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La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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PhiPhilo
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shub22
11 participants

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 3 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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PhiloGL a écrit:
Quand la neurologie/neuro-éthologie des araignées aura donné une réponse à la question : comment les circuits neuronaux construisent la toile d'araignée, sans qu'intervienne un "esprit", on disposera d'une base qui ne sera plus un apriori : connaissant dans le détail le fonctionnement des circuits neuronaux de l'araignée, quelle différence pourrait-on trouver chez l'être humain qui rendrait sa conscience partiellement indépendante de ce fonctionnement neuronal ?

Là, vous êtes au cœur du sujet. 

En effet, comme vous le savez sans doute, les neuro-sciences dont il est question ici sont nées dans les années 50 à la suite des travaux de Turing sur la cybernétique, c'est-à-dire sur les systèmes physiques capables de faire des inférences logiques valides. Or, comme vous le savez aussi, depuis Platon jusqu'à Russell en passant par Descartes, LA logique (LaLogique, comme dirait shub22, c'est-à-dire, pour en revenir à Lacan, une certaine pulsion inconsciente de signifiance unilatérale) est considérée comme le paradigme de l'excellence en matière de pensée. Du coup, l'intuition de Turing, qui est un logicien et un mathématicien, est la suivante : voyons si nous ne pourrions pas construire des systèmes mécaniques capables d'utiliser la logique propositionnelle et la logique des prédicats du premier ordre. Or, de fait, nous savons construire des machines qui, de l'information "si p alors q" et de l'information "p", déduisent "q", de l'information "pour tout x appartenant à D, il existe un y tel que y=f(x)" et de l'information "x=a, a appartenant à D", infèrent "y=f(a)". Bref, il est tout à fait possible de construire des machines à calculer (en anglais, computers), "calculer" étant ici synonyme de "utiliser la logique propositionnelle et la logique des prédicats du premier ordre". Intuition géniale, c'est certain. On sait quelle confirmation triomphale l'avenir a réservé à Turing. Jusque là, rien à dire. 

Cela commence à se compliquer à l'étape suivante, dans laquelle la responsabilité de Turing est complètement dégagée. Certains (Shannon, Simon, Chomsky, Fodor...) ont cru devoir en tirer l'hypothèse suivante : si une simple machine est capable de calculer, comme nous le sommes de penser logiquement, il se pourrait qu'après tout nos cerveaux ne soient rien d'autre que des machines à calculer, autrement dit des computers complexes. C'est là que ça commence à devenir problématique. Et pour une raison précise : la formation d'une telle hypothèse s'appelle, en logique, une abduction. C'est une inférence très banale et, en plus, extrêmement utile parce qu'elle permet de former les hypothèses audacieuses sans lesquelles la recherche n'avance pas. Sauf que ce n'est pas une inférence valide au sens des logiciens, parce que ce n'est pas une inférence concluante. C'est comme si je disais : "mon voisin est noir, les corbeaux sont noirs, donc mon voisin est (probablement) un corbeau". Mais, encore une fois, tant qu'on en reste au stade de l'hypothèse audacieuse en attente de confirmation expérimentale, tout va bien. 

Là où, en revanche, on passe véritablement du stade scientifique heuristique (dans lequel, Feyerabend se plaît à le rappeler, anything works) au stade scientiste proprement dit, c'est quand les Changeux, Damasio, Laborit ou autres Dehaene prennent l'hypothèse (non confirmée, et on ne voit pas bien comment on pourrait s'y prendre pour le faire...)  que nos cerveaux sont probablement des machines à calculer (computers) pour un axiome évident par soi-même (et indémontrable par définition). C'est sur cette escroquerie intellectuelle que va se développer tout le courant cognitiviste qui s'évertue à nous faire accroire que penser, c'est calculer et que notre système nerveux central n'est qu'une agrégation de microprocesseurs qu'il suffirait d'interconnecter correctement et d'implémenter avec des informations pertinentes pour maximiser son efficacité. Pour ne rien dire de l'oxymore ridicule d'"intelligence artificielle" (sic !) dont on gratifie les systèmes mécaniques ainsi optimisés et qui aurait probablement fait beaucoup rire Alan Turing. Voilà comment on transforme, en tout cas,

shub22 a écrit:
la science en idéologie au moyen de cette "déviation" que constitue le scientisme car le scientisme EST une idéologie : il n'y a pas à mon avis à s'y tromper. Et une idéologie comporte nécessairement ses inquisiteurs, ses tribunaux, d'exception ou pas, ses lignes officielles


