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descriptionFoi et nostalgie. EmptyFoi et nostalgie.

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Voilà un sujet qui m'occupe l'esprit depuis que j'ai regardé Gravity d'Alfonso Cuaron. Sans entrer dans les détails, il m'a semblé évident à la vision du métrage que le réalisateur établit une relation assez forte entre la nostalgie et la foi, en faisant de la nostalgie une étape (une condition ?) dans la redécouverte de la foi par le personnage de Ryan. Par nostalgie, je pense ici à cette nostalgie tournée vers le futur dont parlait Hegel, par opposition à une nostalgie tournée vers le passée dont Ryan est de toute évidence prisonnière au début du métrage.

Dans le film, Ryan (qui a perdu sa fille) connaît son épiphanie à l'exact moment où elle entend la voix d'un bébé, alors même qu'elle est sur le point de mettre fin à ses jours, tandis qu'elle dérive seule à bord d'un module de survie.

Pourtant, j'entends souvent dire (notamment de la bouche de personnes religieuses) que foi et nostalgie sont incompatibles. Qu'en pensez-vous ? La nostalgie est-elle importante pour la foi (notamment dans le paysage littéraire/cinématographique contemporain) ?

descriptionFoi et nostalgie. EmptyRe: Foi et nostalgie.

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nostalgie tournée vers le futur dont parlait Hegel

Pourriez-vous préciser où Hegel parle de cela ?
Quant à la foi et la nostalgie, je pense que l'incompatibilité pourrait reposer dans le sens (direction) des mots, ce vers quoi ils portent. La foi est toute dirigée vers l'après (du moins la foi chrétienne) au sens où l'on a foi en Dieu, tandis que la nostalgie semble tournée vers le passé, même si l'étymologie grecque, en effet, pourrait faire penser le contraire. Mais la douleur (algie) du retour (nostos) est de toute façon liée au passé du nostalgique...
Ceci dit, on pourrait également voir dans la figure du paradis perdu une forme de nostalgie. Mais je ne crois pas que le chrétien soit nostalgique du temps d'Adam et Eve. Le chrétien accepte le péché originel et s’évertue à s'occuper de son Salut plutôt qu'à regretter la plénitude du jardin d'Eden.

descriptionFoi et nostalgie. EmptyRe: Foi et nostalgie.

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Desassossego a écrit:
Le chrétien accepte le péché originel et s’évertue à s'occuper de son Salut plutôt qu'à regretter la plénitude du jardin d'Eden.

Oui, mais n'est-ce pas pour le retrouver ? Dans la Jérusalem céleste qu'évoque St Jean, il me semble que se trouve ce fameux jardin.

descriptionFoi et nostalgie. EmptyRe: Foi et nostalgie.

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Netzach a écrit:
le réalisateur établit une relation assez forte entre la nostalgie et la foi, en faisant de la nostalgie une étape (une condition ?) dans la redécouverte de la foi par le personnage de Ryan. Par nostalgie, je pense ici à cette nostalgie tournée vers le futur dont parlait Hegel

