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Que gagne-t-on à espérer ?

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gaz
Chalan
Desassocega
7 participants

descriptionQue gagne-t-on à espérer ? - Page 3 EmptyRe: Que gagne-t-on à espérer ?

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L'espoir est une chose essentielle à l'homme. Conscient de sa mortalité il lui permet de se projeter dans l'avenir et de lutter contre ses craintes, quand bien même leur objet se réalisera fatalement (la mort). Il est affaire de confiance. En ce sens, l'espoir est vital, il permet à l'homme de supporter le savoir de sa mort prochaine (et imprévisible) et de faire preuve d'imagination (poser ce qui n'est pas) et de créativité (de même que d'oubli) pour continuer à vivre et inventer des futurs autres qu'il peut réaliser. Cela signifie aussi que comme ouvertures au problème du temps et à celui de la mortalité, l'espoir et la crainte sont des conditions de possibilité pour l'homme d'inventer sa vie et de lui donner un sens (qui n'est possible que si mon futur est lui-même un horizon d'attente et peut lui-même posséder un sens ; si la vie était si terrible, si je ne pouvais espérer autre chose, si mon présent était dérisoire à l'égard de la mort annoncée, autant en finir tout de suite... autant réaliser mes craintes ! puisque de toute façon je vais mourir un jour - mais quand ? L'espoir permet aussi de vivre avec, malgré, en dépit de la mortalité).

L'espoir, ou l'espérance, n'est mauvais qu'en ceci que la crainte de la mort prédomine sur l'espoir et que cet espoir redoublé est placé dans un arrière-monde qui dévalue la vie au profit de la mort elle-même. Cela signifie que l'on place sa vie sous l'égide de la crainte et de la mort, et que par déni de cette mort l'espoir devient le véhicule de l'hétéronomie : ainsi, refusant la mort, je place mes espérances en un Dieu qui légitime l'Eglise (instance politique de domination), en des textes sacrés (qui donnent une réponse à tout) et en une morale (qui restreint ce que je peux). S'instaure donc une clôture du sens à laquelle je me soumets volontiers car dans mon espérance c'est la crainte qui me motive et j'en suis au bout du compte l'esclave. Et doublement esclave, puisque ce qui correspond à ma volonté d'être libéré (espérance) légitime une vie mortifiée et/ou hétéronome (asservie à la loi d'un autre, soumise à l'impératif de la mort ou d'un ordre, d'une sécurité, qui restreignent l'existence individuelle : par crainte de la mort on consent à se défausser de sa liberté propre pour servir et s'assujettir à ce qui paradoxalement nous semble protecteur et est en réalité la seule forme de violence en cette vie, comme si finalement on ne se rendait pas compte que c'est en se prémunissant de la mort qu'on la faisait entrer dans notre vie par sa soumission à différents pouvoirs la réduisant à une certaine passivité - c'est au nom de ce qui n'est pas, la mort ou le néant, recouverts par une idole, que l'on invente des dispositifs qui séparent notre vie de notre volonté propre, on ne se conduit plus selon la loi que l'on se donne, on ne se risque plus à vivre, à errer et commettre des erreurs).

En même temps, il est quasiment impossible d'accepter pleinement la mortalité et l'espérance religieuse peut parfois aider à vivre et à se prendre en main (à faire de sa vie ce que l'on veut et à s'en soucier). Mais alors il faut partir d'une conception de la foi qui laisse toute sa place au doute. C'est là seulement que l'on peut apprendre à vivre au bord de l'abîme. Dans ce jeu, ni la crainte ni l'illusion de l'espérance ne dominent absolument, les deux se compensent et permettent de vivre. Bien entendu, l'idéal serait de pouvoir vivre sans crainte et sans espérance, en se sachant mortel et en assumant sa propre existence. Mais vivre c'est aussi toujours se débrouiller avec l'imprévu, avec le réel, le singulier, sans qu'il y ait de guide ou de notice d'utilisation.

descriptionQue gagne-t-on à espérer ? - Page 3 EmptyRe: Que gagne-t-on à espérer ?

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Philippe Jovi a écrit:
gaz a écrit:
L'espoir est le moteur de l'homme. Mais il n'est pas le bonheur. Et à la limite, le fait d'arriver à se détacher de l'espoir est un fait qui nous rapprocherait un peu plus du bonheur.
En effet, l'espoir nous projette toujours dans un bonheur futur. Mais est-ce que le bonheur est une expectative de... ?
"L'espoir fait vivre !" oui, c'est un fait ! Car l'espoir nous empêche d'être victimes du temps. Il nous fait avancer positivement puisqu'il nous
pousse vers un certain bonheur conscient.
Au final, se poser la question de savoir si l'espoir est bonheur revient à se demander si la notion de bonheur est une notion de continuité dans le temps, ou bien est-ce une notion de l'instant présent ?