Du coup, pour en revenir au propos de PhiloGL, il est manifeste que le cours de l'histoire des sciences aurait pu être tout autre. Il aurait suffi qu'un lobby arachnophile fît le raisonnement suivant : si une simple araignée est capable de tisser une toile magnifique, comme nous autres êtres humains sommes aussi capables de tisser (quoique très maladroitement), il se pourrait qu'après tout nous ne fussions que des araignées dégradées ! Pénélope l'a échappée belle !

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Topo clair, instructif et élégant que j'ai lu avec beaucoup de plaisir.

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@PhiPhilo a écrit:
(LaLogique, comme dirait shub22, c'est-à-dire, pour en revenir à Lacan, une certaine pulsion inconsciente de signifiance unilatérale) 

Vous pourriez développer ce point ? Ça m'intéresse beaucoup ce que vous entendez par "pulsion inconsciente de signifiance unilatérale"...

descriptionLa théorie sur la conscience de Dehaene en question - Page 3 EmptyRe: La théorie sur la conscience de Dehaene en question

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Contrairement à Freud qui s'empêtre dans une conception matérialiste d'un inconscient immatériel (Métapsychologie et Psychanalyse) Lacan est, avec Wittgenstein, l'un des promoteurs d'une approche conceptualiste du psychisme. Il écrit par exemple que

l’inconscient a à faire d’abord avec la grammaire. Il a aussi un peu à faire, beaucoup à faire, tout à faire, avec la répétition.

(Le Savoir du Psychanalyste.)

Pour lui, l'inconscient c'est l'impensable et l'impensable c'est l'indicible au sens où la grammaire de la langue du locuteur détermine inconsciemment sa pensée. Or, par "grammaire" il ne faut pas entendre la seule grammaire de surface qu'on nous enseigne à l'école mais aussi et surtout la grammaire profonde, c'est-à-dire la réitération d'une certaine structure intime du langage. C'est cela que Lacan appelle "lalangue" pour la distinguer de "la langue" dont s'occupe le dictionnaire. En d'autres termes, pour reprendre Saussure, fondateur de la linguistique, Lacan focalise son attention sur le signifiant ("lalangue") plutôt que sur le signifié ("la langue"), ce qui fait que
le savoir in-su dont il s’agit dans la psychanalyse, c’est un savoir qui bel et bien s’articule, est structuré comme un langage.

(Op. cit.).


Bref, ce n'est pas nous qui parlons "lalangue", mais c'est "lalangue" qui parle en nous et par nous. Comme le dirait Sartre, nous sommes "parlés" par "lalangue". On pourrait dire aussi que "toute une mythologie est déposée dans notre langage" (Wittgenstein, Remarques sur “le Rameau d’Or” de Frazer, 10).

Maintenant, quel est le rapport entre grammaire et logique ? Il n'est pas sûr que Lacan, tout comme Wittgenstein d'ailleurs, distingue bien les deux termes. Il dit par exemple que
le versant utile dans la fonction de lalangue, le versant utile pour nous psychanalystes, pour ceux qui ont affaire à l’inconscient, c’est la logique.

(Op. cit.)

Mais des logicistes tels que Frege ou Russell, qui faisaient cette distinction, réservaient le substantif "logique" à la seule structure interne des mathématiques en laquelle ils voyaient, tout comme leur lointain et prestigieux prédécesseur, la base de
Platon a écrit:
ces vérités enchaînées les unes aux autres au moyen d’arguments de fer et de diamant [...] des arguments que tu ne vas pas pouvoir rompre, ni toi, ni quelqu’un d’autre, encore plus impétueux que toi.

(Platon, Gorgias, 509a)

Les logicistes manifestent donc, typiquement et à leur "in-su", leur adhésion à un mythe parfaitement structuré : celui d'une purgation possible du langage ordinaire de toutes ses scories "illogiques" pour retrouver une sorte de pureté originaire qui réduirait (Leibniz en a rêvé) le langage à un calcul. C'est parce qu'il m'a semblé que le logicisme n'est qu'un simple avatar du scientisme dans le sens où, dans les deux cas, on fétiche et absolutise un signifiant ("lalogique" ou "lascience"), que j'ai parlé de "pulsion de signifiance unilatérale".

