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Faut-il être cultivé pour apprécier l'art ?

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Tout ce que je souhaite dire et pense est parfaitement formulé par Laërte, c'est fichtrement beau.
Toutefois, cette question me dérange dans sa simple formulation. Comme si l'art devait être réservé à un groupe de personnes supérieures. Que seul le savoir et la culture peuvent mener à la satisfaction déclenchée par une œuvre d'art est une idée pour le moins orgueilleuse. Je considère plutôt l'art comme ce qui, justement, nous apportera la culture et donc le savoir. C'est bien dans les livres et à travers les mots qu'on apprécie peu à peu la sensibilité, la réflexion et la beauté. C'est bien en fixant une photographie qui nous accroche que quelque chose au fond de nous remue et qu'une larme coule. Et ce sentiment ne provient pas vraiment de la culture, ou rarement, mais plutôt de l'individu et de son vécu.
De plus, la culture, au contraire, n'enlève-t-elle pas la beauté d'une œuvre d'art ?
La signification est parfois dérangeante. La culture peut troubler la simple beauté de l'art.
Et puis, les gens cultivés - que je ne critique en aucun cas, ont tendance à apprécier telle œuvre car elle s'avère parfaite techniquement, parce qu'elle représente avec force un événement dans toute sa vérité, parce qu'elle détone de figures de style très bien utilisées. C'est important certes, mais comme vous dites l'art touche quelque chose au-delà de ce que nous connaissons.
Vous est-il déjà arrivé de vous sentir vous perdre dans une œuvre d'art, littéraire ou picturale, sans comprendre pourquoi ? Ce sentiment n'est-il pas plus beau que le rationnel raisonnement cultivé face à l'œuvre ?

En somme, la culture pour moi, peut aller jusqu'à empêcher l'être de ne ressentir que la beauté d'une œuvre d'art.
Les sentiments inexpliqués sont souvent les plus beaux, et la culture peut être un frein.

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Phi-lousphie a écrit:
Je considère plutôt l'art comme ce qui, justement, nous apportera la culture et donc le savoir. C'est bien dans les livres et à travers les mots qu'on apprécie peu à peu la sensibilité, la réflexion et la beauté. C'est bien en fixant une photographie qui nous accroche que quelque chose au fond de nous remue et qu'une larme coule. Et ce sentiment ne provient pas vraiment de la culture, ou rarement, mais plutôt de l'individu et de son vécu. 
De plus, la culture, au contraire, n'enlève-t-elle pas la beauté d'une œuvre d'art ?
La signification est parfois dérangeante. La culture peut troubler la simple beauté de l'art. 
Et puis, les gens cultivés - que je ne critique en aucun cas, ont tendance à apprécier telle œuvre car elle s'avère parfaite techniquement, parce qu'elle représente avec force un événement dans toute sa vérité, parce qu'elle détone de figures de style très bien utilisées. C'est important certes, mais comme vous dites l'art touche quelque chose au-delà de ce que nous connaissons.
Vous est-il déjà arrivé de vous sentir vous perdre dans une œuvre d'art, littéraire ou picturale, sans comprendre pourquoi ? Ce sentiment n'est-il pas plus beau que le rationnel raisonnement cultivé face à l'œuvre ? 

Le problème ici, c'est que vous réduisez le beau aux sentiments qu'une œuvre provoque chez un individu. Or, c'est se tromper de sens, puisqu'en prétendant juger de la qualité d'une œuvre d'art, vous vous tournez non par vers elle, mais vers vous. Pour se remettre sur le chemin de la philosophie et du bon jugement, rien de plus efficace que Kant. 


