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Critiquer Nietzsche ?

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descriptionCritiquer Nietzsche ? - Page 3 EmptyRe: Critiquer Nietzsche ?

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Ce serait être nietzschéen jusqu’au bout que de ne l’être plus du tout. Il serait bien dommage d’abandonner notre foi en la vérité pour reporter avec ferveur et complaisance notre foi en Zarathoustra lui-même, douloureuse ironie que de déporter notre vénération sur la statue du héros qui a détruit toutes les idoles de la vénération humaine… Zarathoustra n’a pas besoin de croyants : « J’ai suffisamment foi en ta cause, pour dire contre elle tout ce que j’ai sur le cœur ». Puisqu’il recommande le disciple qui dit « oui » et celui qui dit « oui mais » à son ennemi, tout en s’efforçant de séduire et de corrompre celui qui répond « non » à sa doctrine (GS). Le disciple d’Héraclite se condamne ainsi lui-même à n’avoir autour de lui que des mauvais disciples (oiseaux de proies), ou plus précisément à n’en avoir aucun. Étant donné que le disciple qui répond « non » et s’oppose à la doctrine de son maître, est par définition le traître. Être où ne pas être nietzschéen telle est donc la fausse question, qui alimente les radotages de nos universitaires depuis plus d’un siècle. Le rapport que Nietzsche à lui-même instauré avec ses pères, la lutte parricide, se transpose alors en une rivalité fratricide avec ses propres disciples : « Mes frères en la guerre je suis et serait toujours votre meilleur ennemi » (Z).

À supposés qu’il y ait dans l’image des philosophes de l’avenir un trait qui puisse faire pressentir qu’ils seront peut-être des septiques au sens que nous venons d’indiquer, ce ne serait encore qu’une de leur particularité et non leur caractère essentiel […]. Ils seront plus durs (et pas toujours envers eux-mêmes seulement) que ne le souhaiteraient les humanitaires. S’ils fraient avec la vérité, ce ne sera pas pour qu’elle « plaise » les « exaltes » et les « enthousiasmes », ils ne croiront sans doute guerre que la vérité soit faite pour procurer de telles jouissances au sentiment. Ils souriraient, ces esprits sévères, si l’un d’entre eux se prenait à dire : « Cette pensée qui m’exalte, comment ne serait-elle pas vraie ? » - : ou : « Cette œuvre ma ravit, comment ne serait-elle pas belle ? » - ou : « Cette artiste me grandit, comment ne serait-il pas grand ? » Ils éprouveraient non seulement l’envi de sourire de ces divagations d’idéalistes, d’efféminés, d’hermaphrodites, mais un véritable dégoût. (Généalogie de la morale, troisième dissertation).


Signification de la folie dans l’histoire de l’humanité. — Si, malgré ce formidable joug de la « moralité des mœurs », sous lequel toutes les sociétés humaines ont vécu, si — durant des milliers d’années avant notre ère, et encore au cours de celle-ci jusqu’à nos jours (nous habitons nous-mêmes, dans un petit monde d’exception et en quelque sorte dans la zone mauvaise) — des idées nouvelles et divergentes, des appréciations et des jugements de valeur contraires n’ont jamais cessé de surgir, ce ne fut cependant que parce qu’ils étaient sous l’égide d’un sauf-conduit terrible : presque partout, c’est la folie qui aplanit le chemin de l’idée nouvelle, qui rompt le ban d’une coutume, d’une superstition vénérée. Comprenez-vous pourquoi il fallut l’assistance de la folie ?

De quelque chose qui fût aussi terrifiant et aussi incalculable, dans la voix et dans l’attitude, que les caprices démoniaques de la tempête et de la mer, et, par conséquent, aussi dignes qu’eux de la crainte et du respect ? De quelque chose qui portât, autant que les convulsions et l’écume de l’épileptique, le signe visible d’une manifestation absolument involontaire ? De quelque chose qui parût imprimer à l’aliéné le sceau de quelque divinité dont il semblait être le masque et le porte-parole ? De quelque chose qui inspirât, même au promoteur d’une idée nouvelle, la vénération et la crainte de lui-même, et non plus des remords, et qui le poussât à être le prophète et le martyr de cette idée ? — Tandis que de nos jours on nous donne sans cesse à entendre que le génie possède au lieu d’un grain de bon sens un grain de folie, les hommes d’autrefois étaient bien plus près de l’idée que là où il y a de la folie il y a aussi un grain de génie et de sagesse, — quelque chose de « divin », comme on se murmurait à l’oreille. Ou plutôt, on s’exprimait plus nettement : « Par la folie, les plus grands bienfaits ont été répandus sur la Grèce », disait Platon avec toute l’humanité antique.

