Portail philosophiqueConnexion

Bibliothèque | Sitographie | Forum

Philpapers (comprehensive index and bibliography of philosophy)
Chercher un fichier : PDF Search Engine | Maxi PDF | FreeFullPDF
Offres d'emploi : PhilJobs (Jobs for Philosophers) | Jobs in Philosophy
Index des auteurs de la bibliothèque du Portail : A | B | C | D | E | F | G | H | I | J | K | L | M | N | O | P | Q | R | S | T | U | V | W | X | Y | Z

L'homme et ses dieux.

power_settings_newSe connecter pour répondre
+5
tierri
Silentio
Gisli
Euterpe
Liber
9 participants

descriptionL'homme et ses dieux. - Page 2 EmptyRe: L'homme et ses dieux.

more_horiz
Je me permets de couper votre échange par quelques extraits tirés d'un petit livre splendide d'un auteur assez peu connu :

"Les dieux ne relèvent ni d'une invention, ni d'une création de l'esprit, ni d'une représentation, mais ils peuvent seulement relever d'une expérience.

[...]

Les mythes [sont] plus que des images et des symboles pour des expériences que l'homme peut faire en tout temps : ils [sont] des manifestations de l'être, qui sont réservées à un moment du monde qui leur est propre.

[...]

Le poète raconte d’abord tout comme nous le ferions : « L’outrage qu’il a subi de la part d’Agamemnon atteignit Achille d’une douleur sauvage, et son cœur balança le pour et le contre pour savoir s’il allait tirer l’épée, disperser l’assistance et tuer l’offenseur, ou bien s’il devait calmer son dépit et maîtriser sa fougue. Tandis qu’il remuait en lui ses pensées et déjà sortait son épée du fourreau, alors… » Nous poursuivrions : alors la raison et le discernement l’emportèrent, voyant qu’il obtiendrait une bien plus grande satisfaction pour l’outrage subi s’il s’abstenait d’une action précipitée. Et les auditeurs auraient su à l’avance qu’il en serait ainsi. Car quand un homme entreprend de délibérer pour savoir s’il ne ferait pas mieux de se contenir, il n’est quasiment plus permis de douter de la manière dont la décision sera prise. Mais elle n’est point encore prise. Et nous écoutons maintenant comment elle est advenue : « Alors Athéna vint du ciel [...]. Elle se mit derrière lui et le tira par ses blonds cheveux ; étonné il se retourna et reconnut aussitôt Pallas Athénè car ses yeux brillaient avec force. » Ainsi le geste décisif que nous attribuons à la libre décision de la volonté se produit ici grâce à l’apparition d’une divinité.

[...] L’image homérique d’Achille et d’Athéna permet de reconnaître avec une rare clarté le mode et la nature de l’action divine. Mais la conviction que ce n’est pas seulement tout mode de pouvoir et de succès qui vient des dieux, mais que les pensées et les décisions de l’homme sont aussi leur œuvre, s’exprime partout sans équivoque chez Homère et ses successeurs. Ce n’est donc pas uniquement dans les phénomènes naturels ou dans les événements qui relèvent du destin, que se manifestent les dieux, mais également dans ce qui anime l’homme au plus intime de lui-même et décide de son attitude et de son action.

Au sein d’un monde peuplé de dieux, l’homme grec ne regarde pas vers l’intérieur afin d’y trouver l’origine de ses impulsions et de ses responsabilités. Il porte bien plutôt son regard dans la grandeur de l’être, et là où nous parlons de réflexion et de volonté, il rencontre partout les réalités vivantes des dieux. Les psychologues, dont les notions sont tout à fait empêtrées dans l’étroitesse de l’existence, en tirent la conclusion bornée que l’homme d’alors n’avait point encore découvert la profondeur de sa vie intérieure et spirituelle. Mais la vérité est qu’il était préservé du funeste et pernicieux miroir de soi (qui est même, à présent, devenu une science) grâce à l’expérience vivante de ce qui est objectif, des dieux qui portent tout l’être en eux. D’où la tournure d’esprit propre à Homère, comme d’ailleurs à tous les grands esprits de la Grèce. »

Walter Friedrich Otto, L’esprit de la religion grecque ancienne, Theophania, Pocket 2006.


Je posterai un commentaire personnel lorsque j'aurai plus de temps !

