jem a écrit:Vangelis a écrit:Or puisque nous sommes dans l'existentialisme, il n'y a pas d'essence à découvrir car cela impliquerait qu'elle est toujours là tapie dans l'ombre.
Je comprends ce que vous dites, pourtant, ce n’est pas ce que j’ai compris de l’existentialisme sartrien, enfin pas à partir de son discours « L’existentialisme est un humanisme ». Signifier qu’il n’y a pas d’essence à découvrir reviendrait à parler d’une essence préalable, « toujours là tapie dans l’ombre ». Ce n’est pourtant pas ce qu’il évoque, lorsqu’il dit que contrairement à un objet qui est créé pour une fonction précise (dont l’essence est préalable à l’existence), l’être humain existe sans fonction préalable (il n’est pas là pour quelque chose). Je pense qu’au contraire, il faut voir, dans la formule, l’essence comme une évidence de l’existence, qui ne se révèle pas, mais qui n’est pas non plus toujours là tapie dans l’ombre. Cela se résumerait à une relation causale, on existe donc on est. Et en ce sens, l’existence est une condition préalable à l’essence.Georges Réveillac a écrit:La science a le dernier mot […]
Veillons à ne pas surestimer la science, elle n’a jamais le dernier mot, elle a une explication du monde à un instant T.Georges Réveillac a écrit:les hommes obéissent à des règles apprises, sans quoi ils seraient totalement imprévisibles
Il est à se demander si les hommes ne créent pas des règles profondément larges pour expliquer l’imprévisibilité des actions dont ils sont les témoins.Georges Réveillac a écrit:De toute façon le besoin d’exister n’est jamais satisfait, sinon le bonheur existerait.
Je ne serais pas aussi catégorique. Les moines sont plus ou moins dans cette optique, ils se contentent de la satisfaction « d’exister ».Georges Réveillac a écrit:En tout cas, avec la colossale somme des acquis depuis que le besoin d’existence est en action, nous avons des guides pour nous construire. Au moment de la réalisation, nous n’aurons guère de surprises.
En fait, c’est faux. D’un point de vue purement fonctionnel, nous n’avons jamais « d’acquis » (j’entends par là de connaissance stable et immuable), nous n’avons jamais que des acquis en cours de reconstruction. Chaque fois que vous activez une connaissance, une compétence, vous la modifiez, ainsi vous ne cessez jamais de construire (et par là même de détruire). De plus, au vu du hasard monumental auquel nous sommes soumis, on ne peut pas dire que nous n’aurons pas de surprise au moment de la réalisation, la réussite d’une action anticipée est en elle-même une surprise. Pour ne pas être surpris, il faut être absolument certain que l’on ne va pas échouer. En ce sens, ce serait plutôt du soulagement, je vous l’accorde.
Autre point, en relation directe avec votre sujet initial, nos « acquis »,sont et restent en majorité des croyances, or ces croyances ont un taux d’erreur particulièrement important. C’est donc d’autant plus faux de dire que l’on n’aura aucune surprise au moment de la réalisation puisque le risque d’être mal guidé est particulièrement important. Néanmoins, dans les faits, les techniques que nous mettons en place pour maintenir nos croyances (et ainsi stabiliser notre monde) sont particulièrement efficaces et ce envers et contre les faits.
Votre première réponse s'adresse à Vangelis, lequel a répondu, d'ailleurs.
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Sartre quand il dit (je vous cite) : "L'homme n'existe pas pour une fonction préalable (il n'est pas là pour quelque chose). Qu'en sait-il ? Qu'en savons-nous ? Cela se trouve dans un domaine qui échappe à notre conscience. Je préfère la pensée de Marx quand il considère que les aspirations des hommes, en se frottant aux dures réalités par l'action engendrent des idées nouvelles. Autrement dit, si j'ai bien compris, la pensée juste concernant l'homme ne peut se former sans le concours de l'action. En fin de compte, l'action révèle à l'homme ce qu'il est.
D'autre part, s'il n'y avait aucune essence cachée, les choix des hommes seraient beaucoup plus différents qu'ils ne le sont. Par exemple, il est très probable que les hommes de la préhistoire ont presque toujours inventé des religions animistes ou apparentées.
