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Variations autour de Nietzsche.

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descriptionVariations autour de Nietzsche. - Page 6 EmptyRe: Variations autour de Nietzsche.

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Silentio a écrit:
nous sommes plus en mesure de saisir les différents traits de la figure pascalienne et en conséquence de mieux comprendre sa pensée et d'en saisir les subtilités et tensions. Nous ne savons toujours pas à quoi aurait ressemblé le livre tel qu'il aurait été achevé par son auteur, toutefois nous sommes de plus en plus éloignés de tout doute.

Si la connaissance philologique apportait ce genre de réponses, nous les aurions depuis belle lurette aussi bien sur Nietzsche que sur Pascal. Quel penseur moderne a fait l'objet d'autant de recherches que Nietzsche, y compris sur les aspects les plus privés de sa vie ? Pascal partage également avec Nietzsche la même ambiguïté d'avoir été utilisé par les penseurs les plus éloignés et les plus opposés entre eux, ce qui indubitablement brouille le message de ces deux philosophes. Pour continuer la comparaison, combien de plans Pascal a-t-il laissés ? A-t-il mis son projet de côté avant sa mort ?

la sœur de Nietzsche a non seulement forgé ce corpus de textes (arbitrairement ?) et qu'elle a fait le lien avec le nazisme, étant elle-même déjà engagée dans un mouvement politique et idéologique propre au nationalisme que Nietzsche méprisait et raillait.

Soyons plus précis sur les motivations d'Elisabeth Nietzsche pour publier la Volonté de puissance. Elle avait hérité des papiers de son frère, le besoin d'argent se faisait sentir car la commune de Bâle avait supprimé la pension de retraite de Nietzsche après son passage dans la folie, des travaux étaient devenus nécessaires pour aménager la maison familiale afin de soigner son frère, rajoutons à cela le coût grandissant des soins à mesure que s'éloignait l'espoir d'une guérison. Heureusement, le succès de Nietzsche allait grandissant. De nombreux penseurs réclamaient la publication de ces textes. La tentation était forte de les publier au fur et à mesure, sans compter le long travail de déchiffrage nécessaire. Elisabeth ne pouvait se permettre d'attendre des années, ce qu'aurait nécessité un patient labeur philologique en bonne et due forme.
Elle a donc choisi de publier au plus vite (mais pas assez pour que son frère en profite) sous une forme alléchante les premiers fragments de son frère, en faisant croire à un livre qu'il préparait, ce qui n'était pas un mensonge, mais seulement une demi-vérité, la vérité étant que Nietzsche, incapable de se mettre à l'ouvrage, en raison de ses difficultés de santé, de déplacement, de vie inconfortable, et de moyens financiers, sa pension baissant chaque année un peu plus, abandonna temporairement (le croyait-il) son projet pour écrire des pamphlets plus conformes à ses possibilités réelles de travail et plus propices à lui valoir de rapides succès de librairie qu'il attendait de plus en plus impatiemment. Daniel Halévy (je crois) demande dans sa biographie quand ces papiers seront publiés dans une édition similaire à celle de Pascal, plutôt qu'au compte-goutte, dans des volumes successifs (il n'y eut pas que la Volonté de puissance). Bien qu'Elisabeth ait fini par céder à l'appât du gain, du moins soyons lui gré d'avoir voulu aider son frère, au lieu de l'abandonner dans un quelconque hôpital, et d'avoir dû pour cela utiliser le talent de celui qu'elle admirait plus que tout autre homme. Le caractère insupportable, tyrannique, colérique et j'en passe, de cette femme (de l'aveu de tous) a même été un puissant allié pour tenir avec énergie devant autant de difficultés. Une sœur tendre et aimante n'aurait pas été d'un plus grand secours à Nietzsche dans la situation où il était plongé.

Qu'est-ce qui, au fond, différencie la bête blonde germanique de l'officier SS ?

Pour la bonne raison que l'officier SS n'en est pas une, il ressemble plutôt à un mouton, en effet il n'a rien de barbare, il est un pur produit de la bureaucratie du Reich. Le point de contact se situe sur la reprise de ce mythe par Nietzsche, qu'il a tiré des ouvrages de penseurs antisémites comme Dühring qu'on retrouve dans sa bibliothèque.

En revanche, l'idéal de Nietzsche ne réside pas dans l'État, il est plutôt admiratif de Rome, des cités de la Renaissance ou de l'Empire napoléonien.

Essentiellement des cités de la Renaissance italienne. Mais cet idéal, il le tient de Burckhardt, dont il suivait assidûment les cours. Rome l'intéresse, toujours d'après Burckhardt (cf. son premier livre sur la Rome chrétienne), pour sa décadence, dont il parle abondamment dans l'Antéchrist. L'époque napoléonienne, pour son Empereur, évidemment, "synthèse du surhumain et de l'inhumain".

en raison de l'histoire ce livre ne peut pas être lu comme un autre, semble-t-il. Quant au titre et au plan du livre, il faudrait savoir précisément à quoi ils renvoient.

A un projet de Nietzsche écrit noir sur blanc sur un de ses papiers, et évoqué dans sa correspondance. L'œuvre de Nietzsche tout entière ne peut pas être lue comme une autre. ;)


Nos humanistes moralisants sont déjà choqués par l'harmonie préétablie de Leibniz prenant en compte le mal et par le travail du négatif chez Hegel justifiant les pires événements comme la Terreur comme nécessaires vers une situation meilleure (mais alors la Shoah est-elle justifiée ? La Raison qui se déploie dans l'Histoire peut-elle faire ça ? Peut-on l'accepter ? Et quel est ce monde meilleur que le génocide a permis ?).