Cordialement

descriptionL'homme et ses dieux. - Page 2 EmptyRe: L'homme et ses dieux.

more_horiz
C'est en effet très intéressant. En attendant votre commentaire, j'en aurai deux à faire :

Les mythes [sont] plus que des images et des symboles pour des expériences que l'homme peut faire en tout temps : ils [sont] des manifestations de l'être, qui sont réservées à un moment du monde qui leur est propre.

Cela me fait penser à Charles Andler (Nietzsche, sa vie, son œuvre), pour qui les grands poèmes parlent de l'Être.


la conclusion bornée que l’homme d’alors n’avait point encore découvert la profondeur de sa vie intérieure et spirituelle.

Il m'avait semblé que justement, l'homme antique (et même bien avant celui de l'Antiquité) avait une vie spirituelle plus profonde que la nôtre, du fait que le monde n'était pas encore dominé par la technique.

descriptionL'homme et ses dieux. - Page 2 EmptyRe: L'homme et ses dieux.

more_horiz
Gisli a écrit:
quelques extraits tirés d'un petit livre splendide d'un auteur assez peu connu
Excellente référence Gisli. Walter Otto est absolument incontournable, un très grand connaisseur ; mais Wilamowitz, qui tirait toutes les ficelles de l'Académie de Berlin, ne l'a jamais adoubé, le condamnant à passer quasiment inaperçu, sauf auprès des spécialistes. Son Dionysos, chez Tel Gallimard, est de même facture.

Liber a écrit:
la conclusion bornée que l’homme d’alors n’avait point encore découvert la profondeur de sa vie intérieure et spirituelle.

Il m'avait semblé que justement, l'homme antique (et même bien avant celui de l'Antiquité) avait une vie spirituelle plus profonde que la nôtre, du fait que le monde n'était pas encore dominé par la technique.
C'est ce que dit implicitement Otto ici, en jugeant sévèrement l'illusion qui accompagne l'invention de la psychologie : celle d'une vie intérieure enfin mise au jour. Sa remarque rappelle ce qu'en dit Georg Lukács au début de sa Théorie du roman (Tel Gallimard également).


Dernière édition par Euterpe le Lun 31 Oct 2011 - 1:31, édité 1 fois

descriptionL'homme et ses dieux. - Page 2 EmptyRe: L'homme et ses dieux.

more_horiz
Voici ce que je voulais ajouter aux citations de Otto.

Il y eut et y aura toujours autant de « spiritualités » que de destins types. Le Rythme fait qu'à un instant « t » il y a telle proportion d'un type et telle d'un autre, etc., et ainsi peuvent s'opérer des convergences et des « égrégores ». Ainsi le concept de paganisme, bien que réactualisé, est bancal puisque l'on classe en son sein des types de religiosités très différentes voire même antinomiques. Au sein des recherches sur les indo-européens, certains utilisent même cet argument pour appuyer la théorie de l'invasion (je me sens pour ma part plus attiré par la théorie de Mario Alinéi), qui n'a que des bases linguistiques, non matérielles.

Tout cela pour dire qu'au sein de la Grèce d'Homère – et ailleurs – on peut déceler une forme de religiosité que notre époque, celle du règne des sciences et de la technique, devrait questionner. Mais notre civilisation ne semble plus avoir la force de se dépasser, ne sachant même plus qui elle est.

Cette forme de religiosité peut être abordée par exemple, je pense, par une méditation sur la racine de notre mot « dieu », ce qu'il en est de son expérience originaire. Deiwos, la racine indo-européenne qui a donné le mot dieu dans nos langues actuelles, se rattache à la lumière diurne ou du ciel. Mais dieu veut dire tout autre chose aujourd’hui. Je rapproche donc deiwos et théophanie comme dévoilement, alèthéia. Les dits d’Homère sont précisément des « dits », ils montrent et subliment le vrai et le réel que les Grecs ne séparaient pas, par delà subjectivisme et objectivisme, un être-au-monde holiste. Deiwos, comme théophanie, serait donc éclaircie.

Les Olympiens habitent le Ciel, les Mortels la Terre. L’esprit habite l’Éther comme champ de l’Ouvert et est à même de « voir » l’éclosion. En effet, chacun est bien sûr conscient que lorsqu'il pense – aussi bien pensée noétique que dianoétique – il ne pense pas avec ou au niveau de ses pieds ou de tout autre organe de son corps, il pense avec sa tête, et les pensées surgissent comme de l'Éther. Le Dasein heideggerien, le Là où il y a de l'être, est en tant que tel dans la capacité de percevoir l'être. L’Homme participe donc de la Terre et du Ciel et peut devenir le berger de l’être.

