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Humanité-inhumanité

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Liber
JimmyB
broceliand
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descriptionHumanité-inhumanité - Page 6 EmptyRe: Humanité-inhumanité

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Zingaro a écrit:
Maintenant je trouve que vous êtes trop catégorique dans vos conclusions ; le rejet de l'autre est cruel pour la simple raison que tout un chacun sait, "intuite" qu'il n'y a pas de soi sans un nous. Pour un Juif en particulier puisque vous choisissez cette perspective, l'exclusion est une sentence terrible, hautement symbolique. Dans le cas des nazis je vous accorde qu'elle est imprégnée d'une certaine impuissance, elle n'en perd pas moins à mon sens ses allures guerrières.

Je me plaçais sur le plan des motivations. Le rejet de l'autre peut être éprouvé comme cruel par celui qui en est l'objet, je ne dis pas le contraire, mais il faut distinguer entre l'intention et l'effet. Quand un groupe social qualifie un individu d'inhumain, l'intention n'est pas de faire mal, c'est une réaction de repli du groupe social, sous le coup de l'effroi face aux actions commises, même si, dans les faits, exclure quelqu'un de l'ordre de l'humain pour ses actes est non seulement cruel, mais même arrogant à mon sens.

Liber a écrit:
C'est parce que Nietzsche lie la culpabilité à la domination d'une catégorie d'hommes sur les autres, à cette époque les Romains. Les Chrétiens vont imaginer un enfer où ils pourront se venger des Romains, leurs maîtres, ne pouvant le faire dans la vie réelle. Les Grecs n'ont jamais eu cette idée.

D'accord, c'est plus clair avec cet exemple.

descriptionHumanité-inhumanité - Page 6 EmptyRe: Humanité-inhumanité

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Liber a écrit:
Je ne crois pas à cette idée de "crime contre l'humanité", parce que tuer un seul homme ou un million, signifie renier l'humanité dans les deux cas, et cela même s'il s'agit d'un crime d'État (peine de mort). Je ne trouve pas l'homme plus essentiel (au sens philosophique, essence d'un être) quand on le considère par milliers que seul.
Il y a une typologie des crimes, en fonction de mobiles, d'objectifs et de circonstances significativement différents. Rares sont les crimes qui répondent à une intention claire et distincte de viser et de supprimer, dans un individu, l'humanité elle-même. Que le résultat soit le même est trompeur. La victime d'un psychopathe n'est pas la même "chose" que la victime d'un voyou écervelé qui se laisse dépasser par les circonstances, ou que la victime d'une passion amoureuse ou que les victimes de criminels nazis. Pour un psychopathe, la question même de l'humanité ne s'est jamais posée, et pour cause, il n'a le plus souvent jamais été lui-même considéré comme un homme ; un jaloux, en supprimant un rival, supprime plus humain que lui, parce qu'il refuse sa propre infériorité fantasmée. Pour le nazi, dès avant les atrocités commises pendant la guerre, un juif est une tare en soi, une impureté, un microbe, un sous-homme et finalement ce qui met en danger biologiquement et culturellement la race aryenne, le fleuron de l'humanité. Les centaines de réunions sur la question juive entre les hauts dignitaires nazis, dès les années trente, montrent que la question de la quantité des victimes n'est pas une question secondaire : on veut éradiquer par les moyens les plus appropriés un génos, jugé dangereux biologiquement, c'est une manipulation génétique à la plus grande échelle qu'on puisse imaginer, puisqu'il s'agit d'intervenir dans le processus même de la vie pour en infléchir la direction, pour la "corriger". A côté, Faust est un enfant de chœur.

Liber a écrit:
Si les Nazis avaient dénié l'humanité de leurs victimes, ils ne leur auraient pas infligé des traitements humiliants. Il faut lire Dostoïevski, qui a beaucoup écrit sur ce thème de l'humiliation, pour comprendre à quel point c'est un sentiment humain, trop humain, pour reprendre l'expression nietzschéenne (lequel fut très lucide sur cette question).
Rien de ce qui a été écrit ou imaginé avant la mise en œuvre des nazis ne peut préfigurer ce que ça a été. Il y a une rupture radicale dont on commence à percevoir ce que c'est au moment de la première guerre mondiale, mais pas avant. L'humiliation extrême peut être le fait de sadiques, dont le plaisir est le but. Les nazis n'ont pas le projet de "se faire plaisir". On devait bien compter des sadiques, dans les rangs de la Wehrmacht et de Schutzstaffel, mais l'objectif est bien dans une éradication, et les moyens révèlent un jusqu'au-boutisme et un systématisme qui ne peuvent être mobilisés par la seule humiliation, laquelle n'est pas un mobile suffisant ni constant. Les sentiments humains, trop humains ne le sont que dans des circonstances humaines, trop humaines. Si le nazisme était la règle, alors nous serions dans ce cas de figure, mais ça ne l'est pas.

