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Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art.

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Aktaíôn a écrit:
la position que j'ai décrite fait jouer les deux tendances et ne laisse aucune prééminence de l'une sur l'autre
J'entends bien, mais la question est ailleurs. Il ne s'agit pas de privilégier l'une ou l'autre. Il s'agit de comprendre que l'une et l'autre ne sont appropriées qu'à certaines choses. La sensibilité ne se rapporte qu'à certaines choses, et certaines choses ne s'adressent qu'à la sensibilité ; l'intellect ne se rapporte qu'à certaines choses, et certaines choses ne s'adressent qu'à l'intellect. Certains artistes emploient leurs moyens avec l'intellect, pour l'intellect, à l'exclusion du reste, d'autres avec la sensibilité, pour la sensibilité, à l'exclusion du reste. Cela exige de distinguer idées et sentiments. Ne serait-ce que pour comprendre que la sensibilité est dotée de sa propre intelligence et de ses propres idées. Il n'y a pas de sensibilité aveugle, et la sensibilité use des mêmes moyens que l'intelligence pour s'exprimer. Si on admet volontiers que les opérations mathématiques se font sans recours aucun à la sensibilité, on doit admettre que certaines opérations artistiques se font sans recours aucun à l'intellect.

Une œuvre intellectuelle, La Cité idéale de Piero della Francesca :
Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art. - Page 5 Piero_della_Francesca_-_Ideal_City

Une œuvre sensible, ces Pêches et prunes de Chardin :
Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art. - Page 5 Chardin

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Ça c'est du métier ! Le peintre aimait tellement triturer sa matière qu'il a provoqué des craquelures à trop mélanger les couches fraîches et celles qui commençaient à sécher. Si Aktaíôn tient vraiment à réconcilier l'irréconciliable, qui en peinture pourrait se résumer à la querelle entre partisans du dessin et de la couleur, il peut se tourner vers les Vénitiens. Titien peignait avec les doigts et le tranchant de la main, mais il n'était pas trop mauvais en dessin.

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La question portait de mon côté sur le romantisme ou le classicisme en tant que je comprenais que l'un privilégiait l'intellect et l'autre la sensualité ou la sensibilité. J'aurais préféré des exemples illustrant ces deux courants pour que l'on me montra ce que signifiait réellement faire dans la peinture romantique ou dans la peinture classique, en quoi l'on voit que l'on privilégie les idées ou les sens. Or selon moi il n'y a pas d'exclusivité et je suis d'accord avec vous, Euterpe, j'avais bien compris ce que vous me dites. D'ailleurs je mise plutôt sur la contextualité en ceci que je peux aimer l'impression de force, de vigueur, de calme et d'intemporalité de l'art classique ou son simple touché offrant à mes sens une expérience sensuelle, par exemple cette pêche savoureuse dont j'aimerais caresser la peau si bien rendue avec ce fin duvet. Encore faut-il que l'on me présente ce fruit de cette manière si généreuse et non autrement, et que cela soit une fruit et non un bâtiment dont la symétrie m'ennuie terriblement. Mais il s'agit de ce bâtiment en particulier et je ne me ferme pas en généralisant un jugement particulier à cette forme de représentation, cela dit je préfère la sculpture, la magnificence des figures qui se posent là dans leur quasi-perfection, la force et la solennité qui s'en dégagent. Et puis les vrais temples sont magnifiques, majestueux, mais cela côtoie aussi dans cette architecture l'excitation de l'imagination et non les sens, il n'y a pas de caresse sensuelle mais rapport de taille, grandeur et petitesse, harmonie, etc. Et on ne peut nier non plus que les figures de la mythologie qui parcourent les ornementations soient des figures tragiques et néanmoins passionnées dans la tristesse, la ferveur ou la joie. Enfin je m'épanche trop et passe du coq à l'âne, pardonnez-moi, tout ceci me rappelle mes seuls instants de bonheur lorsqu'enfant je découvrais en Grèce toute une civilisation perdue, ses héros et ses dieux.

Liber, il est vrai que je n'aime pas tellement les descriptions mais j'aime quand elles sont le prétexte ou l'accompagnement d'un sentiment. Ou lorsqu'il s'agit d'un personnage j'aime les détails qui ont leur sens, qui font par eux-mêmes ce qui distingue le personnage d'un autre, cet élément infime sans lequel le personnage perd de sa consistance. Et oui, j'aime Werther, moins pour ce qu'il fait de sa naïveté que pour son innocence et sa passion. Le personnage principal est un idiot, un sentimental maladif, mais dans cette maladie il y a quelque chose de très beau qui se développe dans le roman. L'amour intransigeant, l'excitation, ce combat contre soi-même et contre le monde. Cependant, je ne suis pas non plus partisan des morales du cœur en ce sens-ci et autant j'aime et comprends la tragédie dans laquelle se place Werther (on pourrait dire par lui-même, mais peut-être que le Goethe spinoziste dirait malgré lui, Werther est suicidé par cet amour impossible) et ses défauts autant je ne peux cautionner sa faiblesse et son suicide. J'aime ce qui le prend mais non où cela le mène. J'aime aussi sa descente aux enfers, même si elle est maladroite, puérile, incontrôlée, je me délecte de ses états d'âme. Si je me souviens bien Werther passe son temps à idéaliser sa Charlotte et n'est amoureux que d'une idée, d'un idéal féminin, ce que je critiquerais sévèrement mais les descriptions de ses états et de sa dulcinée lorsqu'il est en sa présence me touchent - quoiqu'au fond il n'y ait que lui qui soit intéressant par la vision qu'il a et ce qui se passe en lui lorsqu'il est pris dans ces choix cornéliens et confronté à l'absence de la damoiselle alors que sa Charlotte n'est finalement qu'une sainte qui n'a rien à dire (même si j'ai un faible pour les femmes simples)...

