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L'influence des langues dans la formation des concepts philosophiques.

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4 participants

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Votre interprétation de Nietzsche est juste, en tant que vous vous référez à ce qu'il dit lui-même et que vous cherchez à le comprendre comme lui se comprenait. Mais mon propos visait à pointer le fait que la signification est elle-même conditionnée par la société, même si la langue est nouveauté elle le fait par rapport à un code antérieur, de même que la pensée reste prise dans des catégories de pensée auxquelles elle se réfère ou par rapport auxquelles elle positionne d'autres significations. Le mot "nature" lui-même désigne difficilement une strate du réel singulière et objective, il compose déjà une strate de signification appliquée au réel et le dé-formant. Mais il faut reconnaître que c'est effectivement cette ambiguïté que Nietzsche cherche à nous montrer, aussi bien lorsqu'il critique les mythes de la bonne ou de la mauvaise nature que lorsqu'il nous parle de la dimension artistique propre à l'homme qui s'illusionne pour vivre, et ce jusqu'à se faire croire que ses propres créations sont la réalité elle-même (alors qu'elle n'est que chaos mis en forme). Cependant, cette lucidité de Nietzsche ne signifie pas qu'il soit toujours capable de s'émanciper du langage, de la grammaire, des croyances véhiculées par les sciences de son époque, de la tentation romantique de retourner à la nature, comme si, indépendamment de sa caractérisation morale, il y avait hors de l'homme et de sa culture une nature en soi et extérieure à nous. Autrement dit, désigner la "nature" c'est déjà élaborer un objet social qui existe par des catégories et des représentations préalablement définies par la société. Cela, Rousseau l'avait déjà formulé à sa manière, en disant que l'état de nature est une fiction.

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Silentio a écrit:
lorsqu'il nous parle de la dimension artistique propre à l'homme qui s'illusionne pour vivre, et ce jusqu'à se fait croire que ses propres créations sont la réalité elle-même (alors qu'elle n'est que chaos mis en forme).

Mais les créations artistiques sont précisément la réalité pour Nietzsche, c'est bien ainsi qu'il espère "changer le monde" et surmonter le pessimisme de Schopenhauer, et c'était déjà le cas pendant la collaboration au projet wagnérien. Une illusion devient réalité si on y croit fortement pendant très longtemps, l'amour surtout (encore l'hérédité). Ainsi les artistes, par la force de leurs rêves, nous livrent une image du monde plus réelle que la réalité (un artiste par le rêve donc, non pas un homo faber, un prodrome de l'homo technologicus d'aujourd'hui). C'est le vouloir-artiste, déjà supérieur à la nature chez Schopenhauer.

Cependant, cette lucidité de Nietzsche ne signifie pas qu'il soit toujours capable de s'émanciper du langage, de la grammaire, des croyances véhiculées par les sciences de son époque, de la tentation romantique de retourner à la nature

En tant que poète (Zarathoustra), Nietzsche peut s'émanciper totalement du langage, ou plutôt le dominer, en faire une matière malléable à souhait. Il s'émancipe aussi de la raison, de la logique, de la grammaire... Comme prosateur, effectivement c'est plus dur, mais reconnaissons qu'il y a été un peu forcé par l'insuccès de son poème. A ma connaissance, Nietzsche ne croit pas à "l'état de nature", je ne vois pas où il parlerait d'un homme vivant avant la société, par contre, il parle bien volontiers d'un homme-animal, mais pour se référer soit aux instincts, soit au passé lointain de l'homme, dans une perspective darwinienne, un homme qui rampe par exemple (Généalogie). Le retour à la nature ? Oui, effectivement, Nietzsche aimait les promenades au bord des sommets alpestres. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il aurait été un écologiste avant l'heure, ou un rousseauiste attardé, celui des Rêveries du promeneur solitaire. Je pense plutôt à un Richard Strauss, Une Symphonie alpestre, une nature sans l'ombre de Dieu, à nouveau vierge, mais non pas de l'homme ! Nietzsche ne me semble pas s'être intéressé à la nature pour elle-même, en dehors de l'homme (même pas de l'animal pour lui-même). Croyances scientifiques ? Oui, je suis davantage d'accord là-dessus, mais parce qu'il s'est trouvé que son maître Schopenhauer avait créé un système demandant la science comme complément. Or Nietzsche devait refonder une théorie de la connaissance après avoir jeté la chose en soi par-dessus bord. La philologie est ainsi mise à contribution (de par sa propre formation de philologue), appuyée par la physiologie (souvenir de Schopenhauer, qui en était passionné).