Liber a écrit:
Certes, on dit souvent que la pitié nous distingue des animaux.
Rousseau ne dit pas cela. Il dit même que c'est un point commun entre les animaux et les hommes dans l'état de nature. Or le propre de la pitié, chez Rousseau, c'est qu'elle n'est pas le moyen d'une domination. Il est explicite : dans l'état de nature, l'homme n'est ni bon ni mauvais, il n'y a pas de bien ni de mal, ni de vertus ni de vices. Cela est antérieur à la société, et à plus forte raison au christianisme. D'où ma question au sujet de Nietzsche.
Liber a écrit:
Dès lors, je me demande si Nietzsche ne fait pas fausse route, lorsqu'il vise le christianisme en démasquant la pitié.
En tous les cas, il lie dans le christianisme la pitié à la dualité Bien/Mal, ce qui me semble une évidence. D'autre part, comme il le rappelle justement, la pitié a toujours été méprisée par les plus grands philosophes. Je veux bien que Rousseau ait beaucoup de qualités, cependant, il sera difficile de le confronter à eux.
Mais le terme, chez Rousseau, désigne autre chose. Il ne parle pas de la pitié au sens le plus courant qu'on lui donne. Rousseau découvre un sentiment nouveau qu'il nomme ainsi, mais dont il prend le temps de développer ce à quoi ça réfère. Or ça ne réfère pas à ce dont parle Nietzsche, ou Hegel, ou un autre. Sur ce point, les Allemands me paraissent obnubilés par le christianisme. Platon, le prétendu père du christianisme, était tout aussi sévère à l'endroit de la pitié. Il y a donc quelque chose qui cloche.

Liber a écrit:
Personnellement, je pencherais tout de même pour une folie nazie, ne serait-ce que pour le mysticisme qui accompagna toute leur vie politique, la folie des grandeurs, la paranoïa, qui sautent aux yeux de n'importe quel observateur, et qui ont leur attirance, car c'est par là que se recrutent les nostalgiques, certainement pas par les camps de la mort (cf. les négationnistes).
Mais cela même ne dédouane pas les nazis, qui savaient ce qu'ils faisaient. La seule chose qui intéresse les juristes, ici, c'est de savoir si le cas ou les cas de folie constatés équivalent à une perte partielle ou totale de la raison, pour établir les responsabilités.

Liber a écrit:
Il y a encore quelque chose qui me chiffonne là-dedans. En quoi tuer est-ce "mal" ? Qu'est-ce qui nous amène à penser que tuer = mal ? Etant entendu que jamais un animal ne se posera ce genre de questions. Certes, le prophète a tranché la question comme Alexandre le nœud gordien : "Tu ne tueras point". Mais s'il avait dit "Tu tueras ton prochain", quelle eût été la différence ? Nietzsche pose clairement la question quand il déclare que le Vieux de la montagne, qui justement avait une telle morale, puisqu'il ordonnait à ses disciples de tuer, était le plus libre des esprits libres. Ces gens s'appelaient des Assassins, parce qu'ils consommaient du haschich, le Vieux leur fournissant, comme tout commandement militaire à ses soldats, de quoi affronter la peur.
Vous envisagez la question sous l'angle d'une codification morale, mais la morale n'est pas d'abord une codification, la chose est même toujours extrêmement tardive. Quand on dit : "tu ne tueras point", on ne fait que formuler en la synthétisant une très longue expérience accumulée sur des centaines et des milliers d'années. La morale, c'est d'abord et avant tout une économie de la violence, autrement dit, c'est la société elle-même. Il n'y a guère que des individus vivant dans une société qui n'a de réalité que le nom pour se poser la question du bien et du mal, et dans laquelle, par conséquent, la morale comme telle est incompréhensible.