Kant, Critique de la faculté de juger a écrit:
§. II.
La satisfaction, qui détermine le jugement de goût, est pure de tout intérêt.
La satisfaction se change en intérêt lorsque nous la lions à la représentation de l'existence d'un objet. Dès lors aussi, elle se rapporte toujours à la fa­culté de désirer ou comme son motif, ou comme nécessairement unie à ce motif. Or quand il s'agit de savoir si une chose est belle, on ne cherche pas si soi-même ou si quelqu'un est ou peut être inté­ressé à l'existence de la chose, mais seulement com­ment on la juge dans une simple contemplation (in­tuition ou réflexion). Quelqu'un me demande-t-il si je trouve beau le palais qui est devant moi, je puis bien dire que je n'aime pas ces sortes de choses faites uniquement pour étonner les yeux, ou imiter ce sachem iroquois à qui rien dans Paris ne plaisait plus que les boutiques de rôtisseurs ; je puis encore gourmander, à la manière de Rousseau, la vanité des grands qui dépensent la sueur du peuple en choses aussi frivoles ; je puis enfin me persuader aisément que si j'étais dans une île déserte, privé de l'espoir de revoir jamais les hommes, et que j'eusse la puissance magique de créer par le seul effet de mon désir un semblable palais, je ne me donnerais même pas cette peine, pourvu que j'eusse déjà une cabane assez commode. On peut m'accorder et approuver tout cela, mais ce n'est pas ce dont il s'agit ici. On veut uniquement savoir si la simple représentation de l'objet est accompagnée en moi de satisfaction, quelque indifférent que je puisse être d'ailleurs à l'existence de cet objet. Il est clair que pour dire qu'un objet est beau et montrer que j'ai du goût, je n'ai point à m'occuper du rapport qu'il peut y avoir entre moi et l'existence de cet objet, mais de ce qui se passe en moi-même au sujet de la représentation que j'en ai. Chacun doit reconnaître qu'un juge­ment sur la beauté dans lequel se mêle le plus léger intérêt est partial, et n'est pas un pur jugement de goût. Il ne faut pas avoir à s'inquiéter le moins du monde de l'existence de la chose, mais rester tout à fait indifférent à cet égard pour pouvoir jouer le rôle de juge en matière de goût.
Mais nous ne pouvons mieux mettre en lumière cette vérité capitale, qu'en opposant à la satisfaction pure et désintéressée, propre au jugement de goût, celle qui est liée à un intérêt, surtout si nous sommes assurés qu'il n'y a pas d'autres espèces d'intérêt que celles dont nous allons parler.

§. III.
La satisfaction attachée à l'agréable est liée à un intérêt.
L'agréable est ce qui plaît aux sens dans la sensation. C'est ici l'occasion de signaler une con­fusion bien fréquente, résultant du double sens que peut avoir le mot sensation. Toute satisfaction, dit-on ou pense-t-on, est elle-même une sensation (la sensation d'un plaisir). Par conséquent toute chose qui plaît, précisément parce qu'elle plaît, est agréable (et suivant les divers degrés, ou ses rapports avec d'autres sensations agréables, elle est charmante, délicieuse, ravissante, etc.). Mais si on accorde cela, les impressions des sens qui dé­terminent l'inclination, les principes de la raison qui déterminent la volonté, et les formes réflexives de l'intuition qui déterminent le Jugement, sont identiques quant à l'effet produit sur le sentiment du plaisir. En effet, il n'y aurait là rien autre chose que ce qui est agréable dans le sentiment même de notre état ; et comme en définitive nos facultés doi­vent diriger tous leurs efforts vers la pratique et s'unir dans ce but commun, on ne pourrait leur at­tribuer une autre estimation des choses, que celle qui consiste dans la considération du plaisir promis. La manière dont elles arrivent au plaisir ne fait rien ; et comme le choix des moyens peut seul établir ici une différence, les hommes pourraient bien s'ac­cuser de folie et d'imprudence, mais jamais de bas­sesse et de méchanceté : tous en effet, chacun suivant sa manière de voir les choses, courraient à un même but, le plaisir.

