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descriptionLe déterminisme de Spinoza est-il scientifique ? EmptyLe déterminisme de Spinoza est-il scientifique ?

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Jusqu'à présent, à ma connaissance, je n'ai pas vu une seule critique valide à l'encontre du déterminisme universel que propose Spinoza.
Or si on se réfère à la définition de Karl Popper sur les sciences, qui consiste à dire que l'essence de la science est sa falsifiabilité : « Le critère de la scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester » ; alors pouvons-nous dire que la thèse de Spinoza n'est pas scientifique étant donné qu'il n'existe aucune critique à son égard ?
Je vous propose ci-dessous quelques commentaires pour approfondir la réflexion.

Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, 1934 a écrit:
Les théories ne sont donc jamais vérifiables empiriquement [...]. Toutefois j’admettrai certainement qu’un système n’est empirique ou scientifique que s’il est susceptible d’être soumis à des tests expérimentaux. Ces considérations suggèrent que c’est la falsifiabilité et non la vérifiabilité d’un système qu’il faut prendre comme critère de démarcation. En d’autres termes, je n’exigerai pas d’un système scientifique qu’il puisse être choisi une fois pour toutes, dans une acception positive, mais j’exigerai que sa forme logique soit telle qu’il puisse être distingué, au moyen de tests empiriques, dans une acception négative : un système faisant partie de la science empirique doit pouvoir être réfuté par l’expérience.


Les sciences mettent en évidence des lois qui ne se contentent pas de dire ce qui est mais ce qui doit être. Cependant si la valeur prédictive d’une théorie est une condition nécessaire, elle n’est pas une condition suffisante pour la définir comme science. Selon Karl Popper, le critère de démarcation qui permet de distinguer les sciences des pseudos sciences c’est leur falsifiabilité.
Les pseudos sciences ont toujours réponse à tout. Karl Popper prend l’exemple de l’astrologie qui n’a pas de cesse de présenter des preuves fondées sur l’observation à l’appui de ses théories. Un horoscope a toutes les chances de se voir confirmer par l’expérience. Cependant le fait que ces prédictions se réalisent ne nous autorise pas à affirmer sa scientificité. Ce n’est donc pas la vérification expérimentale qui assure la scientificité d’une science mais au contraire, c’est la possibilité pour elle d’être réfutée ou infirmée par l’expérience.

Karl Popper, Conjectures et réfutations, « La croissance du savoir scientifique », 1963 a écrit:
Si ce sont des confirmations que l’on recherche, il n’est pas difficile de trouver, pour une grande majorité des théories, des confirmations ou des vérifications. Il convient de tenir compte de ces confirmations que si elles sont le résultat de prédictions qui assument un certain risque [...]. Toute mise à l’épreuve véritable d’une théorie par des tests constitue une tentative pour en démontrer la fausseté (to falsify) ou pour la réfuter.


Karl Popper critique la conception naïve de la science qui fige les connaissances scientifiques dans des certitudes absolues, laissant penser que la vérité scientifique établie pourrait être définitive.
Selon lui, une théorie n’est scientifique que si elle prend le risque d’être infirmée par un test expérimental. Par conséquent aucune théorie, même la plus parfaitement établie dans la communauté scientifique, n’est à l’abri d’une éventuelle réfutation ultérieure. Il faut donc considérer « toutes les lois ou théories comme hypothétiques ou conjecturales, c’est-à-dire comme des suppositions. » Ce qui signifie que les nouvelles théories ne sont que des approximations meilleures que celles qui les ont précédées. Par exemple, la théorie de la relativité d’Einstein contient celle de Newton en tant qu’approximation, cette dernière englobant à son tour celles de Kepler et de Galilée. Rien ne permet de penser que la théorie de la relativité ne sera pas un jour remise en question par une théorie au pouvoir explicatif plus grand, qui l’inclura comme une simple approximation.
Ainsi il demeure impossible d’établir de manière indubitable la vérité d’une théorie scientifique. Nous ne pouvons que nous approcher toujours plus de la vérité.

descriptionLe déterminisme de Spinoza est-il scientifique ? EmptyRe: Le déterminisme de Spinoza est-il scientifique ?

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Azyb a écrit:
Jusqu'à présent, à ma connaissance, je n'ai pas vu une seule critique valide à l'encontre du déterminisme universel que propose Spinoza.
Or si on se réfère à la définition de Karl Popper sur les sciences, qui consiste à dire que l'essence de la science est sa falsifiabilité : « Le critère de la scientificité d’une théorie réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester » ; alors pouvons-nous dire que la thèse de Spinoza n'est pas scientifique étant donné qu'il n'existe aucune critique à son égard ?