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Silentio a écrit:
Si Nietzsche peut innover, penser autrement, n'est-ce pas aussi dans un certain rapport avec ce que le langage et la pensée de son temps lui donnent à penser ? Parler de "volonté" et d'"instinct", n'est-ce pas vouloir se référer à la nature par le biais du langage ? N'y a-t-il pas là une difficulté majeure qui mène aussi à s'illusionner ? Qu'est-ce que la "nature" d'ailleurs, sinon encore une fois une création de notre part pour catégoriser le réel ?
Il faut certes le langage pour désigner l'instinct et la volonté. Mais à quoi ces deux termes réfèrent-ils ? A des phénomènes qui sont infra-linguistiques. N'oubliez pas que Nietzsche se méfie de toute logique (donc aussi du logos) comme de la peste. Son Zarathoustra est un poème, autrement dit écrit dans une langue qui est par définition une transgression de la langue "normale", fût-elle philosophique et même surtout parce qu'elle se prête volontiers à la philosophie : la langue "normale" (indo-européenne) est éminemment conceptuelle, au détriment du réel. La langue poétique se veut, par définition, anti-conceptuelle ; elle est conçue pour se saisir du singulier (certes, avec l'instrument même du concept, la langue, mais en la transgressant).
Enfin, la nature, ici, n'a évidemment rien à voir avec la nature des penseurs contractualistes de la philosophie politique des XVIIe et XVIIIe siècles. Nietzsche est philologue. Ici, puisque vous lisez Castoriadis en ce moment, vous pouvez vous aider en vous référant à la phusis (par opposition au nomos) dans ses séminaires : elle désigne, dans la nature, ce qui la caractérise d'abord et avant tout, le chaos, l'absence d'ordre, ce qui n'est pas fait pour l'homme, ce dont l'homme ne peut rien faire, qui n'a pas de sens. C'est, en somme, ce qui précède la pensée (et le langage) ; l'objet d'une pensée poétique, transgressive, plutôt que celui d'une pensée conceptuelle (faite pour le nomos, et elle-même nomos). Le poète fait parler l'être ; il ne parle pas à sa place. Nietzsche ne pouvait pas ne pas utiliser la langue poétique, aphoristique, etc.

Outre les séminaires de Castoriadis, vous pouvez utilement lire certains passages de Michel Haar (Nietzsche et la métaphysique), qui a dit des choses assez bonnes sur le rapport de Nietzsche au chaos.

Dernière édition par Euterpe le Mar 16 Aoû 2016 - 14:48, édité 1 fois

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Euterpe a écrit:
Nietzsche est philologue. Ici, puisque vous lisez Castoriadis en ce moment, vous pouvez vous aider en vous référant à la phusis (par opposition au nomos) dans ses séminaires : elle désigne, dans la nature, ce qui la caractérise d'abord et avant tout, le chaos, l'absence d'ordre, ce qui n'est pas fait pour l'homme, ce dont l'homme ne peut rien faire, qui n'a pas de sens.

Je pense qu'on peut aller plus loin en se référant à Nietzsche. L'homme ne peut rien faire de la phusis trop chaotique, trop monstrueuse, trop insaisissable, mais la nature, elle, a pu créer avec lui quelque chose qui a du sens, cela dit tout à fait par hasard, en dehors de tout "nomos". Parce qu'elle joue et qu'elle a parfois des coups heureux ! Nietzsche inverse (avec ironie) le rapport traditionnel de l'homme à la nature.