Lorsqu'il désigne un sentiment de plaisir ou de peine, le mot sensation a un tout autre sens que quand il sert à exprimer la représentation que j'ai d'une chose (au moyen des sens considérés comme une réceptivité inhérente à la faculté de connaître). En effet, dans ce dernier cas, la représentation est rapportée à son objet ; dans le premier, elle n'est rapportée qu'au sujet et ne sert à aucune connaissance, pas même à celle par laquelle le sujet se connaît lui-même.
Dans cette nouvelle définition du mot sensation, nous entendons une représentation objective des sens ; et, pour ne pas toujours courir le risque d'être mal compris, nous désignerons sous le nom d'ailleurs usité de sentiment ce qui doit toujours rester purement subjectif et ne constituer aucune espèce de représentation d'un objet. La couleur verte des prairies, en tant que perception d'un objet du sens de la vue, se rapporte à la sensation objective, et ce qu'il y a d'agréable dans cette per­ception, à la sensation subjective par laquelle aucun objet n'est représenté, c'est-à-dire au sentiment dans lequel l'objet est considéré comme objet de satisfaction (ce qui n'en constitue pas une connaissance).
Maintenant il est clair que le jugement par le­quel je déclare un objet agréable exprime un intérêt attaché à cet objet, puisque par la sensation ce jugement excite en moi le désir de semblables objets, et qu'ici, par conséquent, la satisfaction ne suppose pas un simple jugement sur l'objet, mais une relation entre son existence et mon état, en tant que je suis affecté par cet objet. C'est pourquoi on ne dit pas simplement de l'agréable qu'il plaît, mais qu'il donne du plaisir. Il n'obtient pas de moi un simple assentiment, il y produit une inclination, et pour décider de ce qui est le plus agréable, il n'est besoin d'aucun jugement sur la nature de l'objet : aussi ceux qui ne tendent qu'à la jouissance (c'est le mot par lequel on exprime ce qu'il y a d'intime dans le plaisir) se dispensent volontiers de tout jugement.

Se fier à ses sentiments, à ce qui est subjectif, n'aide en rien à connaître l'objet que l'on contemple. En art et comme ailleurs, ce qu'on nomme un avis n'est pas un jugement, et il faut bien se garder de penser que tout n'est qu'affaire de sentiment, de ressenti, d'émotion. Cela ne vaut rien, au sens où ce ne sera jamais qu'un avis subjectif, qui comme le dit Kant "ne sert à aucune connaissance".  

Si cela vous paraît un peu trop abstrait, tentez l'expérience de lire des critiques, comme Diderot, Baudelaire ou Valéry. Vous comprendrez la différence entre une opinion et un véritable jugement. Le premier énonce sans cesse ce qui est beau ou laid ; le second s'attache à dire quelque chose sur l'objet. Pour le premier, ce qui compte c'est soi-même ; pour le second, c'est l'objet. 

Du reste, n'hésitez pas à lire les paragraphes suivants de la Critique de la faculté de juger.

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D'abord merci, j'apprends beaucoup.
Mais quelque chose dérange mon esprit attaché à la beauté pure et sans nom, sans signification. Mais il est vrai que le sentiment n'est pas utile à la connaissance et au jugement. Difficile de l'admettre tout de même.

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Dans certaines cultures, dans les sociétés dites primitives par exemple, l'art est partout : en ce sens, il n'est nulle part. Tout objet que nous considérerions, nous Européens, comme de l'art, c'est-à-dire comme quelque chose appartenant à une sphère séparée et distincte des autres sphères du social, n'y est pas reconnu comme tel. Dès lors, il faut bien certaines conditions pour apprécier l'art : d'abord des conditions historiques qui permettent l'autonomisation de l'œuvre d'art à l'égard du social, du religieux, du sacré, de l'artisanat, de l'utile, etc. (Même si ces délimitations sont encore les nôtres : tout semble confondu dans ces sociétés, sous le prisme du social recouvert d'une couche de sacralité, de religiosité : le social, bien qu'il leur soit immanent, c'est le lien qui transcende les individus, pourrait-on dire. Et l'objet social quotidien, à signification religieuse, peut d'ailleurs n'avoir aucune utilité au sens où nous nous la comprenons.)