Votre question est intéressante, au moins parce qu'il se pourrait que le déterminisme spinozien constitue quelque chose comme un angle mort pour l'initiative de Popper. Deux remarques liminaires, cependant. D'abord, il importe de bien préciser que Popper, héritier de Kant en cela, adopte un point de vue criticiste. Il se définissait lui-même comme un rationaliste (rationalisme critique).** Il ne s'agit pas de rejeter complètement telle ou telle théorie, mais de la situer par rapport aux sciences empiriques. L'extrait ci-dessous le montre mieux encore :
Popper a écrit:
Un système doit être tenu pour scientifique seulement s'il formule des assertions pouvant entrer en conflit avec certaines observations. Les tentatives pour provoquer des conflits de ce type, c'est-à-dire pour réfuter ce système permettent en fait de le tester. Pouvoir être testé, c'est pouvoir être réfuté, et cette propriété peut donc servir, de la même manière, de critère de démarcation. Cette conception voit dans la démarche critique la caractéristique essentielle de la science. Le savant doit donc étudier les théories sous l'angle de leur aptitude à être examinées de manière critique […]. La théorie de Newton, par exemple, prédisait certains écarts par rapport aux lois de Kepler (en raison des interactions entre planètes), alors que ceux-ci n'avaient pas été observés. Elle s'exposait en conséquence à des tentatives de réfutation dont l'échec allait signifier le succès de cette théorie. La théorie einsteinienne a été testée de manière analogue. Et de fait, tous les tests effectifs constituent des tentatives de réfutation. Ce n'est que lorsqu'une théorie est parvenue à supporter les contraintes de ce genre d'efforts qu'on pourra affirmer qu'elle se trouve confirmée ou corroborée par l'expérience. Il existe en outre (comme je m’en suis avisé par la suite) divers degrés d’assujettissement aux tests : certaines théories s’exposent avec plus d’intrépidité que d’autres aux éventuelles réfutations. […] Une théorie plus précise et qui se prête plus aisément à être réfutée est aussi celle qui est la plus intéressante. Et comme elle est la plus audacieuse, elle est également la moins probable. Or, elle se prête mieux aux tests, parce que nous pouvons la soumettre à des tests plus précis et plus rigoureux. Et si elle se révèle résister à ces tests, elle sera mieux confirmée ou mieux attestée par ceux-ci. L’aptitude à être confirmé (attesté ou corroboré) croît donc nécessairement avec l’assujettissement aux tests. Ces considérations indiquent que le critère de démarcation ne saurait être parfaitement tranché et qu’il admettra différents degrés. Parmi ces théories, certaines pourront être très bien testées, d’autres se prêteront très difficilement à être testées, d’autres encore seront impossibles à tester. Les dernières n’intéressent pas les chercheurs en sciences empiriques.

Conjectures et Réfutations


** Cf. Alain Boyer, « Karl Popper ou le rationalisme critique », Hermès 16, 1995 ; Renée Bouveresse, Karl Popper ou Le rationalisme critique, Vrin, 1978 ; Karl Popper, Le réalisme et la science, 1990.

Or Spinoza, pas plus que Descartes, n'était un empiriste. Son Éthique, vous le savez, est conçue « more geometrico ».

La deuxième remarque pour préciser que Spinoza, quoique déterministe, ne prétend pas écrire une théorie prédictive. En ce sens, elle n'est pas soumise aux tests.

Pour autant, Popper a choisi l'indéterminisme (cf. L'Univers irrésolu. Plaidoyer pour l'indéterminisme, 1984 — in Post-scriptum à la logique de la découverte scientifique, II). Toutefois, il ne me semble pas que le déterminisme fort (déterminisme scientifique), ni le déterminisme faible (déterminisme métaphysique), puissent correspondre avec le déterminisme de Spinoza (on peut lire cet article de Bruno Jarrosson). Bien sûr, il y a quelque anachronisme à vouloir confronter une œuvre antérieure de plus de deux siècles à ce qu'on appelle les sciences physiques, d'autant qu'au XVIIe, l'expérimentation scientifique en est à ses balbutiements (parler d'empirisme est prématuré pour cette période) :

Pierre Frédérix a écrit:
Les seuls laboratoires qui existent — alambics, fourneaux et cornues — méritent à peine ce nom. [...]. Les moyens de l'expérience scientifique, en cette première moitié du siècle, sont ceux du bricolage.

Pierre Frédérix, Monsieur René Descartes en son temps, Gallimard, 1959, pp.79-80.


Mais l'essai en vaut la peine, car Popper ne paraît pas s'être intéressé de très près à Spinoza, auquel il préférait Leibniz. On trouverait peut-être quelques pistes de travail dans cet autre livre de Renée Bouveresse, Spinoza et Leibniz. L'idée d'animisme universel, Vrin, 1992.
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