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Wagner, Nietzsche et Hitler

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Avez-vous vu le dernier film sur Hitler diffusé par France 2 cette semaine ? Si tel est le cas, vous aurez constaté combien Wagner était associé à Hitler, sans du reste aucune explication sur le compositeur ou ses œuvres. Loin de moi l'idée de chercher à corriger le très médiocre commentaire qui accompagnait les images d'histoire, en elles-mêmes très intéressantes (sauf la colorisation). Généralement, quand nous cherchons quels sont les rapports entre Hitler et les grands intellectuels de l'Allemagne, nous tombons en premier lieu sur Nietzsche et Wagner. Il y avait donc une citation obligée de Nietzsche, qui fut ce soir-là épargné, contrairement à Wagner. Elle était appliquée à Goebbels : "Le fanatisme est la seule forme de volonté qui peut être insufflée aux faibles et aux timides", citation qu'on croirait écrite ad hoc pour ce genre de personnage, pied bot et toujours souriant. Ce "deux poids deux mesures" entre Nietzsche et Wagner à vrai dire m'indiffère. Mais il me donne l'occasion de chercher à savoir ce que Wagner et Nietzsche ont à voir exactement avec Hitler. Commençons par Wagner.

Dans le documentaire, l'opéra de Rienzi, œuvre reniée par le compositeur et absente du Festival de Bayreuth, nous est présentée comme la préférée d'Hitler. L'explication qui nous a été donnée est que Rienzi, c'est Hitler lui-même ! Cela paraît assez curieux quand on connaît la complexité des opéras wagnériens. On pourra objecter qu'Hitler était lui-même un personnage très complexe. Soit. Allons voir de plus près.

Wikipédia a écrit:
Le jeune Rienzi vivait à une époque misérable pour le peuple de Rome. Il mena une révolution puis, ayant pris le pouvoir par la volonté du peuple romain, il redonna à Rome sa beauté et sa force d'antan dans les arts, les sciences et la culture. Les années passèrent et lentement Rienzi perdit son influence et le peuple à nouveau se révolta mais cette fois contre lui. Rienzi maudit à jamais le peuple romain avant de mourir dans une Rome mise à feu et en ruine.

Deux choses apparaissent qui ne nous avaient pas été dites. D'abord, Rienzi se bat pour la culture, la beauté et la liberté, non pour le pouvoir, ce qui est tout à fait conforme aux thèmes des grands drames wagnériens et à l'effort du compositeur lui-même durant toute sa vie. Ensuite, le héros est déchu et la ville périt dans les flammes, comme plus tard les Dieux de la tétralogie. La culture. Elle a été la grande préoccupation de Wagner, ce qui explique combien Nietzsche trouva d'échos chez lui, et l'amitié intellectuelle très forte qui se créa rapidement entre eux. A présent, entrons dans le vif du sujet. Qu'est-ce que Wagner reprochait aux Juifs ? Nous retiendrons deux livres, Le Judaïsme dans la musique et Qu'est-ce qui est allemand ? Wagner avait peur que les Juifs corrompent la musique allemande et de manière plus générale, tout ce qui est allemand. Rappelons que Rienzi est la dernière œuvre de Wagner qui soit encore dépendante de la musique de Meyerbeer, un musicien juif. Voilà donc ce qu'on peut reprocher à Wagner, un antisémitisme et un nationalisme culturels. Il n'est pas question de politique. Wagner a très vite rangé ses ambitions révolutionnaires après avoir failli perdre la vie en 1848. Il s'est contenté de créer le personnage de Siegfried, épris de liberté et d'amour, et de représenter de manière allégorique la chute du Reich dans Le crépuscule des Dieux, à l'instar de Nietzsche, qui choisira un titre très proche pour un de ses derniers livres, Le crépuscule des idoles, comme un écho (ambigu) de ses années d'intimité avec la pensée wagnérienne.

A présent que nous avons mieux défini l'antisémitisme et le nationalisme wagnériens, regardons de plus près les écrits de Nietzsche sur cette question. Un fait saute aux yeux dès l'abord, ses critiques récurrentes à l'adresse des antisémites, souvent brandies comme un bouclier par les lecteurs de Nietzsche. Mais ces critiques, nous les retrouvons formulées avec la même virulence à l'égard des socialistes, des féministes (pour ne pas dire des femmes), des Hohenzollern, bref de tout groupe qui par son action idéologique ou politique est confronté à la pensée de Nietzsche, à moins que ce ne soit l'inverse, car à l'époque, personne ne le connaît. Critique donc à l'égard de toute tendance à la socialisation, à la formation d'un groupe (ou "instinct grégaire", pour parler nietzschéen).

Et voilà un autre bouclier plus efficace à mon avis que les précédentes critiques à l'égard des antisémites, car après tout, Wagner malgré son antisémitisme, s'est toujours appuyé sur des amis juifs : le mépris de la masse. Or, rien de plus essentiel au nazisme que cette masse. Sans elle, sans la fascination pour Hitler, allant précisément jusqu'au fanatisme, rien n'eût été possible (souvenons-nous de la citation plus haut : la masse n'est composée que de faibles). Passons maintenant aux critiques plus profondes que nous pourrions adresser à Nietzsche. Car, ce ne sera pas surprenant, comme pour Wagner, c'est dans le domaine de la culture que Nietzsche a quelque chose à reprocher aux Juifs. Les Juifs, non, soyons précis, le peuple juif, non, encore plus précis, l'idéal juif, "l'idéal de la Judée", pour reprendre les termes de Nietzsche, est accusé d'être la cause de la "décadence européenne" et de la dégénérescence du "type homme".

Voilà qui sonne fort* tout à coup, plus fort que les trombones wagnériens. Certes, cela s'est passé il y a 2000 ans, voire plus en amont dans le fleuve de l'histoire, quand les Juifs ont perdu leur statut de grand peuple puissant et confiant dans l'avenir, quand ils se sont retrouvés avec la croyance d'être toujours le peuple élu mais sans les moyens de l'être dans la réalité. Face à la puissance romaine, ils ont alors trouvé le moyen de le redevenir, en passant par les souterrains de l'âme humaine, ce que les Romains dans leur noblesse, n'ont pu combattre. Pour Nietzsche, c'est l'acte de naissance du christianisme. Et ce fut le début de la décadence de toute l'Europe, de la science, de l'art, de la culture, et surtout, de la race humaine. Mais ce terme ne convient pas tout à fait ici, bien qu'il soit repris très souvent par Nietzsche. Nietzsche en effet ne se limite pas à la race, l'homme est beaucoup plus que cela pour lui : un pont entre l'animal et le surhomme, une direction, une flèche, un sens (et non un but, différence importante avec les idéologies). Le surhomme nietzschéen n'est pas davantage cette brute blonde aux traits martiaux représentée par l'iconographie nazie. Son surhomme ne possède en effet aucune caractéristique physique, si ce n'est ce que le philosophe appelle la "grande santé", laquelle ne consiste pas à faire des exercices physiques à l'aube après le lever du drapeau. Il s'agit avant tout d'une santé morale, c'est-à-dire selon le paradoxe nietzschéen classique, une anti-moralité, une autre évaluation de la morale que le surhomme oppose à celle du Bien et du Mal.