Le problème reste celui du progrès moral, et curieusement, ce sont les moralistes ou tous ceux qui croient à la Raison qui se retrouvent acculés devant la Shoah, pas un sceptique comme Nietzsche, et encore moins Schopenhauer.

Sinon ce que vous dites me fait penser à Ecce homo, Nietzsche y donne le sens de son projet et de sa manière littéraire de s'y prendre. La grandiloquence et l'impression de folie sont des effets de style, visant des fins très précises.

Nietzsche se fait passer plus d'une fois pour un fou dans ses livres (cf. l'aphorisme de la mort de Dieu).

Les penseurs de gauche ont développé certains axes et thématiques propres à Nietzsche. Ils peuvent se réclamer d'une certaine facette du philosophe. C'est plus dérangeant lorsqu'ils se disent "nietzschéens", ce qui d'une part ne veut rien dire, et ce qui d'autre part est une manière de s'attribuer l'aura qui entoure Nietzsche et de réduire ce dernier à peu de choses (c'est une confiscation du sens qui objective la pensée et la nie).

Mais heureusement, Nietzsche échappe à ses porte-drapeaux. Il est ce qu'il a voulu être, un penseur sans disciples possibles, parce que le maître est trop original (comme Schopenhauer) pour pouvoir être imité.

descriptionVariations autour de Nietzsche. - Page 6 EmptyRe: Variations autour de Nietzsche.

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Liber a écrit:
Pascal partage également avec Nietzsche la même ambiguïté d'avoir été utilisé par les penseurs les plus éloignés et les plus opposés entre eux, ce qui indubitablement brouille le message de ces deux philosophes.

Il n'a pas servi à justifier des massacres, à ce que je sache, ce qui n'est pas le cas de Rousseau ou de Nietzsche. Voilà pour leur spécificité.

Liber a écrit:
Pour continuer la comparaison, combien de plans Pascal a t-il laissé ? A t-il mis son projet de côté avant sa mort ?

Pour la première question je ne sais pas. Pour la seconde il me semble que non (il faudrait vérifier), continuant certainement à retravailler sans fin ses textes. Je ne sais plus s'il avait déjà des plans numérotant et ordonnant les pensées ou si c'est le fait de ses amis de Port-Royal puis des spécialistes.

Liber a écrit:
frère, le besoin d'argent se faisait sentir car la commune de Bâle avait supprimé la pension de retraite de Nietzsche après son passage dans la folie, des travaux étaient devenus nécessaires pour aménager la maison familiale afin de soigner son frère, rajoutons à cela le coût grandissant des soins à mesure que s'éloignait l'espoir d'une guérison. Heureusement, le succès de Nietzsche allait grandissant. (...) Une soeur tendre et aimante n'aurait pas été d'un plus grand secours à Nietzsche dans la situation où il était plongé.

Je suis d'accord en ce qui concerne le caractère de la sœur et l'influence qu'elle a eu sur la personnalité de son frère. Mais je reste sceptique quant à ses motivations. Elle aimait son frère et aimait la vie et le prestige qu'elle a pu avoir grâce à son frère parmi les cercles wagnériens. Soit, mais pouvez-vous écarter toute motivation politique au motif qu'elle ne rechercherait que son profit et à aider son frère ? On sait que son projet de Neu Germania a échoué. Il lui fallait des fonds, et peut-être bien faire connaître des théories propres à alimenter l'engouement pour ce genre de communauté et d'idéologie. Pourquoi n'aurait-elle pas profité du travail de son frère et de son autorité sur lui ?

Liber a écrit:
Pour la bonne raison que l'officier SS n'en est pas une, il ressemble plutôt à un mouton, en effet il n'a rien de barbare, il est un pur produit de la bureaucratie du Reich. Le point de contact se situe sur la reprise de ce mythe par Nietzsche, qu'il a tiré des ouvrages de penseurs antisémites comme Dühring qu'on retrouve dans sa bibliothèque.

Très bien. Vous semblez tout de même suggérer fortement que nous ne savons pas à quel point Nietzsche a pu être terrible et que VP donne à voir son côté obscur (comme si, en plus, les autres livres n'avaient rien de terrible, comme si ça devait nous paraître injustifiable ; au contraire, j'assume et comprends le tragique et la cruauté qui s'y expriment, ce qui ne signifie pas que nous voulons, pouvons ou aimerions faire ce qui nous est préconisé). Mais à quel point est-il "mauvais" ? Est-il si maléfique, radicalement mauvais et infâme ? Pourquoi refuser alors de le mettre sur le même pied que le nazisme ? Est-ce parce qu'il se refuse à penser une politique étatique ? Mais qui est chargé de discipliner et de sélectionner les individus ? La culture seule ? Le philosophe retiré du monde ? (Attention, mon but n'est pas de faire de Nietzsche un proto-nazi, à mon avis il est plus proche de Platon et de Rousseau en matière d'éducation, et rêve d'hommes forts sur le modèle antique, associé à un modèle chevaleresque, et concevant le rôle de la guerre sous l'angle des cités de la Renaissance, donc rien de si terrible en réalité, même si cela semble être une régression pour l'homme moderne qui s'est déshabitué de la dureté, de la fermeté, de tout ce qui élève l'homme en lui demandant des efforts.)

Liber a écrit:
A un projet de Nietzsche écrit noir sur blanc sur un de ses papiers, et évoqué dans sa correspondance. L'œuvre de Nietzsche tout entière ne peut pas être lue comme une autre.

Si je ne me trompe pas, il y eut plusieurs tentatives avortées et plusieurs plans pour VP en tant qu'Inversion de toutes valeurs, ce qui finalement n'aboutit pas, Nietzsche transformant l'essai en ce qui fut l'Antéchrist. Corrigez-moi si besoin.

