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Transformer les opinions en pathologies.

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4 participants

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Bonjour, 

avant tout je précise que j'ai fait des études techniques et que je n'ai jamais étudié la philosophie en cours, seulement un peu par moi-même sur mon temps libre, surtout en écoutant des podcast et en lisant des articles. Je ne connais pas grand chose sur la philosophie, alors merci d'être indulgent si mes question peuvent vous sembler évidentes ou stupides ou mal informées.

Voici ma question :

J'ai lu des articles et des résumés des livres de Michel Foucault. Je sais qu'il a étudié comment la notion de folie s'est progressivement construite en Occident au cours des siècles. Comment la paroles des gens haut-placés et dominants a définit la frontière entre le normal et le sain d'un côté, et la folie ou la pathologie de l'autre. J'ai lu aussi sur sa notion de "micro-pouvoirs" et de "micro-pénalités" qui permettent de construire la norme et d'obliger les gens à s'y conformer.

De nos jours, dans les médias avec les politiques et les experts, qu'ils soient philosophes, économistes, universitaires, journalistes ou autres, on remarque très souvent que beaucoup d'opinions ne sont pas combattues par des arguments rationnels, mais sont balayées d'avance en disant : "oui mais, ce que vous dites est ...phobe" Par exemple on a : europhobe, islamophobe, négrophobe, xénophobe, misogyne, et j'en passe.

Qu'en pensez-vous par rapport à Michel Foucault ? Est-ce qu'on peut parler de "micro-pénalités" infligées par ceux dont la position dominante permet de dire : "telle opinion est saine et relève de la normalité, mais telle autre opinion est malsaine, relève de la pathologie et révèle la folie de celui qui l'énonce ou y adhère" ?

Aussi j'ai remarqué que ce type de procédé est très utilisé à gauche, y voyez-vous une continuité "adoucie" avec la "psychiatrie punitive" utilisée contre les opposants au régime en URSS ? De plus, la gauche française qui utilise cette "pathologisation" des opinions se réclame de Michel Foucault pour beaucoup, n'est-ce pas ? Y a-t-il des disciples de Michel Foucault qui ont analysé ce phénomène avec la grille de lecture de la "construction de la folie" et des micro-pouvoirs ?


Merci d'avance de vos éclairages.

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Beber M a écrit:
De nos jours, dans les médias avec les politiques et les experts, qu'ils soient philosophes, économistes, universitaires, journalistes ou autres, on remarque très souvent que beaucoup d'opinions ne sont pas combattues par des arguments rationnels, mais sont balayées d'avance en disant "oui mais, ce que vous dites est... phobe". Par exemple on a : europhobe, islamophobe, négrophobe, xénophobe, misogyne, et j'en passe.

Qu'en pensez-vous par rapport à Michel Foucault ? Est-ce qu'on peut parler de "micro-pénalités" infligées par ceux dont la position dominante permet de dire : "telle opinion est saine et relève de la normalité, mais telle autre opinion est malsaine, relève de la pathologie et révèle la folie de celui qui l'énonce ou y adhère" ?


Je ne crois pas que l'on ait affaire à une véritable tentative de diagnostic, au sens de la désignation d'une pathologie présente chez un individu qu'il faudrait, dans un second temps, soigner : il s'agit, dans la plupart des cas, d'un procédé visant à discréditer les idées de l'interlocuteur - au moyen de l'emploi du terme exécré - pour exhorter ce dernier à se taire (ce qui permet de mettre en garde ceux qui assistent à cette scène). Dans le langage courant, on parle de "terrorisme intellectuel". Ce dispositif n'est pas inédit dans l'histoire, seuls les mots employés ont changé.

Y a-t-il des disciples de Michel Foucault qui ont analysé ce phénomène avec la grille de lecture de la "construction de la folie" et des micro-pouvoirs ?


Pas à ma connaissance. Pourquoi vous concentrez-vous uniquement sur Foucault (et ses disciples) pour appréhender ce phénomène ?