* Cf. quelques citations trouvées sur l'article Mysticisme nazi de Wikipédia :
« Le Führer est profondément religieux, bien que totalement anti-chrétien ; il voit le christianisme comme un symptôme de décadence. Et pour cause, c’est une branche de la race Juive. » — Joseph Goebbels, dans son journal, 28 décembre 1939.
« Le christianisme est le prototype du Bolchévisme : la mobilisation des masses d’esclaves par les Juifs avec pour objectif d’ébranler la société. » — Adolf Hitler, 1941
« Le peuple allemand, en particulier la jeunesse, a appris une fois encore à évaluer racialement les gens. Il s’est une fois encore détourné des théories chrétiennes, de l’enseignement chrétien qui a régi l’Allemagne depuis plus de mille ans et qui a causé le déclin racial de l’identité allemande, et presque sa mort raciale. » — Heinrich Himmler, le 22 mai 1936 lors d’un discours à Brocken, Allemagne.


Ce bref résumé des thèmes nietzschéens qui pourraient prêter à controverse montre toute la différence entre lui et les Nazis, mais aussi toute la difficulté à la percevoir sans une lecture approfondie, rendue très difficile par cet art du paradoxe et ce sens de la formule, formules qui restent néanmoins très obscures au "lecteur non initié", obscurité augmentée par leur sens paradoxal.

Revenons une dernière fois à Wagner, pour mesurer une différence entre eux deux qui en général n'est que très peu évoquée, mais qui est néanmoins capitale. Que pensait Wagner du christianisme ? Nous avons vu que Nietzsche, en remontant à l'histoire du peuple juif, faisait du christianisme un avatar de ce peuple, mais cela était-il le cas pour Wagner ? La réponse se trouve dans Parsifal. Ce drame raconte l'histoire du Saint Graal. Wagner y abandonne les grands thèmes nationalistes allemands pour mettre en scène un des mythes du christianisme. Après la soif de liberté et d'amour de ses héros, voilà maintenant que Wagner se schopenhauérise. Il se radicalise, finis l'amour et la liberté, place à la pitié et à la pureté virginale, à la sainteté. Nietzsche ne s'est jamais remis de ce revirement.

Car la source historique que Wagner utilise pour ce drame, c'est un des plus vieux poètes allemands, un des plus respectés : Wolfram Von Eschenbach. Or, il va lui faire dire tout le contraire de ce Parzival bien allemand (le poète s'oppose avec force à la version de Chrétien de Troyes). Chez Wolfram, le Graal est gardé par des Templiers, la source de son livre est la Provence, le pays d'où est originaire la gaya sienza, le "gai savoir", celui des esprits libres, les futurs disciples de Nietzsche ! Wagner trahit donc l'esprit du poème de Wolfram, pour qui le Graal a un sens ésotérique, en en faisant le drame de la pitié judaïque, cette arme redoutable qui leur avait servi pour détruire l'empire romain et qui maintenant menace l'humanité tout entière (c'est-à-dire l'Europe, replaçons-nous à l'époque de Nietzsche) !

A ce propos, nous aurons sans doute l'occasion de revenir sur le végétarisme d'Hitler, ainsi que son paganisme, deux thèmes que l'on associe souvent à Wagner, sans comprendre d'où ils proviennent. Rappelons brièvement que Wagner devint végétarien suite à son quasi bouddhisme, influencé par la pensée schopenhauérienne. Nietzsche voulut l'imiter mais n'y parvint pas, car, à cause de ses troubles digestifs, il se nourrissait beaucoup de lait et de viande. Plus tard, il dira que la viande rouge convient aux êtres passionnés, critiquant indirectement Wagner et son idéal du "dernier homme". Quant au paganisme wagnérien, nous avons vu d'une part que le compositeur l'a abandonné à la fin de sa vie, d'autre part, il s'appuyait sur des légendes nordiques, qui s'opposaient fortement à la musique italienne et permettaient mieux la création d'une "musique de l'avenir", un type nouveau de drame musical, l'œuvre d'art totale. Wagner voulait recréer chez le peuple allemand la même ferveur que celle des Athéniens quand ils assistaient aux tragédies d'Eschyle (cf. Naissance de la tragédie).

Alors, en conclusion, qui des deux est le plus (ou le moins) nationaliste, qui est le plus (ou le moins) antisémite ? Peut-on même les relier à Hitler ? Ou cela n'a t-il aucun sens ? Faites-vous votre opinion, ou discutons-en.

