Silentio a écrit:
Intemporelle a écrit:
On ne peut pas légitimement se réclamer d'un droit, en tant qu'être libre, tout en le déniant à d'autres.

D'accord, mais est-ce que ça ne change pas la donne si l'on considère que le capitaliste prive le plus grand nombre de sa liberté et de son humanité ? Cela dit, on peut le dédouaner en disant que l'individu n'est que le reflet de sa classe et qu'il agit inhumainement avec le prolétariat parce qu'il n'est pas libre alors qu'il croit l'être et accomplir rationnellement, voire moralement, ce qui lui semble devoir être fait pour améliorer la société ou bien faire selon ses règles. Mais d'un côté on a celui qui opprime, de l'autre ceux qui veulent s'émanciper. Donc celui qui a un droit ; ceux qui se le voient dénier.


C'est pour cela que j'insistais sur la distinction entre le fait et le droit. En droit, dans une démocratie libérale, tous les individus sont libres, en fait, c'est très différent, notamment du fait, entre autres, des rapports d'aliénations liés au système économique capitaliste. Il me semble que c'est tout le cœur de la critique marxiste des droits-libertés (droit de faire x, y, z), qui sont toujours formels et qui relèvent d'une illusion (une pensée métaphysique de la liberté, abstraction faite des conditions historiques et matérielles réelles dans lesquelles s'inscrivent les hommes), au profit d'une valorisation des droits-créances (droit à x, y, z).
La limitation de la liberté d'expression ne peut être que purement formelle (à savoir, ne pas s'en réclamer pour la dénier à d'autres), je ne vois pas vraiment comment il serait possible de lui donner un contenu, sans l'investir de présupposés idéologiques. Or précisément, le problème des rapports de domination modernes, qu'ils soient économiques ou sociaux (hommes/femmes), c'est qu'en droit, ils ne nient aucunement la liberté de ceux qu'insidieusement ils aliènent en fait. Nos droits politiques ont été pensés dans un contexte qui ne voyait comme limitation à la liberté des autres hommes que la violence, ils ne sont donc - à mon avis - pas opérant concernant des rapports de force plus subtils, tels que l'aliénation.
Après, ce n'est pas tant un défaut des droits politiques, qu'une conclusion logique des présupposés métaphysiques qui ont présidé à la reconnaissance de ces droits. En effet, il s'agit bien des droits de l'homme et du citoyen. Ils s'inscrivent dans une tradition métaphysique qui cherche à dépouiller l'homme de tous les rapports économiques, sociaux et politiques, pour atteindre "l'individu nu". La vraie question à mon sens, c'est celle de la pertinence d'un tel concept (l'individu abstrait de toutes les conditions historiques, économiques et sociales qui l'inscrivent dans une situation donnée). C'est l'illusion d'une liberté nue, qui aurait toujours la possibilité de s'abstraire des conditions contingentes et historiques dans lesquelles s'inscrivent les hommes. C'est le présupposé que quelle que soit l'acuité des rapports économiques et sociaux, il n'est pas impossible à un homme, du moment qu'en droit il en a la possibilité, de s'abstraire des rapports de fait.

Je parle d'illusion, mais je ne suis pas certaine qu'on puisse trancher véritablement contre cette conception.