Je précise, à nouveau, que je ne connais pas le contenu de VP, ne l'ayant pas lu. Je le devine seulement, n'étant pas tout à fait ignorant ; je trouve stimulant de penser le "vrai" Nietzsche comme un philosophe du "mal". Cela dit, quand on a lu les dernières sections de PBM par exemple il n'y a rien de nouveau, non ? Ce qui me trouble, disons, c'est que vous voulez que nous acceptions VP comme si cela donnait toute la vérité sur une pensée dont il faudrait se défendre de la rattacher d'une manière ou d'une autre aux conséquences qu'elle a pu avoir historiquement alors même que le fond de cette pensée, selon vous, est d'être une doctrine prônant (en partie ou en totalité) ce que l'on reproche justement au nazisme ! Bien sûr, la violence n'est pas propre au nazisme et toute violence n'atteint pas nécessairement le niveau que lui a donné le nazisme. La proximité entre VP et le nazisme est délicate, et ce d'autant plus qu'il faut évaluer la distance restante entre deux pensées de la violence (ou de la domination, etc.) dont l'une est en partie inspirée par l'autre. Or je pense que nous sommes nombreux à adhérer aux exigences et diagnostics émis par Nietzsche et à condamner le nazisme (moralement ou du point de vue de la culture et de la vie). Je ne dis pas, toutefois, qu'il est mauvais de flirter avec la folie, le crime ou le monstrueux, l'inconcevable. Il s'agit surtout de s'étonner de l'enjeu qui apparaît avec la valorisation ou la dévalorisation de VP, ou tout simplement avec le problème de son évaluation. Je sais que cette discussion a eu lieu un nombre incalculable de fois, et je ne tiens absolument pas à accuser Nietzsche de quoi que ce soit. Je me demande plutôt quoi faire et quoi penser d'une œuvre que je lirai mais dont la lecture n'est pas anodine, pour des raisons qui finissent par se rejoindre, historiquement donc et parce que selon Liber le nietzschéisme authentique est un immoralisme radical nourri par la destruction, le meurtre, la négation d'autrui et tout ce que l'on voudra (on pourra tout de même se demander où est le médecin, l'artiste, le philosophe de la création et de la joie, etc.) - ce que je ne réfute pas, ce n'est pas le débat et je sais très bien tout ce qu'il y a de plus cruel chez Nietzsche ; ce qui m'intéresse ce sont les implications d'une interprétation orientée à l'extrême dans un seul sens et qui deviendrait le critère ultime pour juger d'une pensée et d'une œuvre antérieure ; j'espère que l'on me comprendra, loin de moi l'idée d'ailleurs de critiquer l'immoralisme, la négation ou le polemos par exemple.

Liber a écrit:
Le problème reste celui du progrès moral, et curieusement, ce sont les moralistes ou tous ceux qui croient à la Raison qui se retrouvent acculés devant la Shoah, pas un sceptique comme Nietzsche, et encore moins Schopenhauer.

Je ne suis pas sûr que Nietzsche fût resté insensible face à la Shoah, je ne sais pas s'il eût pleuré (comme le veut le titre d'un roman) mais je pense qu'il aurait eu en horreur cet holocauste bien réel et réduisant en cendres un peuple noble (et antique) auquel il prédisait un grand avenir en Europe (cf. Aurore). Et le nazisme, quelle ignominie, la consécration de cette culture allemande si décadente, si avilissante ! Je vous rejoins pour comparer le SS au bureaucrate, ce qui rejoint les avertissements de Nietzsche et sa défiance vis-à-vis du kantisme. Il est dépourvu de vitalité, totalement mécanisé, habitué à obéir, tout sauf libre (un mouton, un esclave qui n'agit pas selon sa propre nécessité).

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Silentio a écrit:
Il n'a pas servi à justifier des massacres

Évidemment, il n'a pas parlé de politique. Cela ne l'empêche pas de défendre un relativisme moral encore plus pernicieux, mais qui n'a pas attiré suffisamment l'attention. Remarquez, jusqu'à preuve du contraire, rien ne contredit ce passage sur les deux rives :
Pourquoi me tuez-vous ? Eh quoi ! ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau ? mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin, et cela serait injuste de vous tuer de la sorte ; mais, puisque vous demeurez de l'autre côté, je suis un brave, et cela est juste

Appliquez cela aux guerres actuelles, écartez l'idéal humaniste qui n'est qu'une opinion déguisée en idéal universel et défendue à coups de bombes, vous tombez sur le relativisme pascalien qui est la seule vérité.

pouvez-vous écarter toute motivation politique au motif qu'elle ne rechercherait que son profit et à aider son frère ? On sait que son projet de Neu Germania a échoué.

Il me semble que ce projet était plutôt le fait de son mari. Quand celui-ci s'est suicidé au Paraguay, elle est rentrée chez elle et je ne crois pas (à vous de me dire si c'est faux) qu'elle ait continué à s'occuper de cette colonie. En ce qui concerne les écrits de Nietzsche, je pense que les choses sont beaucoup plus simples que ces suppositions de complot (qui soit dit en passant furent très vendeuses pour Colli/Montinari). Les livres de Nietzsche plaisaient tels quels au Reich, aux Nazis, comme les opéras de Wagner. Il n'y avait aucune raison pour que sa sœur modifie quoi que ce soit en faveur du Reich. Le Crépuscule des Dieux est une allégorie transparente de la fin du Reich, or croyez-vous que cela ait si peu que ce soit gêné les politiques de l'époque ? Pourtant, quelle charge de Wagner contre son époque ! Eh bien, Hitler finançait le festival de Bayreuth et y assistait avec pompe, croyant y retrouver une glorification de l'Allemagne de son temps (sic !). A propos, il serait intéressant de voir si on ne pourrait pas trouver en français la biographie de la sœur de Nietzsche sur son frère, car à mon avis, c'est surtout dans ce livre que l'entreprise de canonisation de Nietzsche a été la mieux conduite, avec le plus de détermination.