descriptionWagner, Nietzsche et Hitler EmptyRe: Wagner, Nietzsche et Hitler

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Liber a écrit:
Dans le documentaire, l'opéra de Rienzi, œuvre reniée par le compositeur et absente du Festival de Bayreuth, nous est présentée comme la préférée d'Hitler. L'explication qui nous a été donnée est que Rienzi, c'est Hitler lui-même ! Cela paraît assez curieux quand on connaît la complexité des opéras wagnériens.
J'ai vu un documentaire sur Arte récemment qui montrait les coulisses d'une nouvelle version de Rienzi jouée en Allemagne. Il s'agissait d'une nouvelle interprétation focalisée sur le parti pris de confronter l'œuvre à l'événement historique que constitue le totalitarisme. Rienzi n'était alors plus le symbole du grand homme, comme vous semblez en donner le sens originel, mais celui du dictateur qui de héros réunificateur se change en despote sanguinaire et tyrannique. L'opéra avait alors l'intérêt de montrer la façon dont le peuple en venait à répondre aveuglément à sa stratégie politique, élaborée dans le même temps qu'apparaissait son appétit pour le pouvoir, et à commettre l'irréparable (la violence, les exécutions de dissidents, etc.) en vertu de leur besoin d'adoration ou de vénération d'un homme ou d'un idéal (en soi cet opéra était donc intéressant, illustrant les logiques du totalitarisme ou même, tout simplement, la servitude volontaire décrite par La Boétie). Néanmoins, le peuple finissait par se retourner contre Rienzi qui à force d'exploiter la masse avait fini par l'épuiser et la spolier. En gros, cette histoire devenait malgré tout un plaidoyer pour la démocratie, mettant en avant le peuple martyr face à l'intelligence démoniaque d'un seul homme (bien qu'au fond leur relation ait été plus complexe). Certes, la première partie pouvait montrer la bêtise de la masse, toutefois la responsabilité de tout cela était imputée à Rienzi, alors même que la masse avait surtout été victime d'elle-même. C'est elle qui avait vu en Rienzi un sauveur et l'avait placé à la tête de l'État. Mais c'est lui qui utilisa cette légitimité et ce pouvoir pour manipuler son peuple et sous-prétexte de lui apporter une régénération lui ôta bien des choses dont la plus précieuse était la liberté. C'est donc le grand homme qui était un danger pour la démocratie et pour le peuple. Le metteur en scène insistait, si je me souviens bien, sur le fait que Wagner à cette époque était un partisan de la démocratie.
Liber a écrit:
Wagner avait peur que les Juifs corrompent la musique allemande et de manière plus générale, tout ce qui est allemand.
Mais par quoi cette peur est-elle motivée ? De quel imaginaire cela relève-t-il ? Wagner a-t-il eu affaire à certains Juifs, à des situations historiques où leur mauvaise influence aurait été démontrée ? En écoutant Mahler je n'ai pas l'impression que le Juif soit particulièrement étranger à la culture allemande, il en est même à certains égards le prolongement et le garant (que l'on pense à tous les artistes et intellectuels Juifs d'Allemagne et des pays adjacents du XIXe et du XXe siècle). D'autre part, l'art ne demande-t-il pas qu'il y ait création, donc des occasions d'opérer de la nouveauté ? N'est-ce pas la crainte de tout art codifié et institué d'être dépassé ? Wagner lui-même n'a-t-il pas en son temps choqué ou changé tellement de choses dans la conception de la musique ? Bref, Wagner avait-il un esprit critique ? Il y eut heureusement Nietzsche pour ouvrir les yeux un moment, même s'il conserva une position ambiguë sur le cas Juif (j'insiste néanmoins sur trois points : il admire certaines choses chez les Juifs ; dans Aurore il parle de leur accession à tous les postes de responsabilité en Europe et à leur talent de comédien - le mimétisme étant important chez les artistes et encore plus dans la formation du génie - ; plus tard il dira, dans PBM je crois, qu'il faudrait que l'Européen se mêle, peut-être, au Juif, pour produire le Surhomme, ou à défaut de grands hommes, une certaine aristocratie de l'esprit).
Liber a écrit:
Voilà donc ce qu'on peut reprocher à Wagner, un antisémitisme et un nationalisme culturels. Il n'est pas question de politique.
Je ne sais pas si c'est mieux ou pire. Politiquement on comprendrait l'opposition à l'étranger, seulement identifié comme tel non pour qui il est mais pour ce qu'il représente, à savoir la souveraineté d'un autre État. Le nationalisme culturel lie citoyenneté et nationalité, faisant du sang une marque de distinction. Le Juif ne peut être considéré comme Allemand même s'il partage cette culture : il reste essentiellement, au fond de lui-même, un Juif, l'Autre radical et par excellence ; le Mal, l'impie, le fauteur, le corrupteur, etc.
Liber a écrit:
A présent que nous avons mieux défini l'antisémitisme et le nationalisme wagnériens, regardons de plus près les écrits de Nietzsche sur cette question.
Peut-être pourriez-vous nous montrer en quoi ils ne sont pas politiques et ce que cela change concrètement.
Un fait saute aux yeux dès l'abord, ses critiques récurrentes à l'adresse des antisémites, souvent brandies comme un bouclier par les lecteurs de Nietzsche. Mais ces critiques, nous les retrouvons formulées avec la même virulence à l'égard des socialistes, des féministes (pour ne pas dire des femmes), des Hohenzollern, bref de tout groupe qui par son action idéologique ou politique est confronté à la pensée de Nietzsche, à moins que ce ne soit l'inverse, car à l'époque, personne ne le connaît. Critique donc à l'égard de toute tendance à la socialisation, à la formation d'un groupe (ou "instinct grégaire", pour parler nietzschéen).
C'est peut-être le problème de Nietzsche, bien que ses critiques soient justifiées et pertinentes : l'homme vit-il seul, peut-il vivre seul ?
Liber a écrit:
Et voilà un autre bouclier plus efficace à mon avis que les précédentes critiques à l'égard des antisémites, car après tout, Wagner malgré son antisémitisme, s'est toujours appuyé sur des amis juifs : le mépris de la masse.
Pourrait-il y avoir alors une concurrence entre l'ancienne élite, le peuple élu, et ceux qui aspirent à former une nouvelle élite (intellectuelle, artistique) sécularisée ou athée ? Bref, pour rompre avec la masse allemande, avec sa culture et ses valeurs (Wagner semble vouloir s'inscrire dans la continuité mais pour Nietzsche il s'agit de créer une rupture de l'histoire, et même un basculement), il faut rompre avec la morale et le christianisme. C'est donc rompre avec la Judée qui existe encore en parallèle du protestantisme sous sa forme "pure". N'est-il pas alors gênant de voir les Juifs réclamer le monopole de la noblesse (auprès de Dieu) quand on prétend soi-même au génie et par là même au droit de s'élever au-dessus des autres et de commander ? (C'est une hypothèse à débattre)
Liber a écrit:
Les Juifs, non, soyons précis, le peuple juif, non, encore plus précis, l'idéal juif, "l'idéal de la Judée", pour reprendre les termes de Nietzsche, est accusé d'être la cause de la "décadence européenne" et de la dégénérescence du "type homme".
