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Comment bien juger ?

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Liber
Euterpe
odette
7 participants

descriptionComment bien juger ? - Page 2 EmptyRe:le jugement

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Merci d'avoir si brillamment éclairé mon obscure lanterne. Il n'y aura donc jamais de réponse définitive à nos cheminements existentiels ? La force de la personnalité réside donc dans la conviction intime de la véracité de ses jugements ? Et pourtant ? Rien n'est plus ardu pour l'homme que d'admettre sa propre erreur.

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odette a écrit:
La force de la personnalité réside donc dans la conviction intime de la véracité de ses jugements ?

Ou dans la conviction que la vérité n'existe pas. ;)

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Liber a écrit:
odette a écrit:
La force de la personnalité réside donc dans la conviction intime de la véracité de ses jugements?

Ou dans la conviction que la vérité n'existe pas. ;)

Ou dans la conviction que l'homme ne peut l'atteindre. ;)

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Aristippe de cyrène a écrit:
Et quelle est cette morale dont on ne peut dire le nom ? Ou plutôt en quoi consiste-t-elle, ou comment se manifeste-t-elle ?
Je crois que Liber le fait très bien sentir. Que dire d'autre ? L'autocensure que les hommes s'imposent en renonçant au jugement de valeur est un jugement de valeur, c'est une morale à l'œuvre. Peut-être la pire de toutes. Outre que le simple fait qu'elle ne se sait pas elle-même comme telle la renforce, elle opère comme quelque chose contre quoi il semble impossible à quiconque de lutter sans apparaître en même temps comme étant dans son tort. Il me semble bien (mais, évidemment, il faudrait y regarder de près), qu'aucune morale n'a jamais eu un tel pouvoir ni une telle efficacité. Même les morales qu'on pourrait dire les plus agressives ne le sont que parce qu'elles craignent d'autres morales concurrentes, par exemple ; elles ont conscience d'une altérité réelle, pas seulement possible, mais réelle, qu'on ne peut supprimer que par des moyens violents. On se laisse souvent émouvoir par ces morales qu'on accuse de tous les noms, sans s'apercevoir qu'elles avaient ou ont l'avantage, sur la morale de la neutralité axiologique, qu'elles tiennent compte de l'autre (même si l'autre en fait les frais) : elles sont l'aveu que l'autre existe. La neutralité axiologique n'est si logorrhéique que parce que l'autre n'a jamais seulement commencé d'exister à ses yeux. C'est facile, dès lors, de se croire innocent, puisqu'on n'a pas besoin de lutter contre ce à quoi on n'a jamais accordé l'existence. Mais c'est aussi cela qui trahit ce culte de la neutralité : c'est la forme pour ainsi dire la plus parfaite de l'a priori, puisque c'est une position (et/ou une posture) qui affirme, qu'elle le sache ou pas, que l'expérience n'est pas requise, pour vérifier ce de quoi elle est l'affirmation. Cet hyper a priori a raison d'avance, toujours, à propos de tout. Peut-il y avoir quelque chose de plus culpabilisant, pour qui a besoin, justement, de l'expérience, pour se faire un jugement ? Or avoir besoin de l'expérience, pour se faire un jugement, c'est naturel, et légitime, non ? Oui, mais on voudrait plus et mieux : on voudrait - il est là le fantasme - ne jamais se tromper (cf. le narcissisme et l'obsession de l'indifférencié).

odette a écrit:
Il n'y aura donc jamais de réponse définitive à nos cheminements existentiels ? La force de la personnalité réside donc dans la conviction intime de la véracité de ses jugements ? Et pourtant ? Rien n'est plus ardu pour l'homme que d'admettre sa propre erreur.
La conviction intime, pour être forte, ne fait pas nécessairement la force de la personnalité. Combien ont une conviction intime indécrottable et fausse à propos de choses et d'autres ? Sans compter que la conviction intime a ce défaut incurable d'être à elle-même son propre et unique critère, souvent. Mais qu'est-ce que ça peut être que d'être à soi-même sa propre norme ? C'est toute la métaphysique de l'opinion qu'un Philippe Bénéton s'emploie à décapsuler. Lorsqu'on a le bon sens de compter avec et sur les autres et l'expérience, se tromper n'est plus un problème.