Mais à quel point est-il "mauvais" ? Est-il si maléfique, radicalement mauvais et infâme ? Pourquoi refuser alors de le mettre sur le même pied que le nazisme ? Est-ce parce qu'il se refuse à penser une politique étatique ? Mais qui est chargé de discipliner et de sélectionner les individus ? La culture seule ? Le philosophe retiré du monde ?

Je ne pense pas que l'on puisse tirer de conclusions politiques de ces quelques phrases "terribles", de quelque chose qui aurait dû se concrétiser, sinon en faire simplement les lambeaux d'une idéologie raciste, misanthrope, xénophobe, génocidaire, mais qui comme telle n'existe pas chez Nietzsche.

(Attention, mon but n'est pas de faire de Nietzsche un proto-nazi, à mon avis il est plus proche de Platon et de Rousseau en matière d'éducation, et rêve d'hommes forts sur le modèle antique, associé à un modèle chevaleresque, et concevant le rôle de la guerre sous l'angle des cités de la Renaissance, donc rien de si terrible en réalité, même si cela semble être une régression pour l'homme moderne qui s'est déshabitué à la dureté, à la fermeté, à tout ce qui élève l'homme en lui demandant des efforts)

Certes, mais cela va à contresens de ses affirmations sur les nations européennes, sur les races qui les composent, sur ses allusions à l'utilisation de la biologie, donc de la science, à des fins d'eugénisme. Nietzsche a pris ce tournant peu à peu, à cause selon moi de sa tendance à trop généraliser, ce qui n'était pas vraiment du goût de Burckhardt, le chantre de la Renaissance italienne, de ses cités, de la guerre à petite échelle. Si vous lisez le Voyage en Italie de Taine, vous retrouverez cette Italie là, de même, en plus romantique (naturellement pour un romancier) chez Stendhal, de plus en plus lu vers cette époque. C'était à la mode en 1870, comme l'Espagne en 1830. ;)

Liber a écrit:
A un projet de Nietzsche écrit noir sur blanc sur un de ses papiers, et évoqué dans sa correspondance. L'œuvre de Nietzsche tout entière ne peut pas être lue comme une autre.

Si je ne me trompe pas, il y eut plusieurs tentatives avortées et plusieurs plans pour VP en tant qu'Inversion de toutes valeurs, ce qui finalement n'aboutit pas, Nietzsche transformant l'essai en ce qui fut l'Antéchrist. Corrigez-moi si besoin.

On se base sur un seul papier pour prétendre cela, une rature, or dans ce cas, pourquoi critiquer le plan choisi pour VP ? D'autre part, l'Antéchrist quoi qu'il en soit de ce papier, n'épuise pas à lui seul toute la pensée de Nietzsche, la décadence chrétienne et nihiliste n'étant pas le seul thème de sa philosophie. Il manque tout le côté "positif", que Nietzsche, comme le souligne très justement Halévy, a eu beaucoup plus de mal à écrire. En effet, ses livres précédents n'étaient faits que de critiques. Nietzsche maîtrisait à fond l'aspect polémique de sa philosophie, mais depuis Zarathoustra, il n'avait pas écrit un livre avançant des solutions claires. Dans les Dithyrambes à Dionysos, il renoue avec la poésie, mais ces poèmes sont surtout des pensées fixées au vol, rien de ce traitement poétique de l'Éternel Retour qu'Elisabeth mentionne comme la conclusion probable à la Volonté de puissance. Ma pensée définitive là-dessus rejoint celle d'Halévy.

Cela dit, quand on a lu les dernières sections de PBM par exemple il n'y a rien de nouveau, non ?

VP est d'un autre Nietzsche que celui de PBM, d'une maturation exceptionnelle. Sa pensée devenait de jour en jour plus géniale. Mais aurait-il trouvé ce "style inimitable" dont parle sa sœur pour magnifier ces pensées à l'état de brouillon ?

Ce qui me trouble, disons, c'est que vous voulez que nous acceptions VP comme si cela donnait toute la vérité sur une pensée dont il faudrait se défendre de la rattacher d'une manière ou d'une autre aux conséquences qu'elle a pu avoir historiquement alors même que le fond de cette pensée, selon vous, est d'être une doctrine prônant (en partie ou en totalité) ce que l'on reproche justement au nazisme !

Je dis que sa pensée a atteint dans VP un stade tellement élevé par rapport à ses précédents livres, que nous ne pouvons pas considérer autrement ce livre que comme un stade supérieur atteint par le philosophe dans l'évolution de sa pensée. Le génie de Nietzsche m'est apparu le plus grand dans ces passages, mais bien entendu, ils ne sont pas d'une rédaction achevée (dans leur immense majorité), peut-être vois-je trop en rêve la beauté de ces pages une fois rédigées et cela influe-t-il sur mon jugement ?

Il s'agit surtout de s'étonner de l'enjeu qui apparaît avec la valorisation ou la dévalorisation de VP, ou tout simplement avec le problème de son évaluation.

Ce livre est un des plus grands "livres" de Nietzsche, quoiqu'on en dise. Il est regrettable que la présentation philologique des FP empêche 99% des lecteurs d'accéder à ces textes magnifiques et géniaux. Donc, quel que soit le bien fondé de tel ou tel plan, ou d'un plan tout court, la VP a le mérite de donner pour quelques euros l'accès à un monument de la pensée européenne.