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Il y a tout de même un rapport à la norme, Kthun. Les opinions discréditées correspondent à des positions inaudibles, minoritaires, infamantes. Prenez le fameux point Godwin par exemple. C'est tenter de vous museler en vous faisant passer pour un fou, un monstre, une figure diabolique, etc. Bref, quelqu'un qui ne peut pas avoir raison, d'autant plus qu'il cache de mauvaises intentions ou ne peut pas avoir un discours cohérent et véridique en raison de son être même (c'est donc parfois plus qu'une pathologie, qui elle consiste en l'altération momentanée de nos capacités, en l'espèce de notre entendement). Bien entendu, c'est aussi lié à une histoire et à des rapports de force. De nos jours, l'accusation de dérive droitière ou à l'extrême droite semble de moins en moins un problème pour certains (surtout que la gauche apparaît impuissante dans ses critiques)...

Sinon, cela fonctionne à l'identique dans les discours de droite. Les termes de "bobo", "bien-pensance", etc., visent moins à qualifier quelque chose (ce sont des étiquettes utiles, mais sans contenu véritable, bref du fourre-tout) qu'à indiquer que l'interlocuteur a tort a priori, quoi qu'il puisse dire. Cela relève du préjugé. Sauf que, vous le remarquerez, l'équivalence s'arrête là car le racisme, par exemple, est sanctionné par la loi. On peut également ajouter que ces termes dénoncent le conformisme et l'hypocrisie d'un discours moral dans le soi-disant camp progressiste (perçu, il est vrai, comme majoritaire). Mais ils sont eux-mêmes complètement nuls, en tant que ce n'est que de la rhétorique et qu'ils aident à oublier et légitimer les conduites et discours tout autant hypocrites à droite (discours qui sont plus que dominants dorénavant ; c'est tellement le cas aujourd'hui, l'hégémonie culturelle est tellement à droite que même les prétendus bobos détestent les bobos par exemple).

Ces quelques éléments de réponse restent à analyser et à approfondir.

Quelques suggestions de lecture :
- sur les stratégies en rhétorique : Schopenhauer, l'Art d'avoir toujours raison
- sur l'opinion : Tocqueville
- sur l'hégémonie : Gramsci
- sur la création de la légitimité dans le champ social et politique : Bourdieu

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Merci pour vos réponses et les pistes de lectures !

Oui j'ai remarqué aussi que le terme "bien-pensance" fonctionnait selon la même mécanique, mais là il n'y a pas d'idée "médicale" au sens métaphorique. Par contre dans tous les mots avec "phobe",  même si je suis d'accord pour dire que c'est employé au sens imagé et non médical, il y a quand même souvent derrière l'idée déjà de diagnostic "métaphorique", presque "psychologique" comme pourrait le faire un vrai psy, et ensuite l'idée que ce diagnostic doit être traité et que le "patient" doit être "ré-éduqué" (j'ai entendu ce terme plusieurs fois) par la pédagogie, etc.  

Sur un ton encore plus violent, on entend aussi assez souvent la métaphore du cancer, parfois associé à la phobie : "le/la xxxphobie est le cancer de la société". Je m'interroge à ce sujet car j'ai lu il y a quelques temps dans un numéro du magazine Sciences Humaines un dossier qui montrait comment l'industrie pharmaceutique tentait de "pathologiser" le plus de comportements ou de traits de caractères possibles, et aussi de faire baisser les "seuils de diagnostic" de pathologies réelles (le gamin un peu turbulent souffre d'hyperactivité, celui un peu timide est un phobique social etc.) pour ensuite vendre des traitements adaptés en agrandissant le réservoir clients potentiels.  J'ai l'impression qu'on a un peu la même mécanique qui se met en place au niveau des débats intellectuels.


Du coup  ça me fait penser à Foucault parce que dans les articles sur lui que j'ai lu, il était expliqué qu'il y avait un lien entre le monde médical et le monde du pouvoir politique qui faisaient respecter leurs vues et leur définition de la norme et de la folie (ou de la pathologie)  à travers les micros-pouvoirs et les micro-pénalités qui se répandaient dans toute la société. Après je viens du monde manuel et technique j'ai juste un BEP, je m'intéresse à la philosophie sur mon temps libre et j'ai acheté le livre de Foucault sur l'histoire de la folie, mais je reconnais que c'est beaucoup trop compliqué pour moi et je ne suis pas arrivé à le lire, donc je dois lire des explications, alors peut-être que je lui fais dire ce qu'il ne dis pas sans m'en rendre compte.

