réalité, qui apportent du bonheur à d'autres que lui. Nietzsche avait bien raison de critiquer la faiblesse de ses passions. Qui vous dit que le bonheur passe obligatoirement par la suppression des passions tristes ? Schopenhauer, Gœthe pensaient que l'on ne pouvait pas connaître les plus grandes joies sans connaître aussi les plus grandes peines. Si Gœthe avait suivi la doctrine de Spinoza, qu'est-ce qu'il aurait été ennuyeux ! Mais il a eu tendance à trop rechercher le confort. Je suis aussi d'accord avec Nietzsche pour trouver chez Spinoza une sorte de saint ("le saint de Gœthe", dit-il), vous-même le défendez comme s'il avait été un sage olympien, doublé d'une sorte de sceptique, Spinoza indifférent à tout, Spinoza qui ne dit rien, n'appartient à personne. Nous sommes là dans l'ataraxie !

Dernière édition par Euterpe le Mar 9 Aoû 2016 - 13:15, édité 1 fois

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Euterpe le Lun 12 Nov 2012 - 15:22

Liber a écrit:
On peut aussi bien revenir à l’antiquité, à un Démocrite par exemple, pour une explication du monde sans une Raison divine.

Sauf que Spinoza ne demande à personne de devenir spinoziste, mais de faire avec ce qu'il a. Sa philosophie se résume à ça.

Liber a écrit:
le désir suppose un mouvement.

Et qu'est-ce que le conatus, sinon un mouvement ?

Liber a écrit:
Quant à la volonté allemande, elle est une sorte d'instinct vital, quelque chose d'animal.

Toujours, cette tendance allemande à scruter l'insondable. Spinoza en fait peu de cas, des "êtres métaphysiques ou universels", ou bien des fictions (Éthique II, prop. 48, scholie), parce que ça ne correspond à rien qui puisse être clairement distingué. "La volonté et l'entendement sont une seule et même chose", dit-il en corollaire à la prop. 49. Exactement à l'opposé de Kant, par exemple (cf. les citations dans mon précédent message). Kant, qui creuse un abîme d'autant plus béant entre l'entendement et la volonté, qu'il cède à la tentation téléologique.

Liber a écrit:
Spinoza propose une ascèse

Ni saint, ni ascète, c'est un "mutant". Le saint et l'ascète ont renoncé à quelque chose. Spinoza, non.

Liber a écrit:
"Tout ce qui est beau...", blablabla, ça ne me touche pas. Platon a déjà proposé de nous amener à la beauté. Il y a là un miroir aux alouettes, la recherche indéfinie d'une fin, une quête. D'autres philosophes me paraissent bien plus proches de l'être, Épicure par exemple. Vous pouvez appliquer sa philosophie à l'instant.

L'épicurisme est si facile d'application parce qu'il consiste en une soustraction. Il suffit de connaître sa table de multiplication. Spinoza se préoccupe d'augmenter sa puissance d'agir. Aux autres d'en faire autant. "Chacun juge de ce qui est bien suivant son caractère", dit-il (Éthique IV, prop. 70, démonstration). Ni saint, ni ascète, ni école, ni exemple à suivre.

Liber a écrit:
Spinoza n'est pas content de tout ce qui est (vous me direz ce qu'est une réalité dont on extrait seulement une faible partie ?)

Vous omettez une distinction. D'abord, on ne trouve pas de totalité, chez Spinoza, mais une substance infinie, ce qui interdit par avance de l'appréhender comme un tout auquel on pourrait à loisir enlever ou ajouter des parties. Éthique I, prop. 16 :
De la nécessité de la nature divine doivent découler une infinité de choses infiniment modifiées

Éthique II, 6 :
Réalité et perfection, c'est pour moi la même chose.

