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descriptionRemarque de Berkeley sur le langage. EmptyRemarque de Berkeley sur le langage.

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Bonjour,
J'ai lu un texte de George Berkeley, tiré du livre Principes de la connaissance humaine, et j'ai rencontré quelques problèmes à la compréhension du texte. Pour être plus clair je vais citer le passage :

Berkeley a écrit:
J'invite le lecteur à réfléchir et à consulter, pour voir s'il n'arrive pas souvent, quand il écoute ou lit un discours, que les passions de la crainte, de l'amour et de la haine, de l'admiration, du mépris, ou d'autres encore, naissent immédiatement dans son esprit à la perception de certains mots, sans que les idées s'interposent. Au début, sans doute, les mots peuvent avoir occasionné les idées propres à produire ces émotions ; mais on trouvera, si je ne me trompe, qu'une fois le langage devenu familier, l'audition des sons ou la vue des lettres sont souvent immédiatement accompagnées des passions qui, au début, avaient coutume d'être produites par l'intervention d'idées, maintenant complètement omises.


Voilà, j'aimerais que l'on m'aide un peu à comprendre le sens de ce passage.

descriptionRemarque de Berkeley sur le langage. EmptyRe: Remarque de Berkeley sur le langage.

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Ce que veut dire Berkeley, c'est que si tous les mots sont le produit d'idées qui ont permis de les forger et qu'ils permettent de fixer (un mot est un concept, la plupart du temps), l'habitude que nous avons d'employer des mots, toujours les mêmes, pour dire les choses, fait que nous ne prêtons plus du tout attention à ceci qu'ils sont la synthèse d'idées ou d'observations antérieures, etc. Un exemple simple. Le verbe indiquer est de la même famille que index. Or c'est avec l'index que traditionnellement on montre quelque chose, qu'on la signifie (faire signe vers). Bref, on a tendance à chosifier les mots, en ne réfléchissant pas à ceci qu'ils sont les signes de quelque chose (le référent) à quoi ils renvoient. En quelque sorte, on parle souvent comme si la langue était une langue morte. On peut prendre un autre exemple, non plus sémantique ou sémiotique, mais logique : le mot chien est le concept du chien, il est une généralité (cf. l'économie du langage) qui permet de désigner n'importe quel chien particulier. Ainsi, si je vois un berger allemand dans une rue, et que je vois un caniche dans une autre, je ne m'affole pas : je sais que dans l'un et l'autre cas particuliers, il s'agit de chiens. C'est si automatique qu'on oublie que le mot chien est une invention (une convention), pas une émanation de l'animal qu'il est censé désigner ; c'est si automatique qu'on n'entend plus le mot chien quand on le prononce, il ne nous sert que de déclencheur. C'est devenu un signal, quand il s'agit en fait d'un signe. Mais la diversité des langues devrait nous interpeller. Autrement dit, ce que je dis de quelque chose n'est pas d'emblée ni nécessairement la chose même (cf. le Sophiste). Dès lors, puisqu'on ne peut pas se passer du langage, il faut bien s'y prendre d'une certaine manière quand on veut l'employer (cf. le more geometrico chez Spinoza, etc.). Le philosophe ne peut parler comme le premier venu, ni le poète, etc. Comme disent les sémioticiens, ce qu'on dit tient à la manière dont on le dit (communication), beaucoup plus qu'au simple fait de le dire.

Cf. d'une manière générale les fonctions du langage (injonctif, informatif/cognitif, etc.). Dire quelque chose, c'est produire un effet. L'information essaie de réduire ces effets au minimum, quoiqu'il soit impossible de les annuler. Le poète et le politique cherchent à émouvoir, à séduire, etc. Comment ? En employant les mots d'une manière inédite, neuve, qui étonne, de sorte qu'on se met à réentendre les mots. Ils sonnent à nouveau.

descriptionRemarque de Berkeley sur le langage. EmptyRe: Remarque de Berkeley sur le langage.

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Merci beaucoup. Je comprends mieux ce que Berkeley a cherché à dire.

