Voici quelques extraits de l'Introduction à la métaphysique de Heidegger (tel gallimard, trad. Gilbert Kahn), à partir desquels ceux qui le souhaitent peuvent poursuivre la discussion avec cohérence.

Heidegger, Introduction à la métaphysique a écrit:
Depuis l'origine de la question sur l'étant, la question sur le non-étant, sur le néant, va de pair avec elle. Et ceci non pas seulement d'une façon extérieure, ce n'est pas un phénomène d'accompagnement ; il faut dire au contraire que la question sur le néant prend forme selon l'ampleur, la profondeur et l'authenticité (Ursprünglichkeit) selon lesquelles, à telle ou telle époque, la question sur l'étant est demandée ; et réciproquement. La manière de questionner sur le néant a la fonction d'un instrument de mesure et d'un indice pour la manière de questionner vers l'étant.

p. 36

Pour ce faire il faut se libérer de la logique et de la science :
On considère en effet un peu vite comme accordé que la logique et ses règles fondamentales peuvent fournir un critère pour la question sur l'étant comme tel. Il pourrait se faire au contraire que toute la logique connue de nous, et traitée comme un don du ciel, eût son fondement dans une certaine réponse bien déterminée à la question vers l'étant, de sorte que, par là, toute pensée qui obéirait simplement aux lois de la logique traditionnelle, serait d'emblée hors d'état même, d'une façon générale, de comprendre la question sur l'étant, pour ne rien dire de son incapacité à la développer réellement et à la conduire vers une réponse. En réalité, il n'y a qu'une apparence de rigueur scientifique à invoquer le principe de non-contradiction, et d'une façon générale, la logique, dans l'intention de prouver qu'il est contradictoire, et par suite dépourvu de sens, de penser et de parler sur le néant. « La logique  » est tenue ici pour un tribunal institué de toute éternité et à tout jamais, dont bien entendu aucun homme raisonnable n'aura l'idée de mettre en doute la compétence comme première et dernière instance. Celui qui parle contre la logique est donc soupçonné, tacitement ou nommément, d'être dans l'arbitraire. De ce simple soupçon on fait déjà une preuve et une objection, et on se tient quitte de toute méditation authentique qui aille plus loin.

p. 37

La pensée. Réductible à la logique ? Voire.

Il est certain qu'on ne peut parler et débattre sur le néant comme si c'était une chose telle que sont la pluie là-bas dehors, ou une montagne, ou en général un objet quelconque. Le néant reste fondamentalement inaccessible à toute science. Celui qui veut parler véritablement du néant doit nécessairement être non-scientifique. Mais ceci ne demeure un grand malheur qu'aussi longtemps qu'on estime que la pensée scientifique est la seule pensée rigoureuse à proprement parler, et que, pour le penser philosophique également, elle peut et doit constituer le seul critère. C'est l'inverse qui est vrai. Le penser scientifique n'est jamais qu'une forme dérivée, et, en tant que telle, durcie, du penser philosophique. La philosophie ne prend jamais naissance à partir de la science, ni grâce à la science. La philosophie ne se laisse jamais coordonner avec les sciences. Elle leur est bien plutôt pré-ordonnée, et cela non pas seulement « logiquement » ou dans un tableau du système des sciences. La philosophie se trouve dans un tout autre domaine et à un tout autre rang de l'existence spirituelle. Seule la poésie est du même ordre que la philosophie et le penser philosophique. Mais la création poétique et le penser ne sont pas identiques pour autant. Parler du néant restera toujours pour la science une abomination ou une absurdité. En revanche, outre le philosophe, le poète peut le faire. Et cela non point à cause d'une rigueur moindre qui, selon le sens commun, serait le lot de la poésie, mais bien parce que dans la poésie (celle qui est authentique et grande) règne une essentielle supériorité de l'esprit par rapport à tout ce qui est purement science. Supériorité en vertu de laquelle le poète parle toujours comme si l'étant était pour la première fois exprimé et interpellé. Dans la création poétique du poète comme dans le penser du penseur, de si grands espaces se trouvent ménagés que, y étant placée, chaque chose particulière - un arbre, une montagne, une maison, un cri d'oiseau - perd totalement son caractère indifférent et habituel.

Le véritable parler ayant trait au néant reste toujours inhabituel. Il est rebelle à toute vulgarisation. Bien entendu il s'évanouit si on le soumet à l'acidité à bon marché d'une intelligence seulement logique. Par suite, le dire ayant trait au néant ne peut jamais non plus commencer immédiatement comme par exemple la description d'un tableau. On peut toutefois donner des indications sur la possibilité d'un tel dire ayant trait au néant. [...].

p. 37-38.

[...]. [L']étant, en tant qu'il est cet étant et qu'il est de telle manière, pourrait aussi ne pas être. Cette possibilité, nous n'en faisons nullement l'expérience comme de quelque chose que nous ajoutions, nous, par notre pensée, c'est l'étant lui-même qui manifeste cette possibilité, il se manifeste en tant que tel en cette possibilité.

p. 41.

Il s'agit seulement de ne pas se laisser séduire par des théories hâtives, et de faire, dans ce qui est le plus proche, quoi que ce soit, l'expérience des choses telles qu'elles sont. Ce morceau de craie que je tiens, est une chose étendue, relativement solide, d'une forme déterminée, d'un blanc grisâtre, et, outre tout cela, avec tout cela, une chose pour écrire. Or, du fait même qu'il appartient à cette chose de se trouver ici, il lui appartient également de pouvoir ne pas être ici et ne pas être de cette grandeur. La possibilité d'être tenu et de s'user le long du tableau n'est pas un ajout à la chose même par la pensée. La chose même, en tant que cet étant-ci, se trouve dans cette possibilité, sinon ce ne serait pas de la craie en tant qu'outil pour écrire. C'est ainsi que tout étant, chacun à sa manière propre, a un tel possible auprès de soi. Ce possible appartient à la craie. Elle-même a en elle-même une qualification déterminée pour un usage déterminé. Nous sommes certes accoutumés et enclins à dire, en recherchant ce possible dans la craie, que nous ne voyons ni ne touchons rien de tel. Mais ceci est un préjugé. Il appartient à notre question*, dans son développement, de dissiper ce préjugé. Pour le moment, cette question a seulement à mettre à découvert l'étant dans son vacillement entre être et non-être. En tant que résistant à l'ultime possibilité du non-être, il se tient lui-même dans l'être sans pour cela avoir dépassé ni surmonté la possibilité du non-être.

*Pourquoi donc y a-t-il l'étant et non pas plutôt rien ? - C'est la question qui ouvre le livre et le premier chapitre  : "La question fondamentale de la métaphysique".

pp. 41-42.