Avançons encore d’un pas : à tous ces hommes supérieurs poussés irrésistiblement à briser le joug d’une moralité quelconque et à proclamer des lois nouvelles, il ne resta pas autre chose à faire, lorsqu’ils n’étaient pas véritablement fous, que de le devenir ou de simuler la folie. — Et il en est ainsi de tous les novateurs dans tous les domaines, et non seulement de ceux des institutions sacerdotales et politiques : — même l’inventeur du mètre poétique dut se faire accréditer par la folie. (Jusqu’à des époques beaucoup plus tempérées, la folie resta comme une espèce de convention chez les poètes : Solon s’en servit lorsqu’il enflamma les Athéniens à reconquérir Salamine.) — « Comment se rend-on fou lorsqu’on ne l’est pas et lorsqu’on n’a pas le courage de faire semblant de l’être ? » Presque tous les hommes éminents de l’ancienne civilisation se sont livré à cet épouvantable raisonnement ; une doctrine secrète, faite d’artifices et d’indications diététiques, s’est conservé à ce sujet, en même temps que le sentiment de l’innocence et même de la sainteté d’une telle intention et d’un tel rêve. Les formules pour devenir « homme-médecine » chez les Indiens, saint chez les chrétiens du Moyen Âge, « anguécoque » chez les Groënlandais, « paje » chez les Brésiliens sont, dans leurs lignes générales, les mêmes ; le jeûne à outrance, la continuelle abstinence sexuelle, la retraite dans le désert ou sur une montagne ou encore au haut d’une colonne, ou bien aussi « le séjour dans un vieux saule au bord d’un lac » et l’ordonnance de ne pas penser à autre chose qu’à ce qui peut amener le ravissement et le désordre de l’esprit.

Qui donc oserait jeter un regard dans l’enfer des angoisses morales, les plus amères et les plus inutiles, où se sont probablement consumés les hommes les plus féconds de toutes les époques ! Qui osera écouter les soupirs des solitaires et des égarés : « Hélas ! accordez-moi donc la folie, puissances divines ! la folie pour que je finisse enfin par croire en moi-même ! Donnez-moi des délires et des convulsions, des heures de clarté et d’obscurité soudaines, effrayez-moi avec des frissons et des ardeurs que jamais mortel n’éprouva, entourez-moi de fracas et de fantômes ! laissez-moi hurler et gémir et ramper comme une bête : pourvu que j’obtienne la foi en moi-même ! Le doute me dévore, j’ai tué la loi et j’ai pour la loi l’horreur des vivants pour un cadavre ; à moins d’être au-dessus de la loi, je suis le plus réprouvé d’entre les réprouvés. L’esprit nouveau qui est en moi, d’où me vient-il s’il ne vient pas de vous ? Prouvez-moi donc que je vous appartiens ! — La folie seule me le démontre. » Et ce n’est que trop souvent que cette ferveur atteignit son but : à l’époque où le christianisme faisait le plus largement preuve de sa fertilité en multipliant les saints et les anachorètes, croyant ainsi s’affirmer soi-même, il y avait à Jérusalem de grands établissements d’aliénés pour les saints naufragés, pour ceux qui avaient sacrifié leur dernier grain de raison. (Aurore, 14).

Qu'avez-vous fait des idéaux de votre jeunesse ? : « Évidemment cette surproduction pourrait donner matière à un nouveau commerce ; évidemment il y a une nouvelle « affaire » à entre­prendre avec un petit assortissement d’idoles et d’ « idéalistes », — sachez mettre à profit cette indication ! Qui aura le courage de tenter l’entre­prise ? — nous avons en main tout ce qu’il faut pour « idéaliser » la terre !… Mais pourquoi parler de courage : une seule chose est nécessaire ici, je veux dire une main, une main peu scrupuleuse, oh ! combien peu !… » (Généalogie de la morale, seconde dissertation).


Nietzsche par la jeunesse aux cheveux gris

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Je relis de temps en temps certains topics. Il est amusant de se voir évoluer, au point de rire de ses propres bêtises ou de se trouver illisible. En tout cas, les propos de Liber et d'Euterpe restent pertinents.