Cependant, juste après, il écrit :
Berkeley a écrit:
Ne suffit-il pas qu'on nous menace d'un danger pour provoquer en nous une crainte, quoique nous ne pensions à aucun mal en particulier susceptible de nous atteindre et que nous ne forgions pourtant aucune idée de danger dans l'abstrait ? Même les noms propres ne paraissent pas toujours prononcés à dessein de présenter à notre vue des idées de personnes qu'ils sont censés désigner. Par exemple, quand un scolastique me déclare qu' "Aristote l'a dit ", tout ce que je concois qu'il entend par là, c'est de me disposer à embrasser son opinion avec la déférence et la soumission que la coutume a attachées à ce nom.
Je n'ai pas compris non plus ce passage. Pouvez-vous me l'expliquer s'il vous plaît ?

descriptionRemarque de Berkeley sur le langage. EmptyRe: Remarque de Berkeley sur le langage.

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Damien15 a écrit:
Cependant, juste après, il écrit :
Berkeley a écrit:
Ne suffit-il pas qu'on nous menace d'un danger pour provoquer en nous une crainte, quoique nous ne pensions à aucun mal en particulier susceptible de nous atteindre et que nous ne forgions pourtant aucune idée de danger dans l'abstrait ? Même les noms propres ne paraissent pas toujours prononcés à dessein de présenter à notre vue des idées de personnes qu'ils sont censés désigner. Par exemple, quand un scolastique me déclare qu' "Aristote l'a dit ", tout ce que je concois qu'il entend par là, c'est de me disposer à embrasser son opinion avec la déférence et la soumission que la coutume a attachées à ce nom.

Je n'ai pas compris non plus ce passage. Pouvez-vous me l'expliquer s'il vous plaît ?

Dans le premier exemple, il dit que la crainte qui n'est pas motivée par un objet ou un motif précis, par quelque chose de réel, est une crainte vague, qui fonctionne à vide : elle n'est pas la crainte de quelque chose en particulier, qu'on pourrait connaître ou vérifier ("nous ne pensons à aucun mal en particulier"). Bref, ce qui déclenche la crainte tient souvent à l'ignorance où nous sommes des choses qui nous entourent et qui peuvent nous concerner. Exemple : l'armée américaine, en 1991, envahit l'Irak ; des tas de Français, à Glandage, Pisse-en-l'air ou Plurien, se ruèrent dans les magasins pour acheter de la nourriture en grande quantité, de quoi tenir des mois, voire des années. L'événement fut le déclencheur, mais le comportement était irrationnel, sans objet, sans motif réel. La crainte est souvent le signe d'une ignorance.

Il applique l'exemple à une manière scolastique (cf. le moyen âge) de pratiquer la philosophie, qui consistait souvent à utiliser ce qu'on appelle un argument d'autorité, en la personne d'Aristote par exemple, pour signaler qu'on disait la vérité. Cette habitude dispense de vérifier par soi-même ce qu'a vraiment dit tel ou tel auteur, dispense aussi de réfléchir, de connaître par soi-même de quoi il s'agit. Si on parle de quelque chose, et qu'on dit : "Aristote a dit ça" (sous-entendu, vu l'autorité d'Aristote, il avait sans doute raison, il disait sans doute la vérité), on se dispense de réfléchir par soi-même, de reconsidérer la question, quitte à tomber d'accord avec Aristote ou découvrir qu'il disait vrai. L'argument d'autorité est donc souvent le signe d'une ignorance et il peut même l'encourager. Aristote a dit que les bananes sont jaunes ? Bon, très bien, les bananes sont jaunes. Oui, mais moi qui vois des bananes vertes ? Je dois me taire : Aristote, parce qu'il est Aristote, dit la vérité ; si Aristote est Aristote, alors Aristote, c'est la vérité.

Revenez au langage : nous employons les mots comme si nous les connaissions (cf. l'habitude qu'on en a), mais sans savoir ce qu'ils signifient, à quoi ils renvoient, quelles idées ou expériences ont permis de les forger, etc. Pour Berkeley, la question est : de quoi parlons-nous quand nous parlons ? Pour le savoir, il faut savoir avec quoi nous parlons quand nous parlons.

Bref, si vous êtes en terminale, votre texte est sans doute choisi pour retrouver certaines caractéristiques de la philosophie : réfléchir, s'étonner, penser par soi-même, faire usage de sa raison. Si je ne sais pas ce qu'est ce avec quoi je dis quelque chose, comment pourrais-je connaître ce quelque chose ? On retrouve cette question philosophique que posait déjà Platon. Pour connaître l'être, il faut s'interroger sur le langage, autrement dit sur ce que c'est que dire l'être. Dire l'être, ça détermine la question de l'être.
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