Les valeurs judaïques appliquées à l'Europe (à Rome) ont permis la décadence d'un type de forme de vie qui n'y était pas adaptée. Mais les Judéens n'étaient-ils pas devenus forts avec elles ? Cependant, il faudrait peut-être distinguer les Juifs de Judée et les Juifs de la Diaspora. Les premiers avaient une organisation sociale hiérarchisée, des prêtres détenant le savoir, donc des maîtres, et il y avait des guerriers. La foi et la cruauté guerrière (la colère divine) devaient les lier plus fortement à la vie. Les apatrides étaient-ils si différents ? N'ont-ils pas converti tout cela en force de résistance et d'adaptation ? Bien entendu, ce furent les chrétiens qui firent tomber Rome. Soi-disant vengeance de la Judée, par Saint Paul, contre Rome, par l'élaboration de l'universalisme. Mais ce même universalisme conquérant, portant certaines valeurs provenant de Judée, se retourna quand même contre le judaïsme et les Juifs. Enfin, peut-on vraiment imputer tous les torts aux Juifs et à leurs valeurs ? N'y a-t-il pas des raisons proprement historiques et politiques, inhérentes à Rome, qui ont permis l'essor du christianisme et la chute de l'Empire ? Est-ce d'ailleurs le christianisme qui a fait tomber la Rome chrétienne ? N'y a-t-il pas des divisions politiques, de l'instabilité économique ? Pourquoi les peuples chrétiens auraient-ils été nécessairement faibles si le pouvoir avait été unifié ? Que disent les historiens ?
Liber a écrit:
Certes, cela s'est passé il y a 2000 ans, voire plus en amont dans le fleuve de l'histoire, quand les Juifs ont perdu leur statut de grand peuple puissant et confiant dans l'avenir, quand ils se sont retrouvés avec la croyance d'être toujours le peuple élu mais sans les moyens de l'être dans la réalité. Face à la puissance romaine, ils ont alors trouvé le moyen de le redevenir, en passant par les souterrains de l'âme humaine, ce que les Romains dans leur noblesse, n'ont pu combattre.
Mais qui, "ils" ? Tous les Juifs sont-ils devenus chrétiens ? Saint Paul était minoritaire en son temps. Il a peut-être conservé un fond de judaïsme, c'est même certain, mais il est devenu chrétien, ce n'était pas un Juif déguisé. Il y a eu conversion.
Liber a écrit:
Le surhomme nietzschéen n'est pas davantage cette brute blonde aux traits martiaux représentée par l'iconographie nazie. Son surhomme ne possède en effet aucune caractéristique physique, si ce n'est ce que le philosophe appelle la "grande santé", laquelle ne consiste pas à faire des exercices physiques à l'aube après le lever du drapeau. Il s'agit avant tout d'une santé morale, c'est-à-dire selon le paradoxe nietzschéen classique, une anti-moralité, une autre évaluation de la morale que le surhomme oppose à celle du Bien et du Mal.
D'accord, mais je note avec amusement que vous ne nous parlez plus du côté guerrier de Nietzsche. Laissé tel quel, l'immoralisme pourrait conduire au simple libertarianisme.
Liber a écrit:
Que pensait Wagner du christianisme ? Nous avons vu que Nietzsche, en remontant à l'histoire du peuple juif, faisait du christianisme un avatar de ce peuple, mais cela était-il le cas pour Wagner ? La réponse se trouve dans Parsifal. Ce drame raconte l'histoire du Saint Graal. Wagner y abandonne les grands thèmes nationalistes allemands pour mettre en scène un des mythes du christianisme. Après la soif de liberté et d'amour de ses héros, voilà maintenant que Wagner se schopenhauérise. Il se radicalise, finis l'amour et la liberté, place à la pitié et à la pureté virginale, à la sainteté. Nietzsche ne s'est jamais remis de ce revirement.
Je n'ai pas encore écouté Parsifal ni lu Schopenhauer, mais dit ainsi ça ne donne absolument pas envie. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Ce que j'aime au contraire dans le christianisme c'est la mise à l'épreuve de la liberté et l'amour impossible. Voilà de quoi rendre la vie intense, voilà de quoi la magnifier même dans la souffrance. Il y a quelque chose de sublime dans la lutte d'un homme avec lui-même, avec le monde ou avec Dieu. La pitié, notamment, me semble tout ruiner.
Liber a écrit:
Chez Wolfram, le Graal est gardé par des Templiers, la source de son livre est la Provence, le pays d'où est originaire la gaya sienza, le "gai savoir", celui des esprits libres, les futurs disciples de Nietzsche !
Templiers qui ne sont pas des brutes sanguinaires. Ils sont des guerriers, certes, mais ils ont des principes. Nietzsche admirait la capacité des hommes de faire des promesses et de s'y tenir. C'est cela qui est noble. Mais c'est aussi parce que l'on peut attribuer de la valeur à ce qui pourrait sembler insignifiant. On peut aller jusqu'à perdre sa propre vie s'il s'agit de défendre son honneur ou pour gagner l'amour d'une dame. Le risque et la mort permettent des engagements, des choix qui ont de la valeur (même si cela apparaît futile au regard de la tragédie de l'existence, de l'absence de vérité, de la vie comme erreur). Cela demande de la force et de la folie. C'est cela aussi qui donne son sens à la vie. Au contraire d'une époque comme la nôtre où la vie est devenue une valeur absolue, ce qui nous empêche de commettre toute atteinte à l'autre et à soi-même, ce qui au fond relève de la morale la plus pernicieuse (par son invisibilité). Je ne dis pas qu'il faut revenir à la peine de mort, je constate toutefois que l'absence de la mort dans notre société et la place de la vie ont fait perdre de leur force à nos actes.
Liber a écrit:
Rappelons brièvement que Wagner devint végétarien suite à son quasi bouddhisme, influencé par la pensée schopenhauérienne.
Voilà pourquoi je ne ferai jamais confiance à tous ces hommes-là. Des misanthropes qui préfèrent se donner bonne conscience par des moyens détournés. Des pessimistes ou des meurtriers insensibles (Hitler) qui ont le ridicule de ne pas vouloir blesser autrui (Schopenhauer ; donc de ne pas vouloir affronter l'existence), de ne pas blesser et d'être cruels à l'égard des animaux (les végétariens) et qui préfèrent les animaux aux humains (Schopenhauer et Hitler avec leurs chiens ; n'est-ce d'ailleurs pas paradoxal de traiter les humains comme des animaux et de traiter les animaux humainement ?). A noter que si Hitler a mené les politiques que l'on connaît, Schopenhauer a lui aussi été antisémite et a dénoncé des opposants politiques. Nietzsche n'est jamais tombé dans ces atrocités et dans cette atroce mièvrerie.
Liber a écrit:
Nietzsche voulut l'imiter mais n'y parvint pas, car, à cause de ses troubles digestifs, il se nourrissait beaucoup de lait et de viande.
Ça marche vraiment comme régime ?
Liber a écrit:
Plus tard, il dira que la viande rouge convient aux êtres passionnés, critiquant indirectement Wagner et son idéal du "dernier homme".
Je suis toujours assez étonné par les végétariens. Comment peut-on se refuser une délicieuse viande bien saignante ? [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]