Plusieurs passages d'Homère mettent bien en évidence que la théophanie des Grecs de l’âge d’or n’est pas dualiste – ce qui la placerait dans la religion et la métaphysique – mais holiste car « scientifique » ou « phénoménologique ».

Physique et métaphysique ne s'opposent qu'à partir du moment où la physis n'est plus perçue telle qu'elle l'a été chez les Grecs, à partir du moment où l'Homme ne sait plus ce qu'est penser et le réel. Quand bien même il y aurait un monde métaphysique, il ne pourrait être autre que physique. Les bactéries aussi étaient de la métaphysique fut un temps, la physique quantique nous apprendra beaucoup de choses, j'en suis persuadé. À ce sujet : La nouvelle physique de l'esprit.

Sur la physis :
Heidegger a écrit:
« La φύσις conçue comme épanouissement (Aufgeben) peut être partout, par exemple dans les phénomènes célestes (lever (Aufgang) du soleil), dans la houle marine, dans la croissance des plantes, dans la sortie de l’animal et de l’homme du ventre de leur mère. Mais φύσις, la perdominance de ce qui s’épanouit, ne signifie pas seulement ces phénomènes que nous attribuons aujourd’hui encore à la « nature ». Cet épanouissement, ce se tenir-en-soi-vers-le-dehors, cela ne peut être considéré comme un processus observé, parmi d’autres, dans l’étant. La φύσις est l’être même, grâce auquel seulement l’étant devient observable et reste observable.

Les Grecs n’ont pas commencé par apprendre des phénomènes naturels ce qu’est la φύσις, mais inversement : c’est sur la base d’une expérience fondamentale poétique et pensante (dichtend-denkend) de l’être, que s’est ouvert à eux ce qu’ils ont dû nommer φύσις. Ce n’est que sur la base de cette ouverture qu’ils purent être à même de comprendre la nature au sens restreint. Φύσις désigne donc originairement aussi bien le ciel que la terre, aussi bien la pierre que la plante, aussi bien l’animal que l’homme, et l’histoire humaine en tant qu’œuvre des hommes et des dieux, enfin, et en premier lieu, les dieux mêmes dans le pro-de-stin. Φύσις désigne la perdominance de ce qui s’épanouit, et le demeurer (Währen) perdominé (durchwaltet) par cette perdominance. Dans cette perdominance qui perdure dans l’épanouissement se trouvent inclus aussi bien le « devenir » que « l’être » au sens restreint de persistance immobile. Φύσις est la venue au jour, < la pro-sistance > (Ent-stehen), le fait de s’é-mettre (sich herausbringen) hors du latent (das Verborgene), et par là de porter celui-ci à stance (in den stand bringen). »

Martin Heidegger, Introduction à la métaphysique, Tel Gallimard.


Bien entendu une telle approche du monde est lourde de conséquences d'un point de vue existentiel. On touche ici à la racine de tout destin : la question fondamentale, pourquoi y a-t-il de l'être et non rien ? Personne ne peut l'ignorer. Il existe par contre une multitude de conséquences.

« L’homme est une corde tendue entre la bête et le Surhomme, – une corde sur l’abîme. Il est dangereux de passer de l’autre côté, dangereux de rester en route, dangereux de regarder en arrière – frisson et arrêt dangereux. »

« C’est le pays de vos enfants qu’il vous faut aimer, et cet amour sera votre noblesse nouvelle – pays encore à découvrir, sur la mer la plus lointaine. [...] Celui qui est pleinement instruit des antiques origines finira par s’enquérir aussi des sources de l’avenir et des nouvelles origines. »

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.

« Cette vie-ci – ta vie éternelle ! »

Friedrich Nietzsche, Automne 1881.

descriptionL'homme et ses dieux. - Page 2 EmptyRe: L'homme et ses dieux.

more_horiz
Euterpe a écrit:
Walter Otto est absolument incontournable, un très grand connaisseur ; mais Wilamowitz, qui tirait toutes les ficelles de l'Académie de Berlin, ne l'a jamais adoubé, le condamnant à passer quasiment inaperçu, sauf auprès des spécialistes. Son Dionysos, chez Tel Gallimard, est de même facture.


La réception d'un penseur et son rayonnement ne tiennent pas à grand chose effectivement...
Son Dionysos, je compte bien me le prendre un jour !
privacy_tip Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
power_settings_newSe connecter pour répondre