Vous dites :
C’est donc d’autant plus faux de dire que l’on n’aura aucune surprise au moment de la réalisation
Je n'ai jamais prétendu cela. J'ai dit qu'il y a très peu de surprises, au regard de l'énorme masse des acquis. Je tourne la poignée de la porte pour l'ouvrir : la surprise n'est pas quand ça marche, mais quand ça ne marche pas. Les journaux sont remplis de telles surprises : les usines qui ferment, les voitures qui brûlent, les médicaments qui tuent, les avions qui s'écrasent...
Le kite-surf me tente (à 74 ans, pensez-en ce qu'il vous plaira). Je me lance dans l'aventure, et c'est un fiasco ; les sauveteurs en mer doivent me repêcher. Cette mauvaise surprise tient au fait que je n'ai pas su préparer méthodiquement et rigoureusement mon expérience. Elle tient à une méconnaissance de réalités objectives, une méconnaissance des acquis. Bon, je vais m'y prendre autrement. Suite à une préparation méthodique et rigoureuse, je réussis à pratiquer le kite-surf ; mais, après 2 ou 3 essais, je constate que je n'aime pas cela. Voilà une 2ème surprise, dans le domaine de l'existence selon Sartre, celle-là. Dans ce qui voit le jour au moment de l'action, il y a l'existence en personne (le plaisir de surfer ou son contraire) et il y a l'ensemble des moyens : les uns sont conçus par l'homme, les autres il les a recherchés dans la nature. Nos amours et nos désamours seraient les maîtres de notre existence ; tandis que les machines, les connaissances, les techniques, l'exploitation de la nature, le travail... sont leurs serviteurs, leurs fournisseurs de moyens.
Vous dites :
D’un point de vue purement fonctionnel, nous n’avons jamais « d’acquis » (j’entends par là de connaissance stable et immuable), nous n’avons jamais que des acquis en cours de reconstruction. Chaque fois que vous activez une connaissance, une compétence, vous la modifiez, ainsi vous ne cessez jamais de construire (et par là même de détruire).
Tout à fait d’accord, quoique « jamais » risque d’être excessif. Mais la déconstruction-reconstruction se fait le plus souvent à tous petits pas, sans véritable, ni grande remise en cause, même si notre époque donne l’impression du contraire. Les acquis sont souvent des constructions qui se font au gré des besoins de tel ou tel, sans plan, maison par maison, étage par étage, comme les villes du moyen-âge, et elles se défont de même. Vous connaissez ceux (surtout les vieux) qui comptent encore en anciens francs, ou qui ne s’adaptent pas au téléphone portable. Je vous propose un exemple encore plus saisissant de la répugnance à déconstruire : il s’agit de l’orthographe en France. Nous avons déjà évoqué le sujet.
Avec nos « « chrysanthèmes », nos « chrysalides », nos phénotypes, et nos multiples façons d’écrire « foi», avec nos multiples règles farcies de toutes leurs exceptions, l’orthographe d’usage française est un interminable casse-tête pour nos bambins. Il paraît que les Chinois font encore mieux, avec leurs milliers d’idéogrammes, mais je connais mal cette question. Il serait facile de rationaliser ce tohu-bohu : on écrirait « foto », « otel », « filosofie », « euf » ou même « ef ». Les seules règles à apprendre concerneraient la grammaire, et ce serait plutôt facile puisque les enfants maîtrisent déjà l’oral : il leur suffirait de transposer la grammaire de la langue parlée qu’ils ont apprise à la manière de Monsieur Jourdain, sans le savoir. Quant à garder le souvenir de l’origine des mots, que les enfants ignorent totalement quand ils écrivent « géographie », le dictionnaire continuerait à s’en charger. Deux générations devraient suffire pour opérer cette révolution. Et les enfants pourraient utiliser les centaines d’heures récupérées ainsi pour apprendre autre chose d’utile.
Puisque nous sommes dans la construction-déconstruction, n’est-ce pas un bel exemple de résistance passive ?
Tout ceci pour dire que la déconstruction est souvent infime.