C'est, en somme, ce qui précède la pensée (et le langage) ; l'objet d'une pensée poétique, transgressive, plutôt que celui d'une pensée conceptuelle (faite pour le nomos, et elle-même nomos). Le poète fait parler l'être ; il ne parle pas à sa place. Nietzsche ne pouvait pas ne pas utiliser la langue poétique, aphoristique, etc.

Nous sommes tout de même ici très proches d'une conception du poète comme d'un "inspiré", un "thaumaturge", comme du reste l'était Empédocle qui voyageait chez les Dieux, et de Zarathoustra (une imitation d'Empédocle, Nietzsche avait d'ailleurs imaginé le faire périr dans l'Etna) et même de Dionysos, le musicien qui nous parle de l'Être dans la première version de la philologie/philosophie nietzschéenne ! Je pense aussi à Gœthe évoquant avec respect, presque avec crainte les Mères, les forces démoniques. Nietzsche pensait d'ailleurs avoir créé une langue plus originale que celle de Gœthe.

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Euterpe a écrit:
Il faut certes le langage pour désigner l'instinct et la volonté. Mais à quoi ces deux termes réfèrent-ils ? A des phénomènes qui sont infra-linguistiques. N'oubliez pas que Nietzsche se méfie de toute logique (donc aussi du logos) comme de la peste.

Bien sûr, je ne faisais que relever une difficulté dont Nietzsche est lui-même conscient, prisonnier qu'il est, en partie, du langage qu'il entend critiquer. Critique qui apparaît chez lui très tôt, dès Vérité et mensonge au sens extra-moral. Lui-même demeure malgré tout obligé de faire avec le langage qui porte en lui une certaine logique de rationalisation. Il peut pourtant créer dans le langage, y insuffler un peu de vie, d'abord en sortant des concepts philosophiques abstraits puis en y faisant intervenir la poésie. Il faut assumer la création inhérente au langage et sa part "fictive". Pour autant, parler de "nature" ou de "volonté", c'est toujours interpréter le monde au travers de catégories et d'un savoir historiquement situés, non pas donner à voir le texte lui-même (Nietzsche peut "montrer" cette dimension ou ce problème en parlant de volonté de puissance, toujours est-il que ça nous met en même temps dans l'impossibilité d'aller plus loin : il n'y a pas de chose en soi, il n'y a pas de vérité de l'être et pas de façon directe de s'y rapporter).

Euterpe a écrit:
Nietzsche est philologue. Ici, puisque vous lisez Castoriadis en ce moment, vous pouvez vous aider en vous référant à la phusis (par opposition au nomos) dans ses séminaires : elle désigne, dans la nature, ce qui la caractérise d'abord et avant tout, le chaos, l'absence d'ordre, ce qui n'est pas fait pour l'homme, ce dont l'homme ne peut rien faire, qui n'a pas de sens. C'est, en somme, ce qui précède la pensée (et le langage) ; l'objet d'une pensée poétique, transgressive, plutôt que celui d'une pensée conceptuelle (faite pour le nomos, et elle-même nomos).