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Silentio a écrit:
C'est elle qui avait vu en Rienzi un sauveur et l'avait placé à la tête de l'État. Mais c'est lui qui utilisa cette légitimité et ce pouvoir pour manipuler son peuple et sous-prétexte de lui apporter une régénération lui ôta bien des choses dont la plus précieuse était la liberté. C'est donc le grand homme qui était un danger pour la démocratie et pour le peuple. Le metteur en scène insistait, si je me souviens bien, sur le fait que Wagner à cette époque était un partisan de la démocratie.

Wagner était anarchiste. Il a été entraîné dans la révolution par Bakounine. On retrouve dans toutes ses oeuvres cette aspiration vers la liberté, y compris dans la mort. On devine combien ces personnages ont pu plaire à Nietzsche. Hitler adorait Wagner, mais il ne faut pas oublier la force d'exaltation contenue dans cette musique, au grand pouvoir de fascination, un pouvoir proche de l'hypnose. Elle peut être tour à tour assoupissante ou énergisante, et donc au final, énervante. Nietzsche qui l'a aussi critiquée dans ce sens en a subi toute sa vie la domination. L'ouverture de Parsifal, qu'il affecte de mépriser, l'a profondément troublé (bien que ce fut après 10 ans de diète wagnérienne forcée et à une époque où ses nerfs étaient à vif). On sait l'effet qu'elle fit sur Louis II de Bavière. Plus généralement, cela est peut-être dû à l'imagination mythique de ces hommes. Il est curieux de constater à quel point le mythe était en vogue à cette époque, une sorte de réaction au romantisme finissant, un hyper-romantisme dont Hitler est sans doute l'un des derniers dépositaires. En France, Wagner toucha en particulier les symbolistes.

Liber a écrit:
Wagner avait peur que les Juifs corrompent la musique allemande et de manière plus générale, tout ce qui est allemand.
Mais par quoi cette peur est-elle motivée ? De quel imaginaire cela relève-t-il ? Wagner a-t-il eu affaire à certains Juifs, à des situations historiques où leur mauvaise influence aurait été démontrée ?

Il a eu affaire à Meyerbeer qui l'aida en lui procurant de la basse besogne quand il était sans le sou à Paris. Il n'aimait pas Mendelssohn, l'auteur de la "marche nuptiale". Je ne crois pas qu'il y ait à l'origine de référence historique à cet antisémitisme chez Wagner, mais il cherchait à s'écarter du style défendu par Meyerbeer. Il est d'ailleurs singulier et contradictoire qu'Hitler ait précisément aimé cet opéra de Rienzi très meyerbeerien et qui finalement, a incarné aux yeux de Wagner tout ce qu'il détestait de la musique juive. Wagner voulait trouver sa voie propre, et la musique juive était alors dominante. Il en a conçu une haine envers ces musiciens qui l'empêchaient d'avoir le succès qu'il pensait mériter. Je me méfie de toute simplification à propos de Wagner. Ainsi, il a écrit un violent pamphlet après la défaite de la France. Nationalisme ? Que nenni ! Wagner avait essuyé les plus amères critiques après la représentation de son opéra de Tannhauser. Singulière aventure du reste, car il avait été choisi pour des raisons diplomatiques. La défaite de 1870 lui donna l'occasion de se venger.

il admire certaines choses chez les Juifs ; dans Aurore il parle de leur accession à tous les postes de responsabilité en Europe et à leur talent de comédien - le mimétisme étant important chez les artistes et encore plus dans la formation du génie -

Cette idée d'une "accession à tous les postes de responsabilité" me semble être un mythe, c'est elle qui plus tard donnera lieu à la chasse aux sorcières des Juifs, accusés d'être responsables de la banqueroute. Encore une fois, Nietzsche est pris la main dans le sac à reproduire un préjugé de son époque (cf. entre autres "la bête blonde"). Quant au mimétisme, ne serait-ce pas une pique envers Wagner, dont le génie de comédien était unanimement reconnu, Wagner redoutant par ailleurs que son père réel fût juif ? Nietzsche s'empressa pour se venger de dévoiler cette histoire en publiant des détails de l'autobiographie de Wagner qui lui avait été confiée sous la promesse de la garder secrète, épisode peu glorieux dans la vie du philosophe.

plus tard il dira, dans PBM je crois, qu'il faudrait que l'Européen se mêle, peut-être, au Juif, pour produire le Surhomme, ou à défaut de grands hommes, une certaine aristocratie de l'esprit.

Peut-être pensait-il à ses deux amis juifs qu'il tenait en haute estime, Overbeck et Burckhardt. De manière plus générale, les Juifs sont une vieille race (à l'époque on parlait souvent de races pour désigner les peuples, cf. les citations nazies plus haut), comme les Français, donc plus aristocratiques que d'autres plus récentes. J'ai du mal sur ce sujet à chercher plus loin que dans le vécu et les obsessions de Nietzsche.

Le Juif ne peut être considéré comme Allemand même s'il partage cette culture : il reste essentiellement, au fond de lui-même, un Juif, l'Autre radical et par excellence ; le Mal, l'impie, le fauteur, le corrupteur, etc.

Wagner les accusait par exemple d'avoir corrompu en les empruntant tous les vieux noms communs allemands, mais ce ne sont que des critiques sans importance, comme son personnage des Maîtres Chanteurs et le nain des Nibelungen, qui représentent son aversion pour certains caractères des Juifs (à l'instar de Shakespeare, dont il s'est inspiré). Là encore, on devrait lire la vision aristocratique de Nietzsche sur les Juifs comme une antithèse à Wagner, l'une n'étant pas plus valable que l'autre. L'entourage de Wagner était bien plus antisémite que lui. On le critique pour avoir demandé à son chef d'orchestre juif de se convertir au catholicisme, mais il faut sans doute y voir l'influence de Cosima (Nietzsche faisait le même reproche à Cosima, la fille de l'abbé Lizst, qu'il accuse d'avoir conduit Wagner au pied de la croix).

C'est peut-être le problème de Nietzsche, bien que ses critiques soient justifiées et pertinentes : l'homme vit-il seul, peut-il vivre seul ?

Non, je ne crois pas que ce soit une critique juste à l'égard de Nietzsche. Il ne recherche pas la solitude (quoiqu'il l'ait vécue plus que tout autre humain, et n'y étant sûrement pas étranger), mais la distance dans les rapports humains, le fameux "pathos de la distance", ce qui n'est pas du tout la même chose.

Bref, pour rompre avec la masse allemande, avec sa culture et ses valeurs (Wagner semble vouloir s'inscrire dans la continuité mais pour Nietzsche il s'agit de créer une rupture de l'histoire, et même un basculement), il faut rompre avec la morale et le christianisme.

Wagner comme Nietzsche ne supportent plus leur époque qui s'éloigne de plus en plus de la culture. On sait sur quoi pleura Nietzsche après la Commune : l'incendie des Tuileries. Les Juifs, s'ils avaient vraiment accès aux postes de responsabilité, devaient logiquement faire partie de cette caste détestée par eux deux. Je ne crois donc pas qu'ils soient entrés en ligne de compte dans leurs critiques communes au moment de Naissance de la tragédie. Encore une fois, on fait à mon avis trop de cas de cet antisémitisme (à cause de ce qui s'est passé 50 ans après), et chez Wagner, il n'est jamais conceptuel. Nietzsche quand il les défend, pense à ses amis et à Wagner qu'il prend à contrepied. Tout autre chose est la Généalogie de la morale.

Les valeurs judaïques appliquées à l'Europe (à Rome) ont permis la décadence d'un type de forme de vie qui n'y était pas adaptée. Mais les Judéens n'étaient-ils pas devenus forts avec elles ? Cependant, il faudrait peut-être distinguer les Juifs de Judée et les Juifs de la Diaspora.