Peut être cela dépend-t-il des personnes et des tempéraments ?

Vous appelez ça de la philosophie ?

Voici un texte que j'avais conservé dans mes archives, tout à fait dans le fil de ces questionnements :
Bonheur, espoir et vertu

Si le désir est manque, presque toujours, c'est qu'il est temporel : le désir est manque à chaque fois qu'il se fait espérance. On ne peut concéder à Platon que tout désir soit manque. C'est au contraire le propre de toute action, et de tout plaisir actif, que d'accomplir un désir qui, au présent, ne manque de rien. Agir, c'est satisfaire un désir qui n'est pas un manque mais, et dans l'acte même, une puissance. Cela n'interdit nullement d'y trouver du plaisir.

Au contraire, dirait Aristote (Éthique à Nicomaque, VII, VIII-xv et X, IV ; Métaphysique, θ), car le plaisir est alors à la fois en acte (il est puissance de jouir, dirions-nous, mais non jouissance en puissance) et en repos (puisque rien ne lui manque ou ne le trouble) : c'est l'acte parfait (energeia), que le plaisir accompagne et parachève (le même acte, sans plaisir, serait imparfait). Ce que Platon dit du désir (qu'on ne désire que ce dont on manque) est donc vrai, non du désir en acte (comme puissance de jouir), mais du désir en attente (comme jouissance en puissance) : non du désir, mais de l'espérance !
Je peux bien, écrivant, désirer écrire, me promenant, désirer me promener – et désirer non d'autres mots ou d'autres pas, mais ceux-là mêmes qu'à l'instant je trace ou fais. C'est même nécessairement ce qui se passe, dans toute action (on ne peut écrire ou se promener sans le vouloir, ni le vouloir sans le désirer), et c'est l'action même, et le plaisir de l'action : le plaisir en acte dans l'acte même ! En revanche, je ne peux espérer écrire ce que j'écris ou faire le pas que je fais : je ne peux espérer tout au plus que les mots ou les pas à venir. Or cela, Platon a raison, n'est jamais acquis (je peux rester bloqué devant une page blanche, renoncer devant l'averse ou la fatigue...) ni présent (nul jamais n'écrira un mot à venir, ne fera un pas à venir...). On n'espère que l'avenir, on ne vit que le présent : entre les deux s'engouffre le manque, où ils s'engouffrent.

C'est pourquoi le bonheur est manqué, non du fait du désir (que le bonheur, au contraire, suppose), mais du fait de l'espérance. Nul peut-être n'a mieux vu la chose, en tout cas en Occident, que les stoïciens. L'espérance (qu'ils appellent parfois désir [epithumia], mais en précisant qu'il s'agit d'un désir portant sur l'avenir) est une passion, c'est-à-dire, dans leur langage, un mouvement déraisonnable de l'âme qui s'éloigne de la nature. Le sage ne saurait la ressentir. Il vit au présent et rien ne lui manque : qu'irait-il espérer ? Est-ce à dire qu'il soit sans désir ? Au sens où nous l'entendons, point du tout. Mais son désir ne porte que sur le réel ou le présent (présent qui n'est pas un instant mais une durée), soit pour s'en réjouir, quand il ne dépend pas de lui, soit pour l'accomplir, quand il en dépend.
Ce dernier désir (désir d'un bien présent qui dépend de moi), les stoïciens lui donnent le nom, qui est le sien, de volonté. C'est la puissance d'agir. Elle est au sage ce que l'espérance est aux fous, et son rapport privilégié au bonheur. Puisque le sage veut tout ce qui arrive, tout arrive comme il veut ; il est donc heureux toujours sans espérer jamais. Qu'irait-il espérer, d'ailleurs, puisqu'il est heureux ? Et comment ne le serait-il pas, puisqu'il n'espère rien ? La notion de volonté, telle que les stoïciens la pensent, nous conduit à la morale. On reproche souvent au bonheur d'être immoral, soit parce qu'il serait égoïste, soit parce qu'il dissuaderait d'agir. Les deux reproches vont d'ailleurs de pair. « S'il n'espère rien, dira-t-on, si rien ne lui manque, le sage restera inactif.