Je sais que cette discussion a eu lieu un nombre incalculable de fois, et je ne tiens absolument pas à accuser Nietzsche de quoi que ce soit. Je me demande plutôt quoi faire et quoi penser d'une œuvre que je lirai mais dont la lecture n'est pas anodine, pour des raisons qui finissent par se rejoindre, historiquement donc et parce que selon Liber le nietzschéisme authentique est un immoralisme radical nourri par la destruction, le meurtre, la négation d'autrui et tout ce que l'on voudra (on pourra tout de même se demander où est le médecin, l'artiste, le philosophe de la création et de la joie, etc.) - ce que je ne réfute pas, ce n'est pas le débat et je sais très bien tout ce qu'il y a de plus cruel chez Nietzsche

Je me dois quand même de répondre. "Immoralisme radical", oui bien entendu, tel se définit Nietzsche. Sauf que la négation d'autrui, c'est un concept de gauche, humaniste (pas l'humanisme des Florentins bien entendu  [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] ). Vous nourrissez trop votre lecture de Nietzsche de présupposés moraux, ce que je n'ai jamais fait. J'ai toujours abordé Nietzsche "tel quel". Nietzsche, c'est Benvenuto Cellini, un grand artiste meurtrier, c'est César Borgia, amateur d'art raffiné et empoisonneur notoire. A mon avis, vous devriez comme je l'ai fait moi-même naturellement, aborder Nietzsche par le biais de son époque, et notamment Taine et Burckhardt, en bref d'une manière moins deleuzienne, peut-être aussi, moins allemande, moins idéaliste. Nietzsche rêve certes de la Renaissance, de ces grandes périodes d'action, mais justement, ces époques se caractérisent surtout par le réalisme. Voyez Florence, voyez l'Italie, voyez la Grèce, tout y est clair, limpide, nettement dessiné. Ainsi tout s'éclaire. On ne fera plus autant de cas de certains des aspects wagnériens de Nietzsche, du premier Nietzsche, moins "burckhardtien", moins "tainien" (pardon pour ces deux barbarismes).

Je ne suis pas sûr que Nietzsche soit resté insensible face à la Shoah, je ne sais pas s'il aurait pleuré (comme le veut le titre d'un roman) mais je pense qu'il aurait eu en horreur cet holocauste bien réel et réduisant en cendres un peuple noble (et antique) auquel il prédisait un grand avenir en Europe (cf. Aurore).

En aurait-il pour autant renié son immoralisme ? Vous savez bien que non. Encore une fois, la tentation moralisante est là. La voyez-vous ?

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Liber a écrit:
Évidemment, il n'a pas parlé de politique.

Si, il en a parlé, dans un relativisme qui se retourna pour justifier malgré tout ce qui était sans fondement mais indispensable pour vivre (la coutume, la justice, etc.). On peut dire qu'il n'a pas fait de politique, même s'il s'engagea aux côtés de Port-Royal contre les Jésuites, l'Église et l'absolutisme de Louis XIV. La querelle religieuse cache des tensions et intérêts purement politiques.

Liber a écrit:
Appliquez cela aux guerres actuelles, écartez l'idéal humaniste qui n'est qu'une opinion déguisée en idéal universel et défendue à coups de bombes, vous tombez sur le relativisme pascalien qui est la seule vérité.

Il n'y a ni bien ni mal, seulement des intérêts et des rapports de force.

Liber a écrit:
Eh bien, Hitler finançait le festival de Bayreuth et y assistait avec pompe, croyant y retrouver une glorification de l'Allemagne de son temps (sic !).

Ce qui n'était pas le cas ? Pourtant le festival a rassemblé depuis son instauration des cercles où pullulaient les nationalistes. Étaient-ils en manque du narcotique wagnérien ? Cela dit, j'ai vu récemment un reportage sur Arte expliquant la vraie portée politique de Rienzi, opéra critique prédisant bizarrement le nazisme et le condamnant à l'avance. Or le personnage de Rienzi fut un des héros du jeune Hitler qui ne l'oublia jamais.

Je ne pense pas que l'on puisse tirer de conclusions politiques de ces quelques phrases "terribles", de quelque chose qui aurait dû se concrétiser, sinon en faire simplement les lambeaux d'une idéologie raciste, misanthrope, xénophobe, génocidaire, mais qui comme telle n'existe pas chez Nietzsche.

C'est plus clair, cela signifie-t-il qu'il faut réduire leur portée et les déconsidérer, ne pas en faire la moelle de tout VP ?

Liber a écrit:
On se base sur un seul papier pour prétendre cela, une rature, or dans ce cas, pourquoi critiquer le plan choisi pour VP ?

