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Les libertins : hédonistes ou épicuriens ?

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3 participants

descriptionLes libertins : hédonistes ou épicuriens ?  EmptyLes libertins : hédonistes ou épicuriens ?

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Bonjour à tous.

Au XVIIIe siècle, le mouvement libertin connaît son apogée si l'on peut dire. On a souvent tendance, pour caser les libertins dans une catégorie, à user de mots à leur égard comme "hédoniste" ou encore "épicurien". Mais est-ce vraiment le cas ?

Bien sûr, si l'on prend ces deux termes dans un sens très large, on peut en arriver à ceci : la recherche du plaisir. En ce cas on pourrait assimiler les libertins à des hédonistes épicuriens. Mais l'hédonisme et l’épicurisme ne se réduisent-t-ils qu'à cela ? Les libertins tel Valmont peuvent-ils être considérés ainsi ?

Pour parler d'hédonisme, je me réfère le plus souvent à Aristippe, qu'on peut considérer comme le fondateur de la doctrine hédoniste. L'hédonisme, contrairement à ce qu'on pourrait croire, ne se limite pas à la recherche du plaisir, loin de là. Car pour lui, le plaisir est d'abord dicté par une certaine intelligence. Le but n'est pas de céder à tous les plaisirs. La débauche corporelle et l’orgie dans lesquelles se diluent la conscience, la raison, n’intéressent pas plus Aristippe que Platon.

Pour l’épicurisme, c'est assez proche mais toutefois différent. Épicure condamne les désirs qu’il trouve aliénants, entravant l’esprit  et empêchant la liberté et la sérénité. Il crée ainsi une doctrine très rigoureuse. Un plaisir présent qui entraînerait une peine future doit être rejeté ; une peine présente qui entraînerait un plaisir futur doit être acceptée.
A noter que pour Épicure, les plaisirs les plus grands sont du côté de l'âme, et non du corps.

Qu'en est-il donc des Libertins. Que sont-ils ?
Je pense que l'on peut dire que les libertins sont Hédonistes. Car le plaisir brut, sans "intelligence" ne les intéresse pas non plus. Le but des libertins n'est pas le plaisir. Mais le plaisir sublimé par l’intelligence et la séduction.
Mais je ne pense pas qu'on puisse dire des libertins qu'ils soient épicuriens. Car s'ils étaient épicuriens, ils arrêteraient leurs petits jeux. Pour prendre l'exemple de Valmont, on voit que son libertinage lui cause bien du tort. Et sa recherche du plaisir l'entraîne dans bien des souffrances, ce qu'un épicurien rejetterait.

descriptionLes libertins : hédonistes ou épicuriens ?  EmptyRe: Les libertins : hédonistes ou épicuriens ?

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Le libertin n'est à mon avis pas un hédoniste dans le sens où le pense Onfray (je crois savoir que vous vous référez à lui sans le dire ;) ). Le libertin se rapproche bien davantage de la philosophie de Nietzsche, c'est-à-dire un homme très vigoureux, volontiers sanguin, à qui des repas pantagruéliques et des charretées de femme à satisfaire ne font pas peur. Le genre à se réveiller frais comme un gardon le lendemain, prêt à reprendre sa débauche de la veille. Et non pas un gourmet du plaisir, pesant sur une balance les conséquences du moindre de ses excès. Du reste, si Aristippe fricotait avec Denys, il a dû profiter largement de son hospitalité, des "bonnes choses de la vie", selon l'expression.

Onfray a bien identifié que le plaisir avait sa contrepartie, purement physique, qui est simplement la dépense d'énergie, l'usure inévitable du corps. Sa solution est donc d'en profiter à petites doses. On peut dire que c'est le contraire du libertinage, qui est de la débauche assumée et même revendiquée, avec si possible un supplément de danger, voire de perversité, pour pimenter le tout. Le libertin a de plus, par rapport à Epicure, l'avantage de posséder un aiguillon supplémentaire à sa débauche : le christianisme. Par sa recherche de pureté, par sa menace des pires châtiments, le christianisme spiritualise le plaisir, il lui donne cette grandeur sans laquelle il ne serait que simple débauche. Par son ambiguïté, il a donné l'art de la Renaissance, que n'approche pas l'art païen. L'Italien de la Renaissance a osé combiner pureté virginale et beauté du corps, délires de la chair et délires d'un Savonarole, le tout résumé en Michel-Ange. L'Italien a cherché à se distraire en mêlant art, plaisir et danger. Je crois néanmoins qu'il a été précédé par Frédéric II de Hohenstaufen.

Nietzsche a repris dans sa philosophie l'idéal qui animait ces grandes figures historiques, mais, très peu sensuel lui-même, il n'en a gardé que la nostalgie de leur formidable énergie, préférant avec les femmes les joies de la conversation à celles de la chair.

descriptionLes libertins : hédonistes ou épicuriens ?  EmptyRe: Les libertins : hédonistes ou épicuriens ?

