Liber a écrit:
Silentio a écrit:
Certes, la connaissance et la mise en forme de la réalité dépendent bien du sujet, mais il y a bien quelque chose qui se donne à la sensibilité.

Comment pouvez-vous le savoir ? Ce qui "se donne à la sensibilité" change tout le temps, aussi Platon a imaginé des Idées qui seules existent.

Peu importe le phénomène qui se présente dans sa particularité et à connaître, il y a de la phénoménalité en permanence. L'expérience produit continuellement du nouveau, de la différence, c'est cette donation comme telle qui donne son contenu à ma conscience, elle est toujours appréhension de quelque chose. Je ne parle même pas ici en termes kantiens, j'en reviens à la simplicité d'un regard phénoménologique.

Regardez les choses ordinaires autour de vous : qu'elles changent ou semblent identiques à elles-mêmes, elles se répètent avec des variations dans le temps et dans la perspective que vous avez sur elles. Peu importe que la chose soit un ceci ou un cela, plus ou moins ceci ou cela, en un temps x et un temps y, vous visez toujours une chose qui n'est pas en vous et qui vous résiste, voire qui vous impose une perspective sur elle. Prenons l'exemple d'un livre posé à côté de vous : certes, vous pouvez le disposer comme vous l'entendez et il a telle forme, il a une consistance que permettent les catégories par lesquelles nous connaissons l'objet. C'est un livre situé dans le temps et l'espace, ayant une forme, une profondeur, etc. Mais le simple fait qu'il soit là, que vous ne puissiez rien en faire par l'esprit si vous l'observez, pose son irréductibilité à votre conscience. Je ne sais pas ce qu'est l'objet en lui-même, je sais pourtant intuitivement qu'il est là, que je le rencontre, et qu'il n'est pas une production de mon imagination.

D'ailleurs, si Platon suppose une Idée, ou si Kant suppose une chose en soi, c'est bien parce que l'expérience sensible nous apprend que nous pouvons être trompés, mais surtout parce que la chose sensible est prise dans le devenir et les illusions de perspective. Ainsi, je suppose un en soi indépendant des différentes apparences contraires de l'objet parce que je saisis bien que l'objet se présente à moi, qu'il y a quelque chose qui, malgré les événements et ma position changeante par rapport à lui, s'impose à moi (même si, par exemple, l'objet n'est jamais véritablement le même, s'il n'y a rien de commun et de stable sous la succession et la simultanéité de qualités sensibles diverses et associées). Je ne choisis pas plus de voir la chose que de la voir changer. C'est bien que le phénomène, qu'il procède ou non d'une chose en soi mise ou non en forme par un sujet et son équipement perceptif, est irréductible à ma conscience, que je n'en suis pas à l'initiative. Même les empiristes, dont l'immatérialiste Berkeley (qui nie donc la matière, un substrat réel et stable sous les choses sensibles et hors de l'expérience), ne peuvent nier la réalité des perceptions et sensations irréductibles à la conscience : ce n'est pas elle qui se les donne à elle-même, elle les reçoit, alors même que le nominaliste nie l'Idée abstraite censée être "sous" le divers sensible concerné. Peu importe la modalité d'apparition des phénomènes, il y a apparition, ou mise en présence avec ce qui constitue un monde que la conscience peut appréhender, sans quoi elle ne pourrait pas elle-même avoir un lieu.