Liber a écrit:
Le nazi, pour se sentir dominateur, a besoin de rabaisser sa victime, il ne se contente pas de la parquer comme un animal, il veut qu'elle sache qu'elle n'est rien en comparaison de lui, la race supérieure.
Les témoignages disent que non. Le nazi se contrefiche éperdument de faire savoir à ses victimes juives, fût-ce par les moyens les plus barbares, qu'elles ne sont rien en comparaison de lui. Vous lui prêtez des vertus "pédagogiques". Dans un camp de concentration, le juif sait qu'il n'est rien. Tout dans le Lager, le Lager en soi le lui dit.

Zingaro a écrit:
Rousseau a écrit:
Je demande laquelle, de la vie civile ou naturelle, est la plus sujette à devenir insupportable à ceux qui en jouissent ? [...] Qu'on juge donc avec moins d'orgueil de quel côté est la véritable misère. Rien au contraire n'eût été si misérable que l'homme sauvage, ébloui par des lumières, tourmenté par des passions, et raisonnant sur un état différent du sien

Aucun grand comique n'a su manier l'ironie comme lui.
Plaît-il ?

Intemporelle a écrit:
Je cite un extrait de La notion de politique de Carl Schmitt, si sa pensée peut être sujette à discussion, il a parfaitement su entrevoir néanmoins toutes les conséquences de ces catégories assez récentes "d'humain" et "d'inhumain".
Il y a là un procédé de justification des guerres particulièrement fécond de nos jours. Dans ce cas, les guerres se déroulent, chacune à son tour, sous forme de toute dernière des guerres que se livre l’humanité. Des guerres de ce type se distinguent fatalement par leur violence et leur inhumanité, pour la raison que, transcendant le politique, il est nécessaire qu’elles discréditent l’ennemi dans les catégories morales, religieuses et autres pour en faire un monstre inhumain, qu’il ne suffit pas de repousser, mais qui doit être anéanti définitivement au lieu d’être simplement cet ennemi qu’il faut remettre à sa place, reconduire à l’intérieur de ses frontières. (...)
L’humanité en tant que telle ne peut pas faire la guerre, car elle n’a pas d’ennemi : le concept d’humanité exclut le concept d’ennemi parce que l’ennemi lui-même ne laisse pas d’être un homme, aucune distinction spécifique n’est possible. Le concept d’humanité est un instrument idéologique particulièrement utile aux expansions impérialistes, et sous sa forme éthique et humanitaire, il est un véhicule de l’impérialisme économique. On peut appliquer ce cas, avec la modification qui s’impose, un mot de Proudhon : « Qui dit humanité veut tromper.» Le fait de s’attribuer ce nom d’humanité, ne saurait que manifester une prétention effrayante à faire refuser à l’ennemi sa qualité d’être humain, à le faire déclarer hors la loi et hors l’humanité, et partant, à pousser la guerre jusqu’aux limites extrêmes de l’inhumain.
Penser que l'ennemi est inhumain, et qu'au nom d'une certaine idée de l'humanité, il faut l'anéantir, rapproche singulièrement les tenants de la morale et les totalitarismes (Hitler, Staline, Mao etc.) ; toute la différence tient au contenu que vous mettez derrière le mot "humanité", mais tout comme ces hommes, au nom de ce contenu vous pensez être en droit de déclarer que X homme est un ennemi radical au point que ne pas le tuer serait nier l'humanité.
Manent a écrit quelque chose de proche (cf. le fil de discussion : http://www.forumdephilosophie.com/t577-qu-appelle-t-on-democratie-en-grece ) :
On pourrait dire que notre histoire politique consiste pour une grande part en la pacification successive, quoique imparfaite, des trois sortes de guerre. D'abord pacification des luttes d'honneur entre nobles guerriers par le souverain niveleur ; ensuite, métamorphoses et pacification de la guerre des classes, de la guerre entre le petit nombre et le grand nombre. Au terme de ce double processus, les États-nations démocratiques sont pour l'essentiel pacifiés à l'intérieur, et la guerre - de plus en plus rare mais de plus en plus violente - est reportée sur la frontière qui sépare chaque nation de l'étranger. Le phénomène de la frontière devient de plus en plus significatif, la séparation frontalière de plus en plus marquée en même temps que la distinction entre la guerre et la paix devient plus tranchée - la paix étant toujours plus douce, la guerre toujours plus violente. Progrès ou approfondissement de la paix, et aggravation ou exacerbation de la guerre vont paradoxalement de pair. Plus la paix est la condition naturelle des sociétaires, plus la guerre, lorsqu'elle éclate, est violente, illimitée, hors nature : les hommes sont jetés sans règles ni repères dans un élément qui leur est devenu tout à fait étranger, et ils sont susceptibles alors d'adopter des conduites, ou de tomber dans des comportements, qui eussent paru absurdes ou monstrueux à leurs pères des générations guerrières. Il suffit de penser aux tranchées de la guerre de 14, et au type de guerre dont elles furent le cadre et l'expression. De l'âge héroïque à l'âge bourgeois et démocratique, le processus politique nous a fait passer d'une situation où la guerre, avec ses différences internes, sous ses trois formes, était le mode de vie naturel des hommes, et comportait donc en général les règles et les limites qui vont avec cette condition - bien entendu, la guerre comporte nécessairement l'exaltation de parties de l'âme difficiles à maîtriser une fois éveillées, elle implique nécessairement emportement, excès, violence gratuite, cruauté... Achille ! -, à une situation où la guerre est devenue complètement étrangère à la vie normale et est donc exposée à l'emballement illimité dont la Première Guerre mondiale a donné le type.