Je ne critique pas le plan choisi, je demande d'en savoir plus sur le contenu qui m'est inconnu et dont je dis qu'il faudrait connaître la nature et les ressorts pour pouvoir légitimement s'offusquer de voir écrits les mots de discipline et de sélection. Franchement je trouve que ces deux notions ont quelque chose de noble, elles écœurent cependant le moderne qui refuse l'autorité, la contrainte, l'effort et prône l'égalité. Quant à l'eugénisme, justement, est-ce que Nietzsche a parlé du moyen par lequel il voulait le pratiquer ? Une chose est de pratiquer un eugénisme scientiste dans le nazisme, une autre est de dire qu'il y a des valeurs et des pratiques culturelles et une éducation qui permettent de former les individus, de repérer des prédispositions et d'approfondir leurs qualités, ainsi que de les sélectionner (au mérite par exemple ou encore par le mariage entre certaines familles d'un même peuple et par les métissages savamment choisis). Je ne connais pas la méthode proposée par Nietzsche, peut-être eût-il aimé que l'on produisît des hommes parfaits en éprouvette, que l'on sélectionne les ADN (avant l'heure) et qu'une race supérieure en supplante une autre en la réduisant en esclavage ou en la massacrant. Ce serait aussi dérangeant que le nazisme. Mais il existe peut-être des alternatives, sachant que la race chez Nietzsche se réfère d'abord à des configurations typiques de forces associées à des traits culturels ou des coutumes, par exemple, qui font l'identité d'un peuple et dessinent son potentiel et font sa vitalité (son adéquation et son adhésion au réel, sa puissance et sa confiance en sa force). Or Nietzsche désire produire du génie et il y a des types différents d'hommes supérieurs (le philosophe, le poète ou l'artiste, l'homme politique). On peut donc repérer les lignées qui possèdent les traits et les instincts suffisants (le corps a une mémoire qui dépasse l'acquis et plonge dans le passé de nos ancêtres) pour développer certaines compétences à haut niveau, notamment la capacité de commander (ça peut être savoir dominer autrui ou bien hiérarchiser le chaos des forces antagonistes en présence et y créer de l'ordre d'après notre volonté, ce que fait l'artiste). Peut-être faut-il favoriser l'apparition et l'élevage de ces hommes rares, au détriment des sacrifiés, c'est-à-dire des essais ratés et du peuple aliéné à la machine et produisant les conditions par lesquelles les futurs nobles pourront se réaliser comme tels. On pourrait aussi parler de compétition et de darwinisme social, la biologie ne servant qu'à donner un coup de pouce pour favoriser certains. Mais je ne dis pas qu'il faut choisir entre toutes ces visions, je ne sais pas ce qu'il faut comprendre de cet eugénisme et si Nietzsche nous donne assez de renseignements et d'indices pour comprendre s'il parle en étant plus proche du nazisme ou de Platon par exemple (dans la République, le philosophe propose de former les individus à l'athlétisme ; je n'ai jamais été bon en sport mais je vois quand même en quoi cette formation est nécessaire ; à Sparte on éliminait les rachitiques à la naissance et on laissait les enfants se démener dans le monde, ayant à prouver leurs qualités en survivant par n'importe quel moyen, ce qui les endurcissait et leur permettait d'être reconnus comme citoyens).

Liber a écrit:
D'autre part, l'Antéchrist quoiqu'il en soit de ce papier, n'épuise pas à lui seul toute la pensée de Nietzsche, la décadence chrétienne et nihiliste n'étant pas le seul thème de sa philosophie. Il manque tout le côté "positif", que Nietzsche, comme le souligne très justement Halévy, a eu beaucoup plus de mal à écrire. En effet, ses livres précédents n'étaient faits que de critiques. Nietzsche maîtrisait à fond l'aspect polémique de sa philosophie, mais depuis Zarathoustra, il n'avait pas écrit un livre avançant des solutions claires.

C'est vrai, il était prévu qu'il y ait d'autres parties. Est-ce que VP contient des éléments positifs ?

Liber a écrit:
Je dis que sa pensée a atteint dans VP un stade tellement élevé par rapport à ses précédents livres, que nous ne pouvons pas considérer autrement ce livre que comme un stade supérieur atteint par le philosophe dans l'évolution de sa pensée. Le génie de Nietzsche m'est apparu le plus grand dans ces passages, mais bien entendu, ils ne sont pas d'une rédaction achevée (dans leur immense majorité), peut-être vois-je trop en rêve la beauté de ces pages une fois rédigées et cela influe-t-il sur mon jugement ?

Et là où culmine la pensée culmine aussi l'insensibilité du regard et la cruauté ?

Liber a écrit:
Sauf que la négation d'autrui, c'est un concept de gauche, humaniste

Je ne vois pas en quoi. Je n'ai pas donné de valeur particulière à cet autrui. Je voulais surtout dire que vous considérez en priorité Nietzsche comme un conquérant assoiffé de sang et de domination, mû par une volonté de détruire, de faire souffrir, d'exercer sa cruauté sur le monde. On pourrait penser que c'est un philosophe de la barbarie ou du nazisme. Or s'il y a bien une dimension polémique et agonistique chez Nietzsche il est également un penseur de la joie, de la culture, de l'amitié, de l'individu, etc., etc.

Liber a écrit:
Vous nourrissez trop votre lecture de Nietzsche de présupposés moraux, ce que je n'ai jamais fait.

J'ai failli m'étouffer. Je n'ai jamais fait tenir des propos moraux à Nietzsche et ne l'ai jamais jugé à l'aune de la morale. Je me positionne ici dans une posture particulière (en réalité je ne défends rien), tentant de comprendre la singularité de VP et les conséquences des différentes interprétations qu'on peut en avoir. Nous sommes confrontés à une limite lorsque nous voulons accepter innocemment les propos tendancieux de Nietzsche, à savoir que nous devons en assumer les conséquences. Il ne s'agit pas de dire qu'il y a plusieurs Nietzsche parmi lesquels choisir, car ce qui est écrit ne peut être retiré, mais pour nous qui suivons le philosophe il y a une difficulté, non pas à faire sien le Nietzsche réactionnaire et valorisant l'expression de la force, mais à passer d'une violence idéalisée ou relevant de modèles nobles à une violence réelle et insupportable, impardonnable, comme celle qui fut lâchement employée par les nazis. On est au bord de la question du choix moral, mais je dirais que c'est plus proche d'une opposition esthétique.

Liber a écrit:
En aurait-il pour autant renié son immoralisme ? Vous savez bien que non. Encore une fois, la tentation moralisante est là. La voyez-vous ?