Maintenant, que les œuvres ne soient pas considérées indépendamment, cela ne signifie pas que l'on ne fait pas l'expérience du beau, du sublime, etc. Mais ces catégories esthétiques sont-elles le propre de l'art ? Par ailleurs, si l'art est synonyme d'une sphère sociale indépendante du reste, il faut l'interroger sur sa fonction dans la société (dont en réalité elle n'est pas si séparée que cela, contrairement au discours que l'art tient sur lui-même). Penser cela, cela permettrait peut-être de savoir quel est le rôle de la culture, et ce qu'implique le fait d'être cultivé, car si l'accès à l'art implique une restriction, cela impacte forcément le statut ou la place de l'art lui-même. Par ailleurs, reconnaître une œuvre d'art implique socialisation et éducation : celui qui n'est pas cultivé (au sens de posséder un nombre significatif de connaissances) sait pourtant repérer une œuvre (sauf, peut-être, l'œuvre contemporaine qui implique, pour le coup, un bagage culturel important). Ce n'est peut-être pas le cas d'un "primitif" (mais en reste-t-il aujourd'hui ? La mondialisation a uniformisé nos modes de vie). Au fond, l'art est en partie un langage dont il faut maîtriser les codes ou plutôt l'alphabet.

Bien entendu, il s'agit de dire ici que l'œuvre est une production sociale, ce qui pour beaucoup de gens ne va pas de soi, préférant se contenter d'une expérience esthétique qui les ferait accéder à l'éternel (à cet égard, l'œuvre serait asociale, intemporelle). Ce n'est peut-être pas faux, mais c'est parce que l'œuvre est l'expérience d'une singularité : en même temps qu'elle est ancrée dans le social, elle est aussi une percée vers son "dehors". Elle est surgissement d'une trouée du sens, de l'ordre symbolique qui compose la réalité sociale, ce pour quoi on parle de transcendance, d'expérience extatique, etc. Effectivement, elle manifeste comme l'envers du décor, une présence indicible et irréductible au langage. Mais faire cette expérience (certes du réel : c'est-à-dire d'une singularité, un objet "impossible" et a-sensé, "insensé", qui est justement cette absence de sens même), n'est-ce pas revenir à l'expérience du social lui-même, telle qu'elle structure la société dite primitive ?

D'une certaine manière, être trop cultivé, intellectualiser l'art, c'est croire qu'il existe une œuvre en soi, une signification en soi. C'est encore se couper du social. Je dirais donc que, paradoxalement, si l'art n'existe que par ce que nous avons fait de notre culture, qui va de pair avec le développement de la réflexivité, l'art n'existe que comme abstraction, tandis qu'apprécier l'art, c'est être suffisamment cultivé pour se défier de sa culture et revenir à l'art comme une expérience du sacré, qui n'est autre qu'une façon de toucher au phénomène social lui-même, constitutif de notre réalité (qui n'est jamais qu'une "grimace du réel").

Dernière édition par Silentio le Mar 24 Fév 2015 - 15:43, édité 1 fois

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Je pense que ce qu'il faut pour apprécier une œuvre d'art, c'est un décodeur. 

Plus on connaîtra les contours d'une œuvre, plus on sera à même d'en juger le cœur.
C'est-à-dire qu'il faut se renseigner le plus possible sur : le contexte d'élaboration, à quelle période a-t-elle été produite, où, par qui, pour qui, quel était son but, son sens, quelle est la vie de l'auteur, comment a-t-il connu son art, qui sont ses maîtres, ses références, etc. 

Et ce que l'on doit faire également, c'est user nos sens, expérimenter un maximum, décrire nos impressions, les comparer avec celles des autres, dans le but de travailler nos jugements et de construire notre goût.

Je pense qu'on ne peut pas apprécier réellement une œuvre sans cela.
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