Avec les "guerres hyperboliques" du XXe siècle, selon l'expression de Raymond Aron, un point extrême a été atteint. Il fut impossible de revenir ensuite à une "situation normale", à la guerre as usual. En Europe, la situation bascula dans ce qu'on est irrésistiblement tenté d'appeler une paix hyperbolique : il n'y eut plus d'ennemi, les frontières s'effacèrent, et la guerre devint "impensable". C'est bien sûr une question de savoir si cette paix hyperbolique est durable.

Les métamorphoses de la cité. Essai sur la dynamique de l'Occident, pp. 71-73.

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Intemporelle a écrit:
[...] mais si justement vous situez l'inhumain dans l'humain, de telle sorte qu'ils ne s'excluent pas, en dissociant acte inhumain et auteur de l'acte qui lui est humain, pourquoi garder ce terme d'inhumain dont la radicalité ici ne se justifie plus ?

On pourrait effectivement laisser ces deux termes au sens commun et essayer de trouver autre chose. Mais on pourrait aussi voir dans le préfixe in une exclusion, non pas de l'espèce humaine, mais de son projet. Ainsi l'exclusion aurait ici un sens qui s'apparenterait au bannissement par un groupement humain, ce qui rejoint votre position et avec laquelle je n'ai jamais été en désaccord. Je voulais juste montrer que nous n'avions pas besoin de la métaphore. Tout au plus ai-je recours à des contorsions, qui je vous l'accorde aussi, ne sont pas pleinement satisfaisantes. Il faudrait de l'innovation en ce domaine.

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Nouveau topic suite à une digression de broceliand à propos d'un poème que quelqu'un avait publié dans le forum (section littérature). Les messages hors-sujet qui interféraient avec le fil de cette digression ont été déplacés dans les Archives du forum.

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L'idée d'humain est portée par l'humanisme classique qui vise une réalisation de l'humain conformément au modèle cosmologique ou identitaire. Elle implique celui de barbare (inhumain) et justifie paradoxalement tous les barbarismes pour combattre l'inhumain - comme, par exemple, ceux perpétrés par la colonisation ou le manque de respect de la nature, car l’humain est le refus de tout ce qui est opposé à l'image que l'on se fait de l'homme (inhumain). Ces barbarismes commis au nom de l'humain nous font contester la notion d'humain sous la forme d'un certain antihumanisme -humanisme critique (Foucault), humanisme ontologique (Heidegger).

Martin Heidegger Lettre sur l’humanisme
[…] la pensée qui s'exprime dans Sein und Zeit est contre l'humanisme. Mais cette opposition ne signifie pas qu'une telle pensée s'oriente à l'opposé de l'humain, plaide pour l'inhumain, défende la barbarie et rabaisse la dignité de l'homme. Si l'on pense contre l'humanisme, c'est parce que l'humanisme ne situe pas assez haut l’humanitas de l'homme.
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