Il ne l'aurait pas renié, de la même manière que je ne renie pas le mien. On en fait beaucoup trop sur le devoir de mémoire et sur la moralisation qui ne fait que nous culpabiliser. Je n'éprouve que peu de pitié pour tous ces morts, peut-être justement parce que le nombre de morts est trop grand, et s'il m'est arrivé de ressentir l'horreur vécue par une seule personne racontant ses épreuves terrifiantes je n'en ai pas pour autant condamné moralement un événement qui par son ampleur excède tout jugement de cette sorte. On peut dire que c'est le Mal, et ensuite ? En sera-t-on plus avancé ? Aura-t-on dit précisément ce qui s'est joué, aura-t-on mis le doigt sur des expériences personnelles si tragiques, aura-t-on réussi à approcher leurs souffrances ? Cependant, les philosophes ont vu dans cet événement quelque chose d'incroyable, de monstrueux, une rupture dans l'Histoire. Certes, la plupart des grands philosophes de cette période étaient Juifs, ce qui est intéressant puisqu'ils ont pu être très sensibles à cela. Parmi eux on trouve de grands lecteurs de Nietzsche. Or le nazisme et ses conséquences sont effrayants, on serait tenté d'y opposer une morale, pourtant d'où vient ce système sinon des excès de la raison calculatrice, de l'idéalisme et du christianisme ? C'est tout de même incroyable de voir une nation cultivée (une civilisation au sens du progrès moral) déchaîner autant de forces contre la vie elle-même. Ce n'est pas simplement une nation qui guerroie pour des ressources et la gloire, elle annihile volontairement et consciemment dans une destruction de masse. Enfin, au regard de la vie, de son amour et de la vie supérieure une telle destruction est hautement condamnable.

descriptionVariations autour de Nietzsche. - Page 6 EmptyRe: Variations autour de Nietzsche.

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Silentio a écrit:
Liber a écrit:
Évidemment, il n'a pas parlé de politique.

Si si, il en a parlé, dans un relativisme qui se retourna pour justifier malgré tout ce qui était sans fondement mais indispensable pour vivre (la coutume, la justice, etc.).

Pour moi, le relativisme de Pascal sert à montrer la "misère de l'homme sans Dieu". Il n'y a pas de volonté politique, au contraire de Nietzsche qui s'en sert pour créer une morale aristocratique débarrassée de toute "moraline".

Il n'y a ni bien ni mal, seulement des intérêts et des rapports de force.

Donc les individus qui croient agir suivant le bien, quand ils sont sincères, se leurrent complètement (du reste, agir suivant le mal serait une absurdité, ou une perversion).

Liber a écrit:
Eh bien, Hitler finançait le festival de Bayreuth et y assistait avec pompe, croyant y retrouver une glorification de l'Allemagne de son temps (sic !).

Ce qui n'était pas le cas ? Pourtant le festival a rassemblé depuis son instauration des cercles où pullulaient les nationalistes. Étaient-ils en manque du narcotique wagnérien ?

Bien sûr que non, Wagner détestait ces gens. Mais il poursuivait un but personnel, à l'inverse de Nietzsche, qui n'a pas pu passer outre ce compromis. Certes, Wagner ne cachait pas que les Juifs avaient corrompu la culture allemande ancestrale, en choisissant par exemple des noms "bien allemands" à la place de leur patronyme originel. Vous trouverez ces critiques dans le pamphlet Le Judaïsme dans la musique, 1850. Mais par exemple, son opéra de Tannhäuser joué à Paris a été choisi pour réconcilier la France et l'Allemagne, tentative soldée par un échec artistique qui l'a amené en 1870, après la défaite, à écrire un pamphlet virulent contre les Français. Avant cela, son but avait toujours été de triompher à Paris (comme Hitler, mais lui ce n'était pas pour des raisons artistiques ). A ce propos, Brahms a aussi écrit un Chant de triomphe pour célébrer la victoire allemande, morceau apprécié par Nietzsche. Mais qui de nos jours verrait en Brahms un nationaliste ? Les opéras de Wagner glorifient la liberté, la grandeur d'âme, la beauté, la bonté, la charité, et surtout l'amour, ils n'ont absolument rien de commun avec quoi que ce soit en provenance du Reich ! Vous me direz : Zarathoustra aussi, eh bien oui, mais ni l'un ni l'autre n'ont échappé à l'opprobre du nazisme.

Je ne pense pas que l'on puisse tirer de conclusions politiques de ces quelques phrases "terribles", de quelque chose qui aurait dû se concrétiser, sinon en faire simplement les lambeaux d'une idéologie raciste, misanthrope, xénophobe, génocidaire, mais qui comme telle n'existe pas chez Nietzsche.

C'est plus clair, cela signifie-t-il qu'il faut réduire leur portée et les déconsidérer, ne pas en faire la moelle de tout VP ?

Ceux qui en ont fait la "moelle" sont les gauchistes, ils ont inventé le mal puis fourni le remède : une lecture morale de Nietzsche, scientiste et athée, lecture reprise aujourd'hui par Onfray !

Franchement je trouve que ces deux notions ont quelque chose de noble, elles écœurent cependant le moderne qui refuse l'autorité, la contrainte, l'effort et prône l'égalité.

Je pense bien ! Nietzsche les a bien entendu choisis exprès pour choquer le lecteur "moderne" !

si Nietzsche nous donne assez de renseignements et d'indices pour comprendre s'il parle en étant plus proche du nazisme ou de Platon par exemple (dans la République, le philosophe propose de former les individus à l'athlétisme ; je n'ai jamais été bon en sport mais je vois quand même en quoi cette formation est nécessaire).

