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La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 2 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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Je crois qu'il en va de la science comme d'un certain nombre de productions intellectuelles (par exemple les droits de l'homme, la démocratie, la technologie, etc.) d'un occident aussi décadent et sclérosé que dominateur et sûr de lui : elle se proclame universelle, c'est-à-dire qu'elle se prétend hors de l'espace et du temps. En ce sens, Heidegger n'a pas complètement tort d'affirmer que "la science ne pense pas. Elle ne pense pas, parce que sa démarche et ses moyens auxiliaires sont tels qu'elle ne peut pas penser" (Que veut dire penser ?) puisque pour lui, penser c'est être habité par le souci du devenir, ce dont précisément la science au sens moderne (post-kantien) du terme, refuse de se préoccuper. Pour ma part, n'étant pas heideggerien et considérant la polysémie du verbe "penser", je corrigerai légèrement le propos en disant que, dans un certain sens de ce verbe, la science ne se pense pas, c'est-à-dire qu'elle n'est pas capable de se prendre pour objet dans un mouvement réflexif : on peut faire une histoire de l'histoire (Duby), une philosophie de la philosophie (Hegel), mathématiser les mathématiques (Gödel), faire du théâtre dans le théâtre (Pirandello), mais la science moderne ne sait pas réfléchir scientifiquement sur elle-même. Du coup, les enjeux de la science, la science moderne ne peut pas les voir. La science est myope. Elle ne sait pas où elle va. 

Cela n'a pas toujours été le cas : la science platonicienne, la science cartésienne, la science copernico-galiléenne, la science kantienne, la science hégélienne, etc., se pensent elles-mêmes dans la mesure où les savants intègrent leurs constructions ontologiques (ce qu'ils découvrent comme étant le réel) dans une réflexion épistémologique, éthique, psychologique, politique, etc., plus générale. Réflexion générale que, sauf erreur, on appelle "philosophie". Pour un certain nombre de raisons sur lesquelles il faudrait sans doute revenir, la division sociale du travail intellectuel a parcellisé la tâche scientifique jusqu'à l'absurde : on se demande quels sont les réseaux neuronaux qui nous font lire, ou bien apprécier un vin, ou encore nous souvenir de notre grand-mère sans se rendre compte que, à supposer que tous les réquisits méthodologiques soient satisfaits, aucun problème humain n'a, par là, été résolu. Nous ne sommes pas des juxtapositions de machines à lire, à boire ou à évoquer des souvenirs (ça, c'est la thèse du connexionnisme). Nous sommes des êtres vivants géographiquement, historiquement, affectivement et socialement situés qui, à l'occasion, lisons, buvons ou nous souvenons. Réduire, comme le fait Dehaene, la conscience à un calcul, voire à un processus computationnel, cela peut à la rigueur permettre de répondre à la question : "que faut-il ajouter à une machine pour qu'elle soit consciente ?", mais certainement pas à la question : "comment aider cet élève qui dort sous les ponts et qui parle à peine le français à se concentrer sur son travail ?" La soi-disant "universalité" de la science la rend irrémédiablement réductrice ("la conscience, ce n'est que ça") et, partant, dérisoire.

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Est-ce que vous connaissez Aurélien Barrau ? Astrophysicien ET titulaire d'un doctorat de philosophie, ses séminaires sont passionnants quoique critiqués par les scientifiques. Mais le jour où on trouvera 2 physiciens entièrement d'accord, sur les trous noirs, le Big Bang, la topologie de l'espace, etc...
Il s'implique aussi beaucoup politiquement dans la lutte contre le réchauffement. Un jour il a participé à un forum de sciences que je fréquente, mais malheureusement, si ça concernait son dernier livre consacré au droit des animaux, intitulé si ma mémoire est bonne, L'animal est un homme comme les autres, la discussion a tourné au végétarisme (et non veganisme) dont il est un adepte convaincu. Le problème est qu'il a écrit ce livre avec un certain Louis Schweitzer, ancien directeur de cabinet de Fabius. [Suppression et édition : hors-sujet & ad personam (Euterpe)]