Aristippe de cyrène a écrit:
Liber a écrit:
odette a écrit:
La force de la personnalité réside donc dans la conviction intime de la véracité de ses jugements?

Ou dans la conviction que la vérité n'existe pas. ;)

Ou dans la conviction que l'homme ne peut l'atteindre. ;)
Conviction qui suppose qu'on sache ce qu'est la vérité, sinon d'où viendrait cette conviction qu'on ne peut l'atteindre ? Donc penser ne pas pouvoir atteindre la vérité, c'est penser y avoir accédé, fût-ce pour dire qu'elle serait un indéterminé, puisque c'est déjà en dire quelque chose.





Pour poursuivre la discussion, j'ai choisi un texte de Castoriadis, parce qu'il met dos à dos le relativisme culturel axiologiquement neutre et la tendance à faire de la Grèce (cf. Hegel et Marx) un modèle indépassable, inaccessible, et parce qu'il est l'un des moins polémiques à l'encontre du relativisme.

Comment peut-on s'orienter dans l'histoire et la politique ? Comment juger et choisir ? C'est de cette question politique que je pars ― et dans cet esprit que je m'interroge : la démocratie grecque antique présente-t-elle quelque intérêt politique pour nous ? En un sens, la Grèce est de toute évidence une présupposition de cette discussion. L'interrogation raisonnée sur ce qui est bon et ce qui est mal, sur les principes mêmes en vertu desquels il nous est possible d'affirmer, au-delà des vétilles et des préjugés traditionnels, qu'une chose est bonne ou mauvaise, est née en Grèce. Notre questionnement politique est, ipso facto, une continuation de la position grecque même si, à plus d'un point de vue important, nous l'avons bien sûr dépassée et tentons encore de la dépasser.

Les discussions modernes sur la Grèce ont été empoisonnées par deux pré-conceptions opposées et symétriques ― et par conséquent, en un sens, équivalentes. La première, et celle que l'on rencontre le plus souvent depuis quatre ou cinq siècles, consiste à présenter la Grèce tel un modèle, un prototype ou un paradigme éternels. (Et une des modes d'aujourd'hui n'en est que l'exacte inversion : la Grèce serait l'anti-modèle, le modèle négatif.) La seconde conception, plus récente, se résume en une "sociologisation" ou une "ethnologisation" complètes de l'étude de la Grèce : les différences entre les Grecs, les Nambikwaras et les Bamilékés sont purement descriptives. Sur un plan formel, cette seconde attitude est sans nul doute correcte. Non seulement, et cela va sans dire, il n'y a ni ne saurait y avoir la moindre différence de "valeur humaine", de "mérite" ou de "dignité" entre des peuples et des cultures différents, mais on ne saurait opposer non plus la moindre objection à l'application au monde grec des méthodes ― si tant est qu'il y en ait ― appliquées aux Arunta ou aux Babyloniens.

Cette seconde approche passe néanmoins à côté d'un point infime et en même temps décisif. L'interrogation raisonnée des autres cultures, et la réflexion sur elles, n'a pas commencé avec les Arunta ni avec les Babyloniens. Et, de fait, on pourrait démontrer que c'était là chose impossible. Jusqu'à la Grèce, et en dehors de la tradition gréco-occidentale, les sociétés sont instituées sur le principe d'une stricte clôture : notre vision du monde est la seule qui ait un sens et qui soit vraie ― les "autres" sont bizarres, inférieurs, pervers, mauvais, déloyaux, etc. Comme l'observait Hannah Arendt, l'impartialité est venue au monde avec Homère, et cette impartialité n'est pas simplement "affective" mais touche la connaissance et la compréhension. Le véritable intérêt pour les autres est né avec les Grecs, et cet intérêt n'est jamais qu'un autre aspect du regard critique et interrogateur qu'ils portaient sur leurs propres institutions. Autrement dit, il s'inscrit dans le mouvement démocratique et philosophique créé par les Grecs.