Vous pensiez peut-être au Fragment de Tübingen, dans lequel le jeune Hegel affirme son intention de surmonter, en les réconciliant, les oppositions qui déchirent les hommes. De quelle réconciliation s'agit-il ? Ci-dessous, ce qu'en dit Marc Herceg :
Le jeune Hegel et la naissance de la réconciliation moderne essai sur le fragment de Tübingen (1792-1793) a écrit:
[Hegel] affirme la réalité d’une union plus ancienne que la désunion. Ce qui signifie que la désunion – celle du cœur et de la vertu, celle du sensible et de l’intelligible, celle de l’existence humaine et de la religion – provient de l’union qu’elle désunit et n’est pensable qu’à partir de l’unité. Il ne s’agira donc plus de l’illusion qui consiste à tenter inlassablement de soumettre l’un des deux termes de l’opposition pour supprimer la désunion. Mais il s’agira, au contraire, de rechercher une conciliation avant la désunion, en affirmant que ce qui est désuni aujourd’hui était uni avant, il y a longtemps, et qu’il importe, pour réconcilier véritablement les hommes, de retrouver cette époque, de reproduire l’esprit d’unité et d’harmonie qui y régnait. En somme : pacifier par le passé ou l’origine, et non plus par l’idéal et le futur. Ou encore : inverser le sens, changer le mouvement même de la réconciliation, pour revenir en arrière, et rétablir l’union, en la faisant resurgir du fond des âges comme du plus profond de l’homme et de sa vie. En ce sens le jeune Hegel nomme « unité de la religion et de la vie », « religion subjective », puis « religion populaire », et enfin « Grèce » la conciliation originaire que la vraie réconciliation a pour but de rétablir, c’est-à-dire à la lettre : de répéter. Cette pensée de la conciliation originaire et de sa répétition est une tentative pour accéder à une réconciliation qui ne soit plus la réconciliation à venir du christianisme ou de la philosophie des Lumières. Mais c’est aussi, croyons-nous, la première étape d’une réflexion sur l’action révolutionnaire.
Tout se passe en effet comme si Hegel, en 1792-1793, tentait de poser et de résoudre la question suivante : Qu’est-ce que l’événement de la Révolution française ? Et, plus exactement : en quoi la réconciliation que cherchent à mettre en œuvre les révolutionnaires français se distingue-t-elle de la réconciliation du christianisme ou des Lumières ? Question sans doute extrêmement difficile, et qui excède les forces d’un tout jeune homme. Mais la réponse hégélienne est étonnante. Elle soutient en substance, comme nous venons brièvement de le présenter, que la Révolution est une répétition ; en cela les révolutionnaires ne visent pas la réconciliation à venir, mais la
conciliation déjà advenue. Car ce que veut la Révolution – et le jeune Hegel s’inscrit résolument à l’intérieur d’une telle perspective –, c’est Rome ou la Grèce recommencées, la réconciliation des temps anciens à nouveau présente, ici et maintenant.
[...]
[La thèse] que va soutenir le jeune Hegel à Tübingen : la Révolution est un retour en arrière, c’est une « restauration » ; ou, mieux, c’est une ré-conciliation – à savoir, une répétition pure et simple d’un état de conciliation originaire, d’un état d’entente et d’harmonie primitives entre les hommes, que la Révolution fait, ou doit faire, revenir en un instant.
[...]
Une solution commence cependant à apparaître : a toujours déjà été uni ce qui s’oppose ; et chaque opposition, loin de donner à penser l’incertaine conciliation du moraliste ou du théologien, fait bien plutôt signe vers une unité qui était avant toute opposition. La moralité effective énonce l’unité du cœur et de la vertu, la religion l’unité du sensible et de l’intelligible, la religion subjective l’unité de la vie et de la religion, la religion populaire l’unité d’un peuple et de ses convictions. Mais il ne s’agit pas seulement de substituer à chaque opposition l’unité qui lui correspond. Il faut, soutient Hegel, retrouver la source de l’accord où toutes les tendances s’associaient librement. Dans la suite du Fragment, c’est vers une telle recherche de la conciliation originaire que la démarche hégélienne va désormais s’engager.
[...]
La réconciliation a donc ici un mouvement rétrograde au sens d’un retour en arrière, d’une « restauration ». Hegel cherche une conciliation originaire qui résout d’avance les oppositions, parce qu’elle les empêche de se manifester jusqu’au point extrême de la désunion et de la destruction de l’harmonie. La réconciliation est derrière nous, antérieure à tout désir de réconciliation. Unité immédiate, harmonie sans dissonance, bonheur de l’origine. Nous avons vieilli ; la division, le conflit, le malheur marquent la faiblesse de notre génie vieillissant. Le Fragment repose sur un diagnostic de crise et de désunion ; en prônant le retour à la conciliation originaire comme unique remède
et unique solution, il semble se réfugier dans le passé d’une union bienheureuse. Projection du désir de réconciliation ? Conciliation fictive et purement imaginaire ? Origine idéalisée par une illusion rétrospective ? On peut en effet se poser la question. Mais l’essentiel est ailleurs. Sous la douce nostalgie de l’unité révolue s’affirme la brutale irruption de la perspective du rétablissement de la conciliation originaire, celle de la cité antique, que les révolutionnaires français cherchent à faire prévaloir, et que le jeune Hegel s’attache manifestement ici à approfondir. Pour comprendre le Fragment de Tübingen, il faut donc tenir compte du problème du sens et de la réception de la Révolution française. [...]


in Les études philosophiques, 2004/3, n° 70, p. 383-401.

Ce que vous appelez "nostalgie tournée vers le futur" est une nostalgie plus affirmative que la nostalgie la plus courante (forme du deuil), c'est la révolution elle-même (faire ré-advenir le passé, l'origine).

Toutefois, à propos du film que vous mentionnez, je pencherais plutôt pour une interprétation plus américaine ou américanisée (et dont le cinéma est un canal de diffusion privilégié). La nostalgie peut être associée au mythe mosaïque de la chute, du péché originel, qu'on ne peut qu'expier ; l'expiation étant en même temps le moyen principal de la réparation. Ainsi, contrairement à ce qu'ont pu vous affirmer les personnes religieuses dont vous parlez, on ne peut juger incompatibles foi et nostalgie, sauf à considérer la nostalgie comme une crise propre à remettre en cause l'espérance, et par conséquent Dieu même.
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