Et après, sur un podcast de France Culture, il y avait un disciple de Foucault qui utilise très souvent des mots en "phobe", du coup ça m'a surpris parce que le fait qu'on utilise de plus en plus ces mots pour discréditer de vrais arguments, je me dis que c'est peut-être une nouvelle forme de construction de la folie mentale à notre époque, donc je voulais avoir l'avis de gens qui s'y connaissent plus que moi sur le sujet car je m'y connais très peu.

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Beber M a écrit:
oui j'ai remarqué aussi que le terme "bien-pensance" fonctionnait selon la même mécanique, mais là il n'y a pas d'idée "médicale" au sens métaphorique. Par contre dans tous les mots avec "phobe",  même si je suis d'accord pour dire que c'est employé au sens imagé et non médical, il y a quand même souvent derrière l'idée déjà de diagnostic "métaphorique", presque "psychologique" comme pourrait le faire un vrai psy, et ensuite l'idée que ce diagnostic doit être traité et que le "patient" doit être "ré-éduqué" ( j'ai entendu ce terme plusieurs fois) par la pédagogie etc.

Vous soulevez-là un problème qui m'a longtemps inquiété. C'est qu'au fond mon opinion me définirait dans mon essence, faisant signe vers mon identité. En même temps, c'est une identité générique, entièrement sociale et soumise à la normalisation. Car il suffit d'affirmer une thèse politique quelconque pour être catégorisé dans un parti et de ce fait n'être plus considéré comme un individu singulier capable de réfléchir, mais comme un automate, l'écho anonyme d'un grand discours formaté. C'est peut-être pour cela que j'ai toujours eu du mal à endosser des convictions clairement définies. Pour ma part, je considère que le mal est tellement banal, si répandu et ordinaire qu'au fond quelqu'un qui se déclare vertueux peut très bien se révéler stupide et mauvais, tandis que quelqu'un qui a des préjugés racistes peut dans l'intimité s'avérer quelqu'un de plus humain que ce qu'il laisse paraître (on reste bien malgré tout avec deux formes d'hypocrisie, ou si ce n'est conscient de contradictions - peut-être est-il très rare de n'en trouver aucune chez quelqu'un). Reste que la plupart des phobies que vous indiquez sont répréhensibles, moralement et pénalement. C'est pourquoi on ne cherche pas à soupeser un argument dès lors qu'il est marqué du sceau du racisme, peut-être par facilité. Mais bien souvent, on peut l'admettre, on sait très bien que le racisme appelle des raisonnements fantaisistes, n'est qu'une preuve de bêtise et que l'on ne va rien tirer de tout cela, sinon de la mauvaise foi avec une intelligence perverse ou délirante à l'œuvre.

Beber M a écrit:
Sur un ton encore plus violent, on entend aussi assez souvent la métaphore du cancer, parfois associé à la phobie : " le/la xxxphobie est le cancer de la société". Je m'interroge à ce sujet car j'ai lu il y a quelques temps dans un numéro du magazine Sciences Humaines un dossier qui montrait comment l'industrie pharmaceutique tentait de "pathologiser" le plus de comportements ou de traits de caractères possibles, et aussi de faire baisser les "seuils de diagnostic" de pathologies réelles (le gamin un peu turbulent souffre d'hyperactivité, celui un peu timide est un phobique social etc.) pour ensuite vendre des traitements adaptés en agrandissant le réservoir clients potentiels.  J'ai l'impression qu'on a un peu la même mécanique qui se met en place au niveau des débats intellectuels.

Quand on défend le lien social, le racisme apparaît comme une pathologie sociale, au sens où il met ce lien en danger par le rejet de l'altérité.
Beber M a écrit:
Du coup  ça me fait penser à Foucault parce que dans les articles sur lui que j'ai lu, il était expliqué qu'il y avait un lien entre le monde médical et le monde du pouvoir politique qui faisaient respecter leurs vues et leur définition de la norme et de la folie (ou de la pathologie)  à travers les micros-pouvoirs et les micro-pénalités qui se répandaient dans toute la société. Après je viens du monde manuel et technique j'ai juste un BEP, je m'intéresse à la philosophie sur mon temps libre et j'ai acheté le livre de Foucault sur l'histoire de la folie, mais je reconnais que c'est beaucoup trop compliqué pour moi et je ne suis pas arrivé à le lire, donc je dois lire des explications, alors peut-être que je lui fais dire ce qu'il ne dis pas sans m'en rendre compte.

Par quelle autorité remplacerez-vous le monde médical ? Par le monde intellectuel ? Le journalisme ?
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