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Aktaíôn a écrit:
J'aurais préféré des exemples illustrant ces deux courants pour que l'on me montra ce que signifiait réellement faire dans la peinture romantique ou dans la peinture classique, en quoi l'on voit que l'on privilégie les idées ou les sens.

C'est un peu plus complexe. Le romantisme privilégie plutôt l'intériorisation des sentiments ou au contraire leur exubérance, tandis que le classicisme les montre pudiquement et simplement. Tu as, si tu veux des exemples, Delacroix qui peint des gestes exagérés, des couleurs criardes, Ingres au contraire des gestes retenus, des couleurs douces. Quant à la sensualité à proprement parler, l'érotisme est nerveux et angoissé chez les romantiques, tandis qu'il est sain et paisible chez les classiques. Gautier est un cas à part : issu du mouvement romantique de 1830, il s'est tourné par tempérament vers une expression classique de sujets romantiques. Qui aurait cru en 1830 qu'il serait le précurseur du mouvement parnassien ?

Liber, il est vrai que je n'aime pas tellement les descriptions mais j'aime quand elles sont le prétexte ou l'accompagnement d'un sentiment.

Je parlais des descriptions chez Gautier, Balzac, Stendhal. Elles n'ont pas la même utilité chez ces trois-là. Chez Gautier, description de sujets artistiques (comparaison d'un pied de femme avec un pied de statue par exemple), chez Balzac, description des particularités (vieille maison croulante, difformité humaine), chez Stendhal, description permanente de ce que ressent le protagoniste. Ce qui les unit est l'emploi d'un même procédé descriptif, très classique. On pourrait dire sans exagérer qu'ils peignent avec leur plume, ils étaient par ailleurs de grands amateurs de peinture. Leur talent convient très bien au génie français, calme, pondéré, distant.


Le personnage principal est un idiot

As-tu remarqué que, bien avant Flaubert, Goethe créait des héros un peu bêtes ? Soit des incapables (Werther, Meister, Edouard), soit des pusillanimes, soit des personnages à la destinée inachevée, tous plus ou moins autobiographiques. Par ailleurs, ses femmes sont plus énergiques que ses hommes. C'est toujours elles qui font agir le héros, qui le sortent de sa torpeur. Elles jouent le rôle de fécondatrices, assez bizarrement. La femme, prise d'une sorte de folie audacieuse, pousse l'homme hors de ses limites, et, malgré la catastrophe annoncée, elle le sauve. Werther est un imbécile parce qu'il ne réussit pas à se faire "féconder" par Charlotte. Mais Goethe a retenu la leçon. Tu ne le verras plus créer des femmes comme Charlotte. Bon, elles seront toujours de bonnes bourgeoises (il avait horreur qu'elles soient plus que cela), mais dans leur naïveté, elles sauront se décider, bien évidemment sous l'influence de la Nature et de ses grandes Lois, car selon le poète, elles sont plus proches de cette Nature que l'homme. C'est le côté métaphysique, bien que ce mot convienne fort peu à Goethe, de son oeuvre.

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Aktaíôn a écrit:
La question portait de mon côté sur le romantisme ou le classicisme en tant que je comprenais que l'un privilégiait l'intellect et l'autre la sensualité ou la sensibilité. J'aurais préféré des exemples illustrant ces deux courants pour que l'on me montrât ce que signifiait réellement faire dans la peinture romantique ou dans la peinture classique, en quoi l'on voit que l'on privilégie les idées ou les sens.
Liber a écrit:
C'est un peu plus complexe. Le romantisme privilégie plutôt l'intériorisation des sentiments ou au contraire leur exubérance, tandis que le classicisme les montre pudiquement et simplement. Tu as, si tu veux des exemples, Delacroix qui peint des gestes exagérés, des couleurs criardes, Ingres au contraire des gestes retenus, des couleurs douces. Quant à la sensualité à proprement parler, l'érotisme est nerveux et angoissé chez les romantiques, tandis qu'il est sain et paisible chez les classiques.
Comme le rappelle Liber, c'est un peu plus complexe, en effet. La distribution entre intellect et affect se retrouve à l'intérieur de chaque période, et à l'intérieur de chaque œuvre. Quand un peintre classique est amené à montrer des sentiments, il en fait autre chose que ce qu'en fait un peintre romantique. En outre, les peintres qui ne seraient qu'intellectuels et ceux qui ne seraient que sensibles sont peu nombreux, et permettent de tracer des frontières commodes, mais avec lesquelles il faut être prudent. En France par exemple, seul Delacroix est un peintre véritablement romantique, tout simplement parce que les Français sont et restent classiques ou attachés au classicisme. La sculpture et l'architecture n'ont pas suivi le même mouvement que la peinture, et les beaux-arts eux-mêmes (peinture comprise) ne pouvaient suivre le même mouvement que la littérature.