Votre affirmation est inadéquate. Spinoza n'est ni content ni mécontent de tout ce qui est : il est content que ce qui est soit, indépendamment de la question de savoir quelle pourrait bien être la quantité de ses connaissances. Évidemment, il ne saurait, pas plus ni moins que les autres, être content de tout ce par quoi il est affecté (d'autant qu'il ne peut pas ne pas être affecté) ; et comment le pourrait-il, étant donné ce qu'il dit ? Personne ne peut prétendre n'avoir que des idées adéquates. Éthique V, prop. 20, scholie :
La puissance de l'âme se détermine uniquement par le degré de connaissance qu'elle possède, et son impuissance ou sa passivité par la seule privation de connaissance, c'est-à-dire par ce qui fait qu'elle a des idées inadéquates ; d'où il résulte que l'âme qui pâtit le plus, c'est l'âme qui est constituée dans la plus grande partie de son être par des idées inadéquates, de telle sorte qu'elle se distingue bien plus par ses affections passives que par les actions qu'elle effectue ; et au contraire, l'âme qui agit le plus, c'est celle qui est constituée dans la plus grande partie de son être par des idées adéquates, de telle sorte qu'elle se distingue bien plus (pouvant d'ailleurs renfermer autant d'idées inadéquates que celles dont nous venons de parler) par les idées qui dépendent de la vertu de l'homme que par celles qui marquent son impuissance

Spinoza ne prétend donc pas détenir la science infuse. Mais connaître, c'est agir. On ne trouve pas de distinction, chez lui, entre le savoir et la vertu. En langage non spinoziste, ça veut dire qu'avoir des principes, en avoir vraiment, c'est nécessairement agir (je laisse la question de savoir quel principe est bon ou pas, préférable à d'autres, etc.). Alors, avec ça, si vous avez l'impression de lire un happy few en lisant la 5e partie de l'Éthique, c'est que vous lisez Spinoza avec les yeux d'un autre. Ça n'a rien du canon à confetti.

Liber a écrit:
il supprime pas mal de choses dans la réalité, qui apportent du bonheur à d'autres que lui. Nietzsche avait bien raison de critiquer la faiblesse de ses passions. Qui vous dit que le bonheur passe obligatoirement par la suppression des passions tristes ? Schopenhauer, Gœthe pensaient que l'on ne pouvait pas connaître les plus grandes joies sans connaître aussi les plus grandes peines.

Encore une fois : "Chacun juge de ce qui est bien suivant son caractère". On voit mal Spinoza rendre visite à Gœthe, Schopenhauer, ou Nietzsche, pour leur affirmer que leur caractère n'est pas le leur, et qu'ils jugent mal de ce qui est bien pour eux. Le bonheur n'est pas ceci plutôt que cela, mais connaître que ce qui est, est. A chacun de connaître, i. e. agir, en fonction de son caractère, de ce avec quoi il peut juger. Eudémonisme, incontestablement, puisqu'il importe peu de savoir quel est le bonheur des uns ou des autres, pourvu qu'ils sachent être heureux.

Liber a écrit:
vous-même le défendez comme s'il avait été un sage olympien, doublé d'une sorte de sceptique, Spinoza indifférent à tout, Spinoza qui ne dit rien, n'appartient à personne. Nous sommes là dans l'ataraxie !

En somme, vous rapportez ce que je dis de Spinoza en disant exactement ce que je ne dis pas. C'est sans doute la raison pour laquelle vous vous êtes dispensé d'employer le style direct. Olympien ? Sceptique ? Indifférent ? Il ne dit rien ? Dans ce cas, il ne s'agit plus de Spinoza. Qu'il n'appartienne à personne, c'est autre chose. Herem, panthéisme, etc., rien qui soit l'indice de la possibilité pour quelqu'un d'être spinoziste. Quant à le défendre, c'est à le défendre (un peu) contre Nietzsche, et surtout contre les penseurs allemands des XVIII et XIXe siècle, que je m'emploie. Mais, rassurez-vous, je n'accuse personne d'un délit ou d'un crime quelconque.

Dernière édition par Euterpe le Sam 13 Aoû 2016 - 23:36, édité 4 fois
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