Plus proche du nazisme, incontestablement. Nietzsche verse franchement du côté de la biologie. Nietzsche est aussi très proche de Gobineau, qu'on accuse de pré-nazisme alors qu'il était beaucoup plus historien que biologiste. Nietzsche croyait aux races, il croyait à leur inégalité, il croyait également à leur dégénérescence depuis une race supérieure qu'il appelle, suivant la terminologie des antisémites raciaux, la "bête blonde". Seule différence, il accuse le christianisme d'avoir accentué cette décadence. Gobineau ne l'attribue qu'au métissage inévitable dont il fait un destin, celui de la mort de l'homme. Dieu ne l'intéresse pas dans cette histoire. Le dernier homme est venu, "engourdi dans sa nullité" (conclusion de son Essai), point n'est besoin de chercher à le redresser, comme s'y emploie Nietzsche à partir de Zarathoustra. Ce qui n'est pas du tout nazi chez Nietzsche est sa haine du christianisme, sa revalorisation de l'Ancien Testament, à l'instar de Michelet, et sa haine encore plus grande des foules qui dissolvent le moi en autrui.

C'est vrai, il était prévu qu'il y ait d'autres parties. Est-ce que VP contient des éléments positifs ?

Bien entendu, les deux parties finales.

Et là où culmine la pensée culmine aussi l'insensibilité du regard et la cruauté ?

Je ne pense pas que Nietzsche ait été insensible quelque part, ni cruel. Non, cela ne lui correspond pas.

Liber a écrit:
Sauf que la négation d'autrui, c'est un concept de gauche, humaniste

Je ne vois pas en quoi. Je n'ai pas donné de valeur particulière à cet autrui. Je voulais surtout dire que vous considérez en priorité Nietzsche comme un conquérant assoiffé de sang et de domination, mû par une volonté de détruire, de faire souffrir, d'exercer sa cruauté sur le monde. On pourrait penser que c'est un philosophe de la barbarie ou du nazisme. Or s'il y a bien une dimension polémique et agoniste chez Nietzsche il est également un penseur de la joie, de la culture, de l'amitié, etc., etc.

Vous faites une erreur capitale (à mon avis), en dissociant ainsi sa pensée, entre un Nietzsche mauvais (pour ne pas dire méchant ;) ) et un Nietzsche bon. Toute sa pensée repose sur cette unité entre Bon et Méchant, car plus l'homme est méchant, meilleur il est à ses yeux. Vous dites souvent vous-même que la méchanceté n'est qu'une faiblesse, mais attention à ne pas confondre, elle n'est pas une faiblesse parce qu'elle ne serait pas bonne, mais parce qu'elle n'est pas assez méchante. Un homme terrible (une bête blonde, une vraie, pas un Nazi ;) ) ne sera pas un homme du ressentiment, s'il tue, il le fera très rarement voire il ne tuera pas du tout. En fait, il suffit de se reporter à la Renaissance italienne pour trouver ce type d'hommes parfaitement portraiturés (reportez-vous à Burckhardt, dont le livre commence par un portrait des condottieri, et plus tard, ceux des humanistes et des grands génies, tel Léonard ou Alberti).

pour nous qui suivons le philosophe il y a une difficulté, non pas à faire sien le Nietzsche réactionnaire et valorisant l'expression de la force, mais à passer d'une violence idéalisée ou relevant de modèles nobles à une violence réelle et insupportable, impardonnable, comme celle qui fut lâchement employée par les nazis.

Nietzsche parle lui aussi d'une violence bien réelle, pas idéale. Seulement, le mot de violence est mal choisi, car il n'évoque que la brutalité, là où cette violence est mise au service d'une esthétique, si vous voulez, l'esthétique du condottiere ou du génie artistique. Encore une fois, la clé de cette conception se trouve dans le livre de Burckhardt, mais vous trouverez semblable justification dans les Conversations de Gœthe, quand Gœthe défend l'Empereur d'avoir fait fusiller 800 hommes dans le désert, tout à son admiration de Napoléon. Ici prime l'individu, bien sûr pas son exaltation imbécile à laquelle nous ont habitué les dictateurs de l'ère démocratique. Une exaltation de la part d'un génie, Gœthe, à un autre génie, Napoléon. Pas moins. Une étoile face à une autre étoile.

Je n'éprouve que peu de pitié pour tous ces morts, peut-être justement parce que le nombre de morts est trop grand, et s'il m'est arrivé de ressentir l'horreur vécue par une seule personne racontant ses épreuves terrifiantes je n'en ai pas pour autant condamné moralement un événement qui par son ampleur excède tout jugement de cette sorte.

Je pense plutôt qu'on ne peut condamner qu'une personne, or la Shoah est un acte collectif. Napoléon je crois disait que "les crimes collectifs sont toujours innocents". Ces millions de gens qui levaient les bras devant Hitler sont les vrais coupables, car leur bêtise est seule responsable dans cette histoire, sauf que nous ne pouvons pas condamner le peuple allemand, alors nous condamnons les "responsables" qui ne sont pourtant que des exploiteurs de la bêtise humaine.

Or le nazisme et ses conséquences sont effrayants, on serait tenté d'y opposer une morale, pourtant d'où vient ce système sinon des excès de la raison calculatrice, de l'idéalisme et du christianisme ? Enfin, au regard de la vie, de son amour et de la vie supérieure une telle destruction est hautement condamnable.

Ce système marque une perte de sensibilité de l'homme moderne, qui a accepté de se voir traité en machine. La destruction de millions de vies humaines n'est en revanche pas critiquable au nom de l'amour, comme le fait Russell envers Nietzsche. Nous voyons même l'inverse dans la Bhagavad-Gita. Mais peu importe les mythes, l'amour de la vie n'est pas l'amour des individus. Dionysos (ou la Volonté) tue sans relâche, sans état d'âme, sans pitié, beaucoup plus que les Nazis. Mais c'est justement là que Nietzsche nous demande de l'aimer quand même, et encore davantage.
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