Je ne pense pas. Les uns et les autres étaient soumis à l'écrasante puissance de Rome.

Enfin, peut-on vraiment imputer tous les torts aux Juifs et à leurs valeurs ? N'y a-t-il pas des raisons proprement historiques et politiques, inhérentes à Rome, qui ont permis l'essor du christianisme et la chute de l'Empire ?

Certes, Overbeck lui-même l'a dit à l'époque. Néanmoins, la division de l'Empire romain apporte de l'eau au moulin de Nietzsche et confirme sa thèse de la décadence des aristocraties dans l'Antiquité.

Mais qui, "ils" ? Tous les Juifs sont-ils devenus chrétiens ? Saint Paul était minoritaire en son temps. Il a peut-être conservé un fond de judaïsme, c'est même certain, mais il est devenu chrétien, ce n'était pas un Juif déguisé. Il y a eu conversion.

Oui mais pour Nietzsche, juif et chrétien, c'est la même chose. Voyez ce qu'a écrit Hitler, qui reprend la thèse de Nietzsche en la simplifiant grossièrement, certes, mais en en gardant la moelle*. On parle de race ici, or le sang ne saurait se convertir ! Un plébéien ne deviendra jamais un noble, encore plus pour Nietzsche qui a fait de la noblesse un idéal grandiose ! Bien sûr, à l'époque de Nietzsche seul reste l'idéal juif, l'antique combat racial entre aristocrates et plébéiens s'est transformé en guerre d'idéaux. Mais cela affaiblit tous les hommes !

* A l'inverse des antisémites de l'époque de Nietzsche, qui étaient bien embêtés avec cette histoire de race, puisqu'il leur fallait distinguer entre juifs et chrétiens, ils ont donc dû imaginer des généalogies complexes. Hitler n'avait pas ce problème, étant athée et anti-chrétien (comme Nietzsche). De plus, son imagination mythologique le mettait à part et le fait ressembler à un Gobineau, qui s'inventait des origines aryennes chez les Vikings.

Liber a écrit:
Le surhomme nietzschéen n'est pas davantage cette brute blonde aux traits martiaux représentée par l'iconographie nazie. Son surhomme ne possède en effet aucune caractéristique physique, si ce n'est ce que le philosophe appelle la "grande santé", laquelle ne consiste pas à faire des exercices physiques à l'aube après le lever du drapeau. Il s'agit avant tout d'une santé morale, c'est-à-dire selon le paradoxe nietzschéen classique, une anti-moralité, une autre évaluation de la morale que le surhomme oppose à celle du Bien et du Mal.
D'accord, mais je note avec amusement que vous ne nous parlez plus du côté guerrier de Nietzsche. Laissé tel quel, l'immoralisme pourrait conduire au simple libertarianisme.

Euh... non. Bien et Mal sont remplacés par Bon et Mauvais. Repensez à ce que dit Nietzsche de la façon dont le mauvais est vu par le bon, et combien de fois il est passé au fil de l'épée dans l'époque héroïque (un fantasme nietzschéen bien sûr).

Il y a quelque chose de sublime dans la lutte d'un homme avec lui-même, avec le monde ou avec Dieu. La pitié, notamment, me semble tout ruiner.

Vous avez la première partie de votre phrase chez Schopenhauer, quant à la pitié, elle ne ruine rien du tout, c'est au contraire elle qui apporte le sublime que vous semblez aimer dans le christianisme. A moins que vous ne vous voyiez, vous aussi, comme seul au monde. ;)

Liber a écrit:
Chez Wolfram, le Graal est gardé par des Templiers, la source de son livre est la Provence, le pays d'où est originaire la gaya sienza, le "gai savoir", celui des esprits libres, les futurs disciples de Nietzsche !
Templiers qui ne sont pas des brutes sanguinaires.

Ici, je ne faisais pas allusion aux guerriers templiers, mais au graal lui-même, à savoir que ce serait la pierre philosophale, non le sang du Christ qui apporte la rédemption. Marc Sautet, auquel j'emprunte cette idée, fait un parallèle entre le Graal et l'Eternel Retour, puisque le Gai savoir date de la période de Parsifal et que Nietzsche se doit de réagir face à l'opéra, or il va le faire avec cette idée de l'Eternel Retour.

Liber a écrit:
Rappelons brièvement que Wagner devint végétarien suite à son quasi bouddhisme, influencé par la pensée schopenhauérienne.
Voilà pourquoi je ne ferai jamais confiance à tous ces hommes-là. Des misanthropes qui préfèrent se donner bonne conscience par des moyens détournés.

Oui mais pas tous ! Wagner en particulier, qui était un tendre comme Nietzsche, y croyait vraiment. Parsifal tente de donner une réponse à tout ce sang versé dans l'histoire, et seul à ses yeux le Christ peut nous en laver. Horreur pour Nietzsche (et pour Gobineau) de voir son ancien ami tomber là-dedans !

Liber a écrit:
Nietzsche voulut l'imiter mais n'y parvint pas, car, à cause de ses troubles digestifs, il se nourrissait beaucoup de lait et de viande.
Ça marche vraiment comme régime ?

En tous les cas, les fibres le mettaient à la torture. Ce n'était pas un régime en réalité, mais les seules choses qu'il pouvait manger. Heureusement, il adorait paraît-il la charcuterie (Janz dit qu'il était un "grand saucissonnier", mais je rajoute, "avec un verre d'eau", ce qui est bien dommage ).

Comment peut-on se refuser une délicieuse viande bien saignante ? :lol:

J'ai horreur de ça ! Je préfère de loin le poisson. Par contre, je mange volontiers le sang dans le boudin, par exemple. C'est une question de nerfs, semble-t-il. La vue du sang fait s'évanouir certaines personnes.

descriptionWagner, Nietzsche et Hitler EmptyRe: Wagner, Nietzsche et Hitler

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Liber a écrit:
Avez-vous vu le dernier film sur Hitler diffusé par France 2 cette semaine ? Si tel est le cas, vous aurez constaté combien Wagner était associé à Hitler, sans du reste aucune explication sur le compositeur ou ses œuvres.
Pour ma part, je l'ai regardé avec une certaine résignation plutôt qu'avec indulgence. Il faut se résoudre à admettre qu'avec toutes les images d'archives inédites qu'on voudra, on ne pourra jamais faire de l'histoire avec un documentaire. Même le meilleur des montages ne saurait remplacer le récit de l'historien : celui-ci (re)construit l'histoire quand celui-là est la construction d'un film, toujours peu ou prou fermé sur lui-même. L'association entre Hitler et Wagner par le seul intermédiaire de Winifred en est l'exemple. Combien savent vraiment ce que représente Bayreuth ? L'équipe de la réalisation était confrontée à la limite matérielle de son film : entrer dans le détail, ce qui revenait à un détour si long que le film en devenait impossible ; céder aux raccourcis, à l'impératif métonymique de toute image. On voit bien que les ouvrages de Brigitte Hamann ont servi de base de travail. Mais combien de téléspectateurs ont fait le rapprochement ? Encore un coup à (ré)humaniser Hitler, à renforcer son pouvoir de fascination chez les personnes les moins averties d'un côté ; à déshumaniser ceux qui inventent la "culture" de l'autre. Il y a peut-être plus qu'un effet pervers dans la récurrence de ce phénomène.