La science est de venue La Science (je paraphrase Lacan avec La Langue évidemment), soit quelque chose qui vient, opportunément sans doute, remplacer la ou les religions en pleine crise et la faillite des idéologies qui ne laissent plus la place qu'à un ultra-libéralisme ayant laissé tombé le souci des gens, et ne se préoccupant plus que de s'enrichir individuellement avec un mépris grave et affiché pour les conséquences. En ces temps troublés aux perspectives d'avenir et de futur pour le moins préoccupantes, elle vient incarner une positivité dans nos sociétés, et retrouve pour la majorité des gens cette aura du 19ème siècle perdue lors de la Première Guerre mondiale et après : que la science est et serait synonyme de progrès, finalement notre seul espoir, ce qui se transforme en propos assez dogmatiques de la part de scientifiques qualifiés très justement de scientistes. D'où la très grande difficulté de discuter avec des scientifiques, qui en plus marquent un certain mépris voire un mépris certain à l'égard des sciences humaines et particulièrement la philosophie.
Nos sociétés se spécialisant de façon exponentielle, je vous invite à lire ou écouter des conférences de Aurélien Barrau qui représente pour moi un espoir, incarne des valeurs dans lesquelles je me reconnais notamment sur les rôles politiques, esthétiques et sociaux d'une science d'une XXIème siècle.

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Le problème avec Aurélien Barrau, comme avec tous les intellectuels médiatiques, c'est qu'il est capable de faire un show (je pense, notamment à celui de Dehaene à Marseille pour la présentation de son bouquin : ça m'a fait penser à une émission débile dont j'ai oublié le nom et qui passait à la télé dans les années 80 présentée par les frères Bogdanov !) tout en ne bousculant pas trop l'ordre politique, social et économique établi (c. par exemple, la critique que fait le blog "le Partage" de l'"engagement" écologique d'Aurélien Barrau). En d'autres termes, et pour en revenir à mon propos précédent, là où il faudrait que les scientifiques se fassent philosophes, certains d'entre eux se bornent à être journalistes : c'est moins risqué et plus rémunérateur. Tout le monde ne peut pas être Einstein, Bohr ou Schrödinger.

Cela dit, vous avez raison de rapprocher scientisme et religion. Pour ma part, afin de mettre de côté le besoin de spiritualité que satisfont la plupart des religions, je ferais plutôt le rapprochement avec le cléricalisme pour insister sur la dévotion béate que la science suscite auprès des masses naïves et crédules, tant du point de vue de l'aspect hollywoodien de sa liturgie (cf. supra) que du point de vue de la soumission irrationnelle à une parole sacrée (Blanquer cite Dehaene comme, naguère, le prêtre citait les Evangiles). Stanley Milgram et Michel Foucault ont écrit des choses intéressantes à propos de ce phénomène. Du coup, il faut se garder aussi de confondre scientisme et science. D'abord parce que, nous l'avons dit, tous les scientifiques ne sont pas scientistes, même si aujourd'hui la critique des enjeux de la science par les scientifiques eux-mêmes est presque exclusivement le fait de spécialistes de sciences sociales (je pense à Pierre Bourdieu, évidemment, mais aussi à Robert Castel, Monique Pinçon-Charlot ou Frédéric Lordon). Ensuite parce qu'on peut être à la fois anti-scientiste et positiviste, c'est-à-dire reconnaître que la science est globalement un facteur de progrès historique, non seulement s'agissant de son contenu lexical (les "découvertes" scientifiques) mais aussi, et peut-être surtout, en raison du paradigme méthodologique qu'elle promeut en matière de recherche et de validation de la vérité. J'ai l'habitude de dire que le scientisme est à la science ce que l'historicisme est à l'histoire ou l'islamisme à l'islam : un aveuglement coupable sur la portée et les limites d'un discours d'autorité et donc une dénaturation des principes fondateurs de ce discours.

P.S. : par le plus grand des hasards, je suis en train d'écouter France Culture où un économiste nous explique benoîtement la manière dont l'INSEE "calcule" l'indice des prix à la consommation. Il prend le prix d'un bien ou d'un service (par exemple, celui d'un ordinateur) et il le pondère par un "effet qualité" (sic !). En clair : si l'an dernier il vous fallait dépenser 500 € pour acheter un ordinateur bas de gamme et cette année 600 €, l'INSEE va vous expliquer que son prix "réel" a néanmoins baissé au motif qu'il est "de meilleure qualité" (comment fait l'INSEE pour quantifier les qualia ? Mystère...) ! Voilà comment on vous fait croire qu'il n'y a pas d'inflation ! Et pas la moindre réaction de la part du journaliste qui conduit l'interview ! Mais là, on n'est plus dans le scientisme : on nous prend pour des imbéciles (la "science" économique est très forte pour faire ça).

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Bonjour.

J'aimerais donner un avis simplement scientifique. Je vous laisse juges de sa portée philosophique.