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Le problème de cette vision structuraliste de l'inconscient par Lacan, c'est précisément le structuralisme avec lequel des gens comme Deleuze et Guattari ont voulu en finir sinon la dépasser en parlant de schizo-analyse. Par exemple en substituant à LaLangue de Lacan une organisation des signes non hiérarchisée, non structurée que constituerait un "régime de signes". Le fou et le psychotique sont dans un autre régime de signes que l'individu non-fou (même s'il est "borderline", c.-à-d. pas tout à fait fou, mais dont la psychose émergerait par moment dans ses discours et actes) ; c'est ce qui rend toute tentative de communication avec les psychotiques éminemment difficile car cette psychose, cette partie "aliénée", a pris le pouvoir dans la psyché en dominant presqu'intégralement la partie dévolue à la rationalité. 
J'ai pu le tester et le voir sur le terrain en faisant de fréquentes visites à une clinique psychiatrique où mon frère travaillait comme psychiatre.
Le problème quand Lacan parle d'une grammaire de l'inconscient c'est qu'il évoque automatiquement une belle régularité, un ordonnancement précis et "structuré" de signes — en l'occurrence langagiers même et surtout s'il s'agit du braille ou du langage des sourds-muets — et obéissant à certaines lois censées, d'après la définition d'une grammaire, être toujours les mêmes. La répétition de ces mêmes formes vient constituer une cohésion interne, laquelle est de plus bien évidemment censée être partagée par tout le monde. Et heureusement d'ailleurs, car c'est ce qui fait que nous pouvons nous comprendre, même si la communication non verbale représente la partie la plus importante de la communication selon de récentes études. Cette organisation non-verbale, c'est ce que l'inconscient s'efforce de traduire en signes chez le rêveur, prenant parfois — mais c'est excessivement rare — l'aspect d'un récit cohérent. C'est ma conviction. 
Images, sensations, impression d'être dans un film où l'on serait à la fois spectateur et acteur, agissant et agi, proie et prédateur, victime et bourreau viendront le poursuivre, parfois même assez longtemps après : c'est un langage qui serait débarrassé de sa charge symbolique, source de névroses, et qui nous narrerait une fiction où les désirs du Moi brimé, refusé, foulé au pied par le réel viendrait enfin restituer un autre Moi, un Moi fictif dé-névrotisé, dans la perspective restaurée de son désir propre, de l'ordre de la réappropriation de ceux qui furent brimés et niés par le Réel... C'est le cinéma qui en parle le mieux comme dans "M le Maudit". Le trouble qui en provient nait surtout du fait de l'abolition apparente de toute espèce de dichotomie, notamment et surtout au niveau des rôles, ceux assumés socialement et dont nous finissons par penser qu'ils émanent ou émanaient d'un choix "libre" de notre part, au travers de la stratégie de la normatisation sociale. Des rôles choisis "librement" donc déterminés par la volonté et sa toute-puissance, emblème d'un capitalisme qui valoriserait la réussite individuelle...
La schizo-analyse ? Laisser au Désir l'espace où se déployer et le champ quasiment totalement libre pour choisir ses propres formes d'expression...
Chez Deleuze et Guattari c'est associé à la constatation que le capitalisme a codé voire sur-codé toute forme d'expression des désirs, et dont la société de consommation n'est qu'une forme surmoïsée.
D'après l'appareil conceptuel forgé par Freud  la condensation et le déplacement viennent en première approche former une façon de décrypter le ou les messages du rêve. Et sa méthodologie divise en 2 parties très distinctes, ce fameux message que le patient s'efforce d'atteindre lors des séances et de comprendre pour, dans l'orthodoxie freudienne, restaurer ce qui a été en l'occurrence refoulé voire sur-refoulé. Et qui occasionne un effort parfois intense pouvant se traduire en symptômes si le refoulement nécessite plus d'énergie que la psyché ne peut en fournir à l'aide du Surmoi... 
Et cause de souffrances.
Les contenus latent et manifeste du rêve selon Freud ? Une sorte de dichotomie très analogue à celle de Saussure selon moi lorsqu'il fait la distinction entre signifié et signifiant...
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