Liber a écrit:
Généralement, quand nous cherchons quels sont les rapports entre Hitler et les grands intellectuels de l'Allemagne, nous tombons en premier lieu sur Nietzsche et Wagner.
J'ai l'impression, sans en être certain, que cela se produit et se produira de moins en moins avec Nietzsche, et de plus en plus avec Wagner.

Liber a écrit:
chercher à savoir ce que Wagner et Nietzsche ont à voir exactement avec Hitler.
Rien. On ne pourrait pas même les considérer comme des sources probantes ou vraisemblables de la "pensée" de Hitler. C'est accorder un succès, une audience et même une autorité excessive et délirante à Nietzsche et à Wagner que d'y chercher les origines, le fondement et le fonds où puisaient Hitler et sa basse-cour pour vociférer leurs oraisons. Nous commettons avec lui la même erreur que commettait Halifax avec Churchill, qu'il ne comprenait pas parce qu'il le jugeait en fonction de la seule rationalité. Hitler allait-il à l'Opéra ? Al Capone aussi. Wagner l'a-t-il subjugué ? Il en a subjugué des milliers. Hitler avait-il des référents culturels ? Qui n'en a pas ? Qu'est-ce qui distingue Hitler des autres Allemands de son temps ? Pas les référents culturels, mais Hitler lui-même : un quiconque d'une grande médiocrité qui n'avait pas d'idées, mais qui était les idées qui l'habitaient, qui a sombré très tôt dans les affres du mimétisme narcissique, qui avait un besoin viscéral, maladif, incurable, de s'identifier à des choses qui ne relèvent que du fantasme et que Wagner, c'est vrai, contribue beaucoup plus que d'autres musiciens à intensifier au point que certains émotifs ou certains sensibles ont du mal à s'en défaire.

Venons-en au cas Wagner. Je me contenterai d'être strictement subjectif, en étayant mon avis sur certains propos de Nietzsche, dont je crois qu'il faut prendre beaucoup plus au sérieux qu'on ne le fait souvent ce qu'il dit de Wagner lorsqu'il s'en sépare. Il permet de comprendre, me semble-t-il, que ce n'est pas l'antisémitisme de Wagner qui pourrait contribuer à une quelconque intelligence d'Hitler ou des nazis, mais l'art total, où l'on trouve beaucoup plus que les germes de l'hubris moderne. La "mélodie continue", infinie, de Wagner est un « polype musical », disait Nietzsche. Je ne vois pas là seulement une méchante métaphore contre Wagner, j'ai la conviction de lire une vérité qui condense ce qui le caractérise : « brutal, artificiel et "naïf"». « S'attacher à Wagner, cela se paie cher ». Que de bonnes raisons Nietzsche avait-il d'affirmer cela sous la forme d'une anaphore qui roule un tambour libérateur et qui entonne un : « Du libérateur, enfin délivrés ! » Je connais mal Wagner, et même très mal, mais le peu que j'en connais me l'a toujours désigné comme un ennemi. Quel iconoclaste pourrait supporter sa musique ? Il m'a toujours semblé impossible de l'écouter ; il représente à mes oreilles ce qui, par excellence, sonne faux ; je n'entends chez lui que de l'autosuggestion ; je n'y trouve qu'une surabondance d'artifices qui n'ont d'autre fonction que de me dicter ce que je dois penser. Ça pense à ma place. Ça ressemble à une prothèse de luxe pour qui n'a aucune volonté, pour qui n'attache aucun prix à la liberté, pour qui ne respire pas. Je juge Wagner comme un barbare endimanché, qui n'a guère que la grandiloquence, l'emphase, l'amplification, pour donner le change, pour faire accroire à une quelconque consistance de son œuvre. Il remplace les apparences de ce qui est par l'artifice de ce qui n'est pas. Il est fait pour « la prétention du profane, de l'imbécile qui se mêle d'art ». « Le théâtre est une forme de "démolâtrie" en matière de goût, le théâtre est une levée en masse, un plébiscite contre le bon goût... » (Notez les 3 formes que choisit Nietzsche pour désigner le peuple : demos, masse et plèbe...). Wagner et Hitler ?
S'attacher à Wagner, cela se paie cher. Qu'advient-il alors de l'esprit ? Wagner libère-t-il l'esprit ? Sa force, c'est l'équivoque, le "double sens", tout ce qui persuade les hésitants sans leur faire clairement comprendre de quoi ils sont persuadés. En cela, Wagner est un séducteur de grande classe. Il n'est, dans les choses de l'esprit, rien de las, d'exténué, rien qui présente un danger mortel et dénigre le monde, que son art ne défende en secret. ― C'est le plus sombre obscurantisme qu'il cache dans les voiles lumineux de l'Idéal. Il flatte tous les instincts nihilistes (bouddhistes) et les travestit en musique, il flatte toute forme de christianisme, toute forme religieuse qui exprime la décadence. Qu'on ouvre bien les oreilles : tout ce qui a jamais poussé sur le terrain de la vie appauvrie, la grande imposture de la transcendance et de l'au-delà, a trouvé dans l'art de Wagner son plus sublime avocat : et ce, non en formules ― Wagner est trop intelligent pour s'exprimer en formules ―, mais en s'adressant à la sensualité, qui, à son tour, épuise et brise l'esprit. La musique, nouvelle Circé... Sa dernière œuvre est, sous ce rapport, son plus grand chef-d'œuvre. Parsifal gardera toujours sa place dans l'histoire de la séduction, celle d'un coup de génie dans l'art de séduire... J'admire cette œuvre, je voudrais l'avoir faite. A défaut, je la comprends... Wagner n'a jamais été mieux inspiré qu'à la fin. Le raffinement dans l'alliance de la beauté et de la maladie y va si loin qu'il jette presque une ombre sur les débuts de l'art wagnérien : ceux-ci paraissent presque trop lumineux, trop sains. Comprend-on cela ? La santé, la clarté qui font figure d'ombre au tableau ? Presque de défaut ? Faut-il que nous soyons déjà de purs niais... Jamais il n'y eut plus grand maître en matière de parfums lourds et hiératiques, jamais meilleur connaisseur de tous les infimes infinis, de tous les frémissements, de toutes les transes, de tous les féminismes que contient le lexique dialectal du bonheur ! Buvez donc, mes amis, buvez les philtres de cet art ! Nulle part vous ne trouverez plus agréable moyen de vous épuiser nerveusement l'esprit, d'oublier votre virilité sous un buisson de roses... Ah, le vieux sorcier ! Klingsor de tous les Klingsors ! Comme, en cela, il nous fait la guerre, à nous, les esprits libres ! Comme, de ses accents de sirène, il sait plier à sa guise toutes les lâchetés de l'âme moderne ! Jamais il n'y eut haine plus mortelle de la connaissance ! [...]