On a coutume de distinguer recherche fondamentale et recherche appliquée. Il me semble que l'on peut considérer l'étude de la conscience humaine comme de la recherche appliquée. En effet, si M. Dehaene a pour a priori méthodologique que la conscience est réductible à l'activité de circuits neuronaux, je doute qu'il dispose des connaissances fondamentales au sujet de cette activité. Par exemple sait-il comment l'activité des circuits neuronaux d'une araignée peut diriger la construction d'une toile parfois si joliment géométrique ? On comprend bien l'enjeu (médical, économique ou de pure curiosité) de l'intérêt pour la conscience humaine, mais si cette recherche se réalise en faisant abstraction de données fondamentales, c'est mettre la charrue avant les bœufs, ce qui caractérise bien souvent la recherche appliquée. Quand la neurologie/neuro-éthologie des araignées aura donné une réponse à la question : comment les circuits neuronaux construisent la toile d'araignée, sans qu'intervienne un "esprit", on disposera d'une base qui ne sera plus un a priori : connaissant dans le détail le fonctionnement des circuits neuronaux de l'araignée, quelle différence pourrait-on trouver chez l'être humain qui rendrait sa conscience partiellement indépendante de ce fonctionnement neuronal ? En attendant, toute réflexion sur base des théories de M. Dehaene me semble vaine.

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PhiPhilo a écrit:
J'ai l'habitude de dire que le scientisme est à la science ce que l'historicisme est à l'histoire ou l'islamisme à l'islam : un aveuglement coupable sur la portée et les limites d'un discours d'autorité et donc une dénaturation des principes fondateurs de ce discours.


Selon moi, cette analogie pour parlante qu'elle est — c'est indéniable — ne pointe pas suffisamment l'instrument qui pervertit (je n'aime pas ce terme-là mais tant pis) la science en idéologie au moyen de cette "déviation" que constitue le scientisme, car le scientisme EST une idéologie : il n'y a pas à mon avis à s'y tromper. Et une idéologie comporte nécessairement ses inquisiteurs, ses tribunaux, d'exception ou pas, ses lignes officielles dont un Feyerabend semble a priori être exclu, etc. Même si Aurélien Barrau fait régulièrement référence à lui... et c'est selon moi un témoignage de plus de sa grande ouverture d'esprit en tant que scientifique/philosophe : ce qui est suffisamment rare pour mériter d'être souligné.

Encore faudrait-il savoir quand on parle de La Science si on parle de la vision de Kant, de Hegel, celle de Heisenberg voire Einstein, ou postérieures,  ou si on parle d'une de ses instrumentalisations, c.-à-d. de technosciences, terme un peu galvaudé et devenu journalistique, l'apanage de journalistes ou essayistes qui entreprennent une sociologie des sciences : une sorte de mantra ou mot-valise dont on ne sait pas au fond très bien ce qu'il désigne réellement et recouvre. Voir Dominique Pestre.

Pour moi l'historicisme est un schéma que l'on plaque pour parler de et analyser un ou des événements historiques (voir Karl Popper, Misère de l'historicisme). L'islamisme est une idéologie dérivée ou prenant sa source quelque part dans l'islam, mais c'est un phénomène proprement moderne et contemporain. Quant au scientisme que dire sinon qu'il nait probablement du statut privilégié de "spécialiste", expert dans son domaine, parlant un langage généralement très particulier et que seuls des pairs sont à même de comprendre, et non le vain peuple ? D'où son aura mass-mediatisée et qui proviendrait selon moi de ce que les sciences humaines telles que sociologie, économie ne parviennent pas à trouver de concrétisations visant un mieux-vivre-ensemble, la prise en compte cette fois basique du ou des soucis écologiques, lesquels sont évidemment très fortement contrecarrés par les hommes politiques... même si énormément d'industries comme celles dites énergétiques (énergies non fossiles) aux USA se sont reconverties massivement dans l'écologie comme les éoliennes.

Et donc cet anti-écologisme radical affiché et revendiqué par Trump vient cette fois (c'est une nouveauté historique, le hiatus entre politique et intérêts de l'industrie aux USA qui fait que le discours de Trump est vraiment de nature populiste) contrecarrer frontalement les intérêts du capitalisme, lequel ne se pérennise et ne survit que grâce à cette formidable empathie dont il fait et a fait preuve depuis ses débuts, la démocratie n'étant plus pour lui qu'un paravent. Un paravent qui a certes compté dans son histoire de façon importante et participé à son développement et expansion pour devenir ce qu'il est aujourd'hui : un capitalisme-monde aussi appelé ou surnommé mondialisation.
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