Qu'en est-il alors du malheur ou de l'injustice ?... » C'est confondre à nouveau l'espérance et la volonté. Loin qu'on ne veuille jamais que ce qu'on espère (comme s'il fallait espérer d'abord pour vouloir !), on n'espère, au contraire, que là où l'on est incapable de vouloir. Ainsi espère-t-on le beau temps, parce que l'on n'y peut rien. Mais qui, quand il en est capable, espérerait agir ? La volonté ne fait qu'un avec l'acte (vouloir sans agir, ce n'est pas vouloir) ; elle ne saurait donc s'identifier à l'espérance, qui suppose au contraire que l'acte n'ait pas lieu ou ne soit pas en notre pouvoir. Le paralytique peut bien espérer marcher ; pour l'homme sain, sa volonté lui suffit. C'est en quoi toute espérance est passive (on n'espère jamais ce qu'on fait, on ne fait jamais ce qu'on espère), et toute action, en quelque chose, désespérée. « J'espère guérir », dit le malade ; « j'espère être reçu à mon examen », dit l'étudiant ; « j'espère que nous allons gagner les élections », dit le militant... C'est que cela ne dépend pas seulement de leur volonté.
Le problème n'est plus d'espérer, alors, mais de vouloir. On dira qu'on se soigne parce qu'on espère guérir, qu'on travaille, qu'on milite parce qu'on espère le succès ou la victoire... Sans doute est-ce ainsi que l'on imagine la chose, mais c'est notre part d'impuissance ou d'ignorance. La vérité, c'est qu'on se soigne, qu'on travaille ou qu'on milite non parce qu'on espère ceci ou cela (d'autres espèrent la même chose, qui ne le font pas), mais parce qu'on le veut.

Peut-on agir, pourtant, sans espérer ? Oui, répondent les stoïciens, et c'est ce qu'on appelle la vertu. La vertu, rapporte Diogène Laërce (VII, 89), est en effet « adoptée pour elle-même, non point par crainte ni par espoir », et c'est ce que Kant au fond confirmera. Agir dans l'espoir de quelque chose (fût-ce de la vertu), ce n'est pas agir vertueusement.

La vertu, comme le bonheur, est désespérée : là où est le souverain bien, disait Sénèque (De la vie heureuse, xv), il n'y a accès « ni à l'espoir ni à la crainte ». Il est donc vain d'espérer la vertu (puisqu'elle ne dépend que de notre volonté) et triste d'espérer le bonheur (puisque cela suppose qu'on ne l'a pas).
Bonheur et vertu, loin de s'opposer, se rejoignent : ils sont le triomphe de la volonté sur l'espérance, et c'est en quoi aussi ils sont liberté. Le sage fait tout ce qu'il veut puisqu'il veut (et ne veut que) tout ce qu'il fait. « Ne rien attendre, disait Marc-Aurèle, ne rien fuir, mais te contenter de l'action présente... » (Pensées, III, 12). Comment ne serait-elle pas bonne, cette action, puisqu'on ne fait jamais le mal que dans l'espoir d'un bien, et le bien, moralement parlant, qu'à la condition de n'en rien espérer ? Est-ce possible ? Les stoïciens eux-mêmes en doutaient ; mais ils ont tracé la voie, où chacun au moins peut cheminer : espérer un peu moins, vouloir un peu plus... C'est le présent de vivre. Et sans doute n'est-ce pas la même chose de trouver son bonheur dans la vertu (comme le stoïcien) ou sa vertu dans le bonheur (comme l'épicurien) ; il reste que pour le sage l'un ne va pas sans l'autre, et c'est à quoi on le reconnaît.

Alors j'ajouterais que si espérer revient à  priver l'homme de sa liberté, peut-être devrait-il aller au delà de l'espérance, et s'impliquer davantage dans ses projets : aspirer à un monde meilleur... aspirance, je viens de créer le dernier néologisme du dictionnaire existentialiste. ;)

Est-ce un de vos textes ? Si ce n'est pas le cas, merci d'indiquer la source. (Silentio)

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Je n'ai pas pu indiquer la source dans la mesure où il s'agit d'un résumé que j'avais fait et conservé, issu d'un article trouvé sur le net, d'une revue de philosophie dont je n'ai pas retrouvé trace (article original écrit par un professeur d'université).

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C'est un article écrit par André Comte-Sponville pour l'Encyclopédie Universalis : "Le bonheur". Et il s'agit sans doute plus que d'un résumé, puisque le premier paragraphe de la citation est conforme au texte de l'article - je n'ai pas encore lu la suite.

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Ah, merci pour l'auteur et le titre de cet article, dont j'avais gardé cet extrait.
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