webbynerd.com: mélancolie et perversité a écrit:Les philosophes, peu importe leur tendance, s'entendent sur une chose au sujet de l'ère postmoderne : celle-ci rompt avec la croyance de la linéarité du Progrès et de la finalité de l'Histoire. De fait, si la modernité implique la conscience aiguë du procès historique et se développe selon une logique révolutionnaire, transgressive et inflationniste, la postmodernité constitue plutôt « une rupture avec la rupture » [1]. Constatant l'impasse où mène l'accélération des révolutions technologiques, esthétiques et autres, l'artiste postmoderne semble avoir déserté les chapelles des avant-gardes, dont le credo de la « table rase » et la violence des manifestes garantissaient la crédibilité. C'est au répertoire des traditions et des formes du passé qu'il se réfère désormais, en dehors de cet esprit de système qui caractérisait les pratiques antérieures. Deux phénomènes opèrent simultanément pour expliquer ce changement profond d'attitude : d'une part, le créateur postmoderne a perdu son innocence par rapport à la pureté des formes et des contenus, qui doivent alors se passer de justification idéologique rigide ; d'autre part et parallèlement, il se défait de ses complexes vis-à-vis une réalité hétérogène qu'il ne s'agit plus dès lors de maîtriser, mais d'apprivoiser. Bref, sa propension au relativisme rend caduc le désir moderniste de transgression à tout prix, et du renversement systématique des Normes unitaires, des Autorités morales, pour la raison bien simple que celles-ci se font de plus en plus rares et de plus en plus diffuses.
Je suis tombé sur cet article très captivant il y a quelque temps et il m'a semblé qu'il pourrait en intéresser quelques uns ici. J'aimerais savoir ce que vous pensez de la notion de postmodernité et si possible particulièrement en ce qui concerne l'art (il me semble néanmoins inévitable de déborder quelque peu et de parler de la culture de manière plus globale).
Il m'a semblé d'autant plus intéressent de créer ce sujet puisqu'en lisant Les fers de l'opinion, une expression avait capté mon attention, celle de "modernité tardive". Bon je me rends bien compte que l'auteur utilisait plutôt ce terme en traitant de questions politiques, mais il serait intéressant de savoir si certains parmi vous pensent qu'il s'applique au domaine qui nous préoccupe ici. En ce sens il s'agirait moins d'une époque de "rupture d'avec la rupture" que de la continuation d'une modernité qui serait en quelque sorte en "bout de course". Personnellement cela me semble se justifier d'un point de vu juridico-politique, mais en ce qui concerne l'art, j'ai plus de doutes, ne serait-ce qu'à cause des révolutions technologiques récentes.
webbynerd: même art. a écrit:La notion de postmodernité artistique a été largement théorisée par la philosophie, mais elle est issue du domaine de l'architecture : il est intéressant d'évoquer les analyses de ceux qui, les premiers, s'y sont intéressés. C'est l'architecte américain Robert Venturi qui, en 1966 dans son livre Complexity and Contradiction in Architecture, a avancé l'idée d'un postmodernisme constructif (c'est le cas de le dire) et assumé comme tel. Avant lui, le terme était exclusivement réservé aux usages péjoratifs, témoignant toujours d'une certaine forme de décadence. Venturi fut donc le premier à revendiquer l'esthétique postmoderne comme un acquis, comme un atout. Comme le note Antoine Compagnon, « [l']architecte postmoderne rêve d'une contamination entre la mémoire historique des formes et le mythe de la nouveauté » [2]. Le mot « contamination » est à prendre ici au sens positif de métissage, car il s'agit pour le créateur postmoderne (dont l'architecte Venturi est la première incarnation consciente) de rompre avec la tradition moderniste se caractérisant par une surenchère de dépassement formel et de radicalité critique. À un projet moderne autoritaire et puriste, l'artiste postmoderne oppose un projet plus souple, plus syncrétique, où la hiérarchie des formes n'a plus sa place. Ainsi, est-il vraiment surprenant que la citation, l'allusion et le recyclage soient les motifs rhétoriques principaux du postmodernisme ? En effet, une fois évacuée l'obligation moderne de la cohérence idéologique, les œuvres d'art deviennent le lieu de toutes les références ; loin de considérer ces emprunts disparates comme des tares, l'artiste postmoderne tente d'en tirer le sens et le profit.
Bien que la postmodernité cinématographique ne fonctionne pas autrement et traduise les mêmes stratégies, il y a différentes façons de la circonscrire : on peut la périodiser en termes historiques (en tentant de déterminer les origines du mouvement), ou encore la considérer comme une perspective théorique générale. Pour Laurent Jullier qui conjugue les deux approches, le postmodernisme cinématographique caractérise l'ensemble du cinéma des 20-25 dernières années et prend son essor à proprement parler avec Star Wars de Georges Lucas. Jullier définit donc le mouvement de façon très large dans un premier temps et il l'associe fortement à l'évolution du blockbuster. Ce parallèle se concrétise dans l'apparition d'un nouveau genre typiquement postmoderne, que le théoricien nomme le « film-concert » [3]. Il s'agit dans ce genre de film, non pas de capter les images d'un véritable concert, on s'en doute, mais bien de mettre l'accent sur les aspects de performance, de spectaculaire et de stimulation spectatorielle. Le film-concert, selon Jullier, se définit par trois traits distinctifs : premièrement, il met en place « un dispositif technologique » central et actif ; deuxièmement, il favorise le déroulement d'un « spectacle hic et nunc », c'est-à-dire composé d'une succession de performances autonomes, vécues le plus possible comme autant d'instants présents ; troisièmement, il exalte la dimension sonore, qui devient plus importante que la dimension visuelle (d'où l'appellation « film-concert »). Nous comprenons maintenant mieux le choix de Star Wars comme archétype du film postmoderne, car il obéit parfaitement à ces trois « règles ». Cependant, si la postmodernité cinématographique peut se définir dans cette optique du blockbuster, elle ne s'incarne pas que dans cet avatar. Baudrillard a déjà souligné le caractère malsain, s'il est systématique, du recours à « la virtuosité technique comme référence obligée au cinéma » [4]. Et comme le cinéaste postmoderne travaille dès le départ avec le « déjà-vu », avec le second degré, avec des « images-se-sachant-images » [5], c'est dans son traitement de la référence que l'on peut juger de son travail