Or c'est dans la littérature seulement que le romantisme français a trouvé à s'exprimer, avec deux moyens formels différents qui n'interdisaient pas l'expression de la subjectivité : l'écriture autobiographique (version Chateaubriand) et le lyrisme poétique (la triade Hugo, Lamartine, Musset). Ces deux moyens étaient les plus propres à l'expression affirmée des sentiments, toujours près de déborder, mais dont le débordement même est comme rattrapé et compensé par des formes et des règles classiques (le sonnet et l'alexandrin pour la poésie lyrique et amoureuse), ou une forme de récit ancestral, noble et réglé (le mémoire, qui permet à Chateaubriand d'inscrire son histoire dans l'histoire, peignant une fresque gigantesque qui appartiendrait, si nous devions nous livrer à ce genre d'exercice, à la peinture d'histoire).

Le romantisme forcené qui ne demande qu'à s'abandonner au dérèglement des sens est peu répandu en France : Rousseau et ses Confessions, où la sincérité "automaniaque" confine à l'hystérie ; Baudelaire "nécromane" et la multiplication de moyens scripturaux en principe non littéraires ; Rimbaud, qui n'est pas exactement un romantique, mais qui achève le mouvement circulaire du romantisme avec ce qu'on peut appeler son "hétéromanie", l'autre ou l'envers de l'hystérie (je est un autre), et qui finit par abandonner la littérature à elle-même. Or ces trois-là ne sont pas les références auxquelles ont recourt pour l'expression des sentiments.

Les trois peintres-écrivains choisis par Liber, maîtres de la description, adoptent une démarche opposée à celle des trois aliénés que j'ai choisis. Ils utilisent une forme d'écriture moderne, le roman, ce qui me paraît plus propre à hériter du classicisme (c'est pourquoi, par exemple, on ne saurait s'étonner que Gautier annonce les parnassiens ; comme il n'est pas étonnant que ce soit Stendhal qui conceptualise la différence entre romanticisme et classicisme). L'égotisme stendhalien est scientifique (cf. la préface à De l'amour) : Stendhal étudie ce qui est romantique. Avec Balzac et Gautier, il forme un ensemble d'écrivains réalistes qu'on pourrait rapprocher de la renaissance toscane (Gautier primitif ou préraphaélite en ceci qu'il s'intéresse plus aux objets qu'aux personnes), du réalisme hollandais (Balzac), ou du naturalisme caravagesque (Stendhal). Il est très significatif que le XIXe siècle français, Stendhal en tête, redécouvre des écrivains de la Renaissance, à commencer par Shakespeare et Ronsard.

De quel réalisme pourrait-il s'agir ici ? D'un réalisme anatomique. Rien d'intellectuel donc. La description la plus achevée interdit l'intellectualisme, en préservant et l'objet étudié (le réel), et le point de vue adopté (distance, objectivité). D'où ma remarque initiale à propos de la manière la plus propre ou pertinente dont on peut hériter du classicisme, nos trois réalistes ayant l'intérêt de s'opposer à l'académisme ou au néoclassicisme, qui risquent d'associer des formes et des objets incompatibles. Ce qui "sauve" ou autorise David, c'est l'épopée (la violence) révolutionnaire et surtout napoléonienne, politique, et son impact sur la pensée (Socrate, Marat) ; ce qui "sauve" Ingres c'est son érotomanie. Dans les deux cas, la violence leur impose un formalisme classique, seul régulateur assez puissant pour éviter le n'importe-quoi. Delacroix, lui, a les moyens du romantisme, précisément parce que sa couleur accepte de faire le travail du dessin, de la forme, et que son intérêt va à des choses moins nobles ou sublimées, tout ce qui est propice au défoulement face à la morale bien-pensante (le peuple, l'orientalisme). C'est donc un peintre bourgeois (et critique de la bourgoisie) en ceci qu'il peint tous les fantasmes auxquels la bourgeoisie aimerait s'abandonner mais qu'elle endigue avec son puritanisme et sa morale contreproductifs (tant cela même corrompt les passions en pathos).


David
Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art. - Page 5 311david

Ingres
Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art. - Page 5 Ingres_bain_turc

Delacroix
Le Cicérone de Burckhardt et l'histoire de l'art. - Page 5 Delacroix38


Dernière édition par Euterpe le Sam 5 Mar 2011 - 2:45, édité 2 fois
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