Quand je tombe sur ceci :
Euterpe a écrit:
Sans hésitation aucune, ma critique va à son insuffisante analyse de la démocratie. Il s'est contenté d'un regard méprisant. Après tout, il n'en dit pas plus ni mieux que Burckhardt, lequel a dit d'excellentes choses à ce sujet, éclairé qu'il était, sans doute, non seulement par son intelligence historique, mais aussi et surtout par sa conception anhistorique ou antihistorique de l'art, du génie civilisateur. Du reste, je crois, ne sachant pas le fond de l'affaire, que Burckhardt a fini par éprouver une forme d'abjection ou d'horreur à l'égard de Nietzsche, comme s'il avait perçu chez lui quelque chose de trop romantique : Nietzsche était-il assez Gœthéen ? Dès lors, on peut énoncer une deuxième critique. Nietzsche a-t-il réussi à sortir et à nous sortir du romantisme, comme il nous y invitait et nous y invite encore ? Ou bien le romantisme était-il beaucoup plus protéiforme qu'il ne le supposait lui-même ? Pourtant, il connaissait Bourget sur le bout des doigts. (Mais qui peut vaincre l'hydre aux mille têtes ?)

Je trouve que c'est très juste. Cela dit, je crois que si Nietzsche a pu rester romantique (pourquoi pas en prolongeant à sa manière le romantisme - après tout, s'il parle de pessimisme de la force, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir un romantisme de la force, plutôt qu'un romantisme surmonté ?), ce sont surtout ceux qui se sont réclamés par la suite de son héritage qui ont tiré les conséquences romantiques de ses vues sur la vérité, la raison ou l'art par exemple, tout en amplifiant parfois sa démesure verbale, ses pitreries prises au sérieux qui donnent dans la grandiloquence. (Cela dit, j'ai toujours préféré le Nietzsche ironique et rieur au prophète.) Or, les auteurs les plus enclins à l'ironie et à la fidélité au Nietzsche le plus critique (Clément Rosset, Jacques Bouveresse par exemple) se sont dispensés de toutes ces choses que l'on agite trop souvent pour faire sensation et semer la confusion : l'éternel retour, le surhomme, la grande politique, la dichotomie fort-faible (aspect de la volonté de puissance que je séparerais du reste, notamment des dichotomies fait-valeur et décadent-sain), toutes ces notions qui donnent des bouffées de chaleur à ceux qui se rêvent d'une avant-garde qui n'aurait de comptes à rendre qu'à elle-même. Ou bien ils n'en ont pas fait des slogans, des mots d'ordre qu'il suffirait de répéter à l'envi, oubliant par là d'ouvrir leurs narines prétendument nietzschéennes à leur propre discours. Ils ont su rester prosaïques.

Quant au jugement négatif de Nietzsche sur la démocratie, cela me fait penser à ce propos de Rorty, lequel compare Nietzsche et Dewey. Pour lui, ils ont absolument tout en commun - sauf, précisément, leurs vues politiques. Peut-être qu'un Nietzsche qui aurait vécu plus longtemps, un Nietzsche lucide qui plus est, aurait eu le temps de revoir son jugement sur la philosophie anglo-saxonne et aurait pu discuter avec ce que l'on appelle le pragmatisme. En même temps, je crois que Nietzsche est à la fois un adversaire de grande envergure et un allié indispensable pour tout penseur de la démocratie. Car peu d'intellectuels ont su mesurer comme lui les limites et les pièges de la démocratie. Mais pour un démocrate, le diagnostic nietzschéen n'est pas forcément le signe d'un échec de la démocratie. Il aide au contraire à comprendre ce qui menace la démocratie de l'intérieur, et permet donc plus de prudence. Pour finir, bien que Rorty assume l'influence conjuguée de Nietzsche (dont il ne reprend pas tout) et du romantisme, il me semble que le pragmatisme apparaît en général plus sérieux que la pensée de Nietzsche, alors même que leur conception de la vérité ou de l'art est similaire. Même s'il y a de l'idéalisme dans la politique pragmatiste, j'ai l'impression que les penseurs américains sont plus terre à terre que Nietzsche, toujours en prise avec la Grèce et l'Allemagne, c'est-à-dire les héros et les mythes. (Bien que l'Amérique soit le nom d'un idéal ou d'un autre mythe.) Est-ce dû à son platonisme (inversé) où se font jour les ambitions excessives du philosophe, du législateur et de l'artiste jusqu'à en perdre le sens du réel ?
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