Que l'ethnologue, l'historien ou le philosophe soit en position de réfléchir sur des sociétés autres que la sienne ou même sur sa propre société n'est devenu une possibilité et une réalité que dans le cadre de cette tradition historique particulière ― la tradition gréco-occidentale. Et de deux choses l'une : ou bien aucune de ces activités n'a de privilège particulier par rapport à telle ou telle autre ― par exemple, la divination par le poison chez les Azandé. Dans ce cas, le psychanalyste, par exemple, n'est que la variante occidentale du chaman, comme l'écrivait Lévi-Strauss ; et Lévi-Strauss lui-même, ainsi que tout la confrérie des ethnologues, ne sont aussi qu'une variété locale de sorciers qui se mêlent, dans ce groupe de tribus particulier qui est le nôtre ; d'exorciser les tribus étrangères ou de les soumettre à quelque autre traitement ― la seule différence étant qu'au lieu de les anéantir par fumigation, ils les anéantissent par structuralisation.

Ou bien nous acceptons, postulons, posons en principe une différence qualitative entre notre approche théorique des autres sociétés et les approches des "sauvages" ― et nous attachons à cette différence une valeur bien précise, limitée mais solide et positive. Alors commence une discussion philosophique. Alors seulement, et non pas avant. Car entamer une discussion philosophique suppose l'affirmation préalable que penser sans restrictions est la seule manière d'aborder les problèmes et les tâches. Et, puisque nous savons que cette attitude n'est aucunement universelle, mais tout à fait exceptionnelle dans l'histoire des sociétés humaines, nous devons nous demander comment, dans quelles conditions, par quelles voies la société humaine s'est montrée capable, dans un cas particulier, de briser la clôture moyennant laquelle, en règle générale, elle existe.

En ce sens, s'il est équivalent de décrire et d'analyser la Grèce ou toute autre culture prise au hasard, méditer et réfléchir sur la Grèce ne l'est pas ni ne saurait l'être. Car, en l'occurrence, nous réfléchissons et nous méditons sur les conditions sociales et historiques de la pensée elle-même ― du moins, telle que nous la connaissons et la pratiquons. Nous devons nous défaire de ces deux attitudes jumelles : ou bien il y aurait eu autrefois une société qui demeure pour nous le modèle inaccessible ; ou bien l'histoire serait foncièrement plate et il n'y aurait de différences significatives entre cultures autres que descriptives. La Grèce est le locus social-historique où ont été créées la démocratie et la philosophie et où se trouvent, par conséquent, nos propres origines. Pour autant que le sens et la puissance de cette création ne sont pas épuisés ― et je suis convaincu qu'ils ne le sont pas ― la Grèce est pour nous un germe : ni un "modèle" ni un spécimen parmi d'autres, mais un germe.

Cornelius Castoriadis, Domaines de l'homme.

Castoriadis précise clairement les choses. L'impartialité (ou la neutralité) est une invention grecque, mais elle est impensable sans cette autre invention grecque qu'est la question de savoir ce qui est bien ou pas, autrement dit la philosophie (pas la morale). Parce que la philosophie est axiologique ou elle n'est pas ; refuser cela c'est l'amputer de sa moitié (l'autre moitié étant l'ontologie). Philosopher, c'est juger. On ne commence à philosopher qu'à partir de là, comme le précise Castoriadis. Au total, nous sommes face à cette alternative (sans compromis aucun) : il faut choisir entre la neutralité axiologique et la philosophie, si la neutralité ne s'exerce pas sur un fond critique.

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Euterpe a écrit:
Conviction qui suppose qu'on sache ce qu'est la vérité, sinon d'où viendrait cette conviction qu'on ne peut l'atteindre ? Donc penser ne pas pouvoir atteindre la vérité, c'est penser y avoir accédé, fût-ce pour dire qu'elle serait un indéterminé, puisque c'est déjà en dire quelque chose.

Cette conviction ne peut-elle pas être une forme d'intuition ? Sans qu'on sache ce qu'est la vérité, on a l'intuition qu'on ne peut l'atteindre.
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