C'est tout à fait l'objet de mon propos. Mais en même temps, se référer à ce Sans-fond, ce chaos, en employant un certain vocabulaire c'est vouloir définir l'indéterminé et se heurter à la limite du langage qui ne peut définir que ce que la société permet ou peut permettre sans qu'il y ait quelque chose en-dehors d'elle (s'il y a un dehors, et/ou s'il est dorénavant visible, c'est peut-être au sein même de la société qui a institué ces significations, ces manières de penser, de voir, de se rapporter à un réel posé par elle ; ce qui est alors intéressant c'est la façon dont Nietzsche, en philosophe, veut penser hors de son époque, contre elle, en inactuel - mais le peut-il ? Jusqu'où peut-il aller dans la création d'écarts ? Eux-mêmes sont-ils de l'ordre de l'ouverture du réel à la contingence - pure novation, donc - ou sont-ils seulement permis par l'époque elle-même, en tant que l'on se positionne contre ou en rapport à un modèle préexistant ?). Et la réalité n'est comme telle rendue possible que par la société. L'attitude de Nietzsche est donc paradoxale, elle consiste à vouloir dire la nature comme cet en-deçà de l'homme qui serait sa "vérité" ou son être (absent), c'est-à-dire à sortir de la société (signifiante), alors que dans le même temps il ne fait soit que participer de la vérité de son époque par l'utilisation de certains termes renvoyant à une réalité qui n'existe que dans cette société-là, soit qu'accroître ou nourrir la société en recourant au langage pour objectiver (ou rendre intelligible) malgré tout ce qui est censé être extérieur à la signification, il n'y a donc pas de "nature" sinon comme création de sens et création sociale qui ne peut donc être en-dehors du dit. Je ne critique pas Nietzsche, il me semble simplement que sa tentative se heurte à des obstacles infranchissables. Par ailleurs, il y a aussi cette idée chez Castoriadis que chaque société va ajouter sa propre signification à une strate primordiale elle-même prise dans le langage, de sorte que chaque époque va vouloir dire ce qu'est la nature. Par exemple, on va dire qu'au-delà des besoins biologiques l'homme est motivé économiquement. La condition purement biologique elle-même n'explique rien : soit elle prend tout sens par rapport aux autres significations et fait sens pour une société en particulier, soit l'instinct de conservation, par exemple, n'explique pas la "nature" de l'homme étant donné qu'une fois reconnue la différenciation des sociétés et des individus on n'explique pas avec cet instinct ce changement propre à l'homme. Employer le mot de "volonté", par exemple, pour ramener tout phénomène à une cause unique semble encore relever d'une façon de penser rationnelle et scientifique. Castoriadis, au contraire, tente de montrer une indétermination fondamentale, mais le mot lui-même dit quelque chose de multiple, mouvant, et purement créateur sous un terme qui le ramène à une certaine unité pour le rendre intelligible. Bref, pour autant que ce chaos me semble être la plus grande vérité qu'on puisse énoncer, il y a une difficulté à le soumettre à un concept qui paradoxalement nous le fait apparaître et le trahit à la fois en le mettant en forme. Castoriadis, bien plus que Nietzsche, nous confronte au problème du langage et nous met en garde : nous pensons autrement des choses que nous ne pouvons pourtant dire que dans un langage qui porte avec lui des conditions d'énonciation et un héritage. Au-delà de cet aspect, je trouve que le projet de Nietzsche est tout à fait justifié, mais dans son traitement il expose selon moi un problème crucial du rapport de la pensée, du langage et du réel entre eux. Cela dit, là où le concept de nature me semble vague, celui de chaos l'est beaucoup moins, ou plutôt il est pertinent par le propre flou qu'il indique, qu'il contient en lui-même, terme qui souligne l'incompréhensible et l'indéterminable que nous ne savons pas saisir. Le terme est lui-même en accord avec ce qu'il désigne, le chaos étant cette notion obscure qui signifie l'obscurité elle-même. Le terme de "nature" est trompeur, il désigne quelque chose qui se présente comme unique, définissable, etc., alors que la nature n'est rien (chaos, confusion, indistinction, etc.).

Euterpe a écrit:
Le poète fait parler l'être ; il ne parle pas à sa place.

Exact, mais il ne dit pas l'être, il le recrée, le met en forme, l'exprime et ne l'exprime pas à la fois, il dit les choses mais les choses n'ont rien à dire d'elles-mêmes. Cependant, j'ai plutôt l'impression qu'on peut dire qu'il parle à la place de l'être. Certes, l'être est à venir, création, et ce au travers du poète qui utilise son imagination pour créer de nouveaux contenus de réalité ou des nouvelles réalités faisant l'être, mais il n'est pas le dépositaire ou le réceptacle, l'oracle par la bouche duquel l'être parle. Il parle justement à la place de l'être parce que l'être nous somme de le dire (nous sommes dans la nécessité de définir les choses), et ainsi il est ou devient pour nous, mais il n'est pas autrement que la manière dont nous l'exprimons, dont il s'exprime par nous aussi.
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