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Le libertin n'est à mon avis pas un hédoniste dans le sens où le pense Onfray (je crois savoir que vous vous référez à lui sans le dire

C'est sûr que pour Onfray, ce ne sont pas des hédonistes. Mais je ne me référais pas spécialement à lui
Il me semble que pour lui, les vrais libertins sont par exemple Cyrano de Bergerac, mais je ne suis pas vraiment d'accord avec lui...

Du reste, si Aristippe fricotait avec Denys, il a dû profiter largement de son hospitalité, des "bonnes choses de la vie", selon l'expression.



On peut dire que c'est le contraire du libertinage, qui est de la débauche assumée et même revendiquée

Je ne sais pas si on peut vraiment parler de débauche... Les libertins sont tout de même très raffinés et subtils dans leur recherche du plaisir je trouve...

Le libertin a de plus, par rapport à Épicure, l'avantage de posséder un aiguillon supplémentaire à sa débauche : le christianisme. Par sa recherche de pureté, par sa menace des pires châtiments, le christianisme spiritualise le plaisir, il lui donne cette grandeur sans laquelle il ne serait que simple débauche.

Je n'avais pas pris cela en compte, mais vous avez raison, cela change bien des choses !

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aristippe de cyrène a écrit:
Les libertins sont tout de même très raffinés et subtils dans leur recherche du plaisir je trouve...

Ça dépend lesquels et de quelle époque. On ne retient que le libertinage du XVIIIe siècle (libertinage de mœurs). A tort. Outre qu'on ne sait pas encore grand-chose du libertinage (il faudrait remonter à Calvin, d'une manière générale cf. la mise au point de Jean-Pierre Cavaillé), une chose paraît évidente, quand on lit les poètes du Parnasse satyrique, c'est que les libertins du XVIIIe font pâle figure à côté de leurs devanciers des XVIe XVIIe siècles :

Théophile a écrit:
Phylis tout est f(ou)tu, je meurs de la vérole,
Elle exerce sur moi sa dernière rigueur,
Mon vit baisse la tête et n'a point de vigueur,
Un ulcère puant a gâté ma parole.

J'ai sué trente jours, j'ai vomi de la colle ;
Jamais de si grands maux n'eurent tant de longueur,
L'esprit le plus constant fût mort à ma langueur,
Et mon affliction n'a rien qui la console.

Mes amis plus secrets ne m'osent approcher,
Moi-même en cet état je ne m'ose toucher,
Philis le mal me vient de vous avoir f(ou)tue.

Mon Dieu je me repens d'avoir si mal vécu ;
Et si votre courroux à ce coup ne me tue,
Je fais vœu désormais de ne foutre qu'en cul.

1622.

En guise de raffinement et de subtilité, on a fait mieux, quand même. Mais c'était surtout de la provocation, et le recueil vaut vraiment la peine d'être lu, car on y trouve bien des choses sur la conception matérialiste de la nature, sur l'innocence des anciens face à la morale chrétienne, etc. Les libertins du XVIIIe pouvaient se permettre de raffiner, car le libertinage était alors devenu presque banal. On ne risquait plus sa vie, ou si peu, à s'y adonner. Et puis, philosophiquement, il avait beaucoup perdu de sa consistance. Les libertins des XVIe et XVIIe siècles prônent une morale libérée des dogmes chrétiens, beaucoup plus pragmatique, en adéquation avec la nature. Ils sont matérialistes. Ils préparent Condillac. En France, Gassendi est vraiment instructif à cet égard, et plus intéressant que Descartes, d'une manière générale.


Dernière édition par Euterpe le Ven 29 Juil 2016 - 17:06, édité 1 fois

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Casanova aurait pu partager ses idées de régime à Théophile. Dès qu'il avait attrapé une maladie vénérienne, il faisait un régime qui dit-il a toujours fonctionné. Ce n'est que sous les piombi de Venise, où il fut emprisonné pour débauche, que s'étant trop retenu d'aller aux selles, comme on disait alors, il attrapa des hémorroïdes qui le faisaient encore souffrir à la fin de sa vie, quand il écrivit ses Mémoires. Mais Casanova était chrétien et bon croyant. Il n'était pas du genre Don Juan, à défier le Ciel et la Terre. Le libertinage n'aurait jamais été possible sans la chape de plomb de l'Église. On parlerait alors de Gai Savoir, comme ces seigneurs de Provence qui rendaient nostalgique Stendhal. Sans cette nuance de regret, cette petite pointe d'angoisse de se mettre en tort devant Dieu, on en reviendrait aux plaisirs de l'Antiquité, où la seule limite à la débauche était de faire du tort à la cité.
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