S'attacher à Wagner, cela se paie cher. J'observe les jeunes gens qui ont été longtemps soumis à cette contagion. Le premier effet, relativement anodin, est la dépravation du goût. Wagner produit le même effet que l'ingestion réitérée d'alcool. Il engourdit, il alourdit l'estomac. [...]. Beaucoup plus grave est la corruption des idées. L'adolescent dégénère en crétin ― en "idéaliste". Il est bien au-dessus de la science : en cela, il est au niveau du Maître. Par contre, il joue les philosophes, il rédige les Bayreuther Blätter : il résout tous les problèmes au nom du Père, du Fils et Saint "Esprit wagnérien". Mais, ce qui est le plus inquiétant, c'est la perversion des nerfs. Que l'on parcoure une ville le soir : partout on y entend des instruments violés avec une fureur solennelle ― et il s'y mêle un hurlement sauvage [...].
Je vois là une prophétie, qui va dans le sens que vous dites ci-dessous, mais il me semble que vous n'allez pas assez loin.
Liber a écrit:
Hitler adorait Wagner, mais il ne faut pas oublier la force d'exaltation contenue dans cette musique, au grand pouvoir de fascination, un pouvoir proche de l'hypnose. Elle peut être tour à tour assoupissante ou énergisante, et donc au final, énervante. Nietzsche qui l'a aussi critiquée dans ce sens en a subi toute sa vie la domination. L'ouverture de Parsifal, qu'il affecte de mépriser, l'a profondément troublé (bien que ce fut après 10 ans de diète wagnérienne forcée et à une époque où ses nerfs étaient à vif). On sait l'effet qu'elle fit sur Louis II de Bavière. Plus généralement, cela est peut-être dû à l'imagination mythique de ces hommes. Il est curieux de constater à quel point le mythe était en vogue à cette époque, une sorte de réaction au romantisme finissant, un hyper-romantisme dont Hitler est sans doute l'un des derniers dépositaires.


Liber a écrit:
Que pensait Wagner du christianisme ? Nous avons vu que Nietzsche, en remontant à l'histoire du peuple juif, faisait du christianisme un avatar de ce peuple, mais cela était-il le cas pour Wagner ? La réponse se trouve dans Parsifal. Ce drame raconte l'histoire du Saint Graal. Wagner y abandonne les grands thèmes nationalistes allemands pour mettre en scène un des mythes du christianisme. Après la soif de liberté et d'amour de ses héros, voilà maintenant que Wagner se schopenhauérise. Il se radicalise, finis l'amour et la liberté, place à la pitié et à la pureté virginale, à la sainteté. Nietzsche ne s'est jamais remis de ce revirement.
Je crois que c'est encore pire qu'un revirement pour Nietzsche, c'est toute l'œuvre de Wagner enfin révélée dans ce qu'elle est vraiment.

Pour le reste, on ne doit pas oublier l'assimilation que fait Hitler entre bolchévisme et judaïsme.

Vous les avez probablement lus, mais on peut lire utilement, de Lionel Richard, Le Nazisme et la culture ; de Brigitte Hamann, Hitler's Vienna et Éric Blondel, « L'humilité, masque de la haine. Nietzsche contre les "chrétiens" ».

Silentio a écrit:
En gros, cette histoire devenait malgré tout un plaidoyer pour la démocratie, mettant en avant le peuple martyr face à l'intelligence démoniaque d'un seul homme (bien qu'au fond leur relation ait été plus complexe). Certes, la première partie pouvait montrer la bêtise de la masse, toutefois la responsabilité de tout cela était imputée à Rienzi, alors même que la masse avait surtout été victime d'elle-même. C'est elle qui avait vu en Rienzi un sauveur et l'avait placé à la tête de l'État. Mais c'est lui qui utilisa cette légitimité et ce pouvoir pour manipuler son peuple et sous-prétexte de lui apporter une régénération lui ôta bien des choses dont la plus précieuse était la liberté. C'est donc le grand homme qui était un danger pour la démocratie et pour le peuple. Le metteur en scène insistait, si je me souviens bien, sur le fait que Wagner à cette époque était un partisan de la démocratie.
Ça sent l'exorcisme. Énième illustration de la difficulté peut-être insurmontable qu'ont les Allemands à digérer leur passé.

Silentio a écrit:
Bien entendu, ce furent les chrétiens qui firent tomber Rome. [...]. Est-ce d'ailleurs le christianisme qui a fait tomber la Rome chrétienne ? N'y a-t-il pas des divisions politiques, de l'instabilité économique ? Pourquoi les peuples chrétiens auraient-ils été nécessairement faibles si le pouvoir avait été unifié ? Que disent les historiens ?
Avant même que Constantin ne fasse du christianisme la religion officielle, le christianisme était devenu, de fait, sinon la religion la plus répandue, du moins la plus répandue après le mithracisme et les monothéismes païens, qui préparaient ou facilitaient le christianisme. La chute de Rome est multifactorielle (démographie en berne, effectifs militaires insuffisants, etc.), et puis, après tout, si Odoacre avait accepté la proposition du Sénat, qui le nomma Empereur, la fiction eût été prolongée, sachant que la civilisation romaine, comme telle, meurt au IIIe siècle. Ce qui commence alors, c'est l'héritage de Rome, qui a déjà bien des allures de ce que sera le moyen âge, au moins jusqu'à la renaissance carolingienne.

Liber a écrit:
Janz dit qu'il était un "grand saucissonnier", mais je rajoute, "avec un verre d'eau", ce qui est bien dommage
Quoi ? Nietzsche ne coupait pas son eau avec du vin ? Quel scandale ! [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]

descriptionWagner, Nietzsche et Hitler EmptyRe: Wagner, Nietzsche et Hitler

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Euterpe a écrit:
L'association entre Hitler et Wagner par le seul intermédiaire de Winifred

Je pense que ce silence sur la véritable utilisation de Wagner était volontaire, parce que Wagner représente encore aux yeux de beaucoup de Juifs la musique des camps de concentration. Il est encore beaucoup trop connoté pour qu'une autre vision de lui soit possible chez la masse.

Liber a écrit:
Généralement, quand nous cherchons quels sont les rapports entre Hitler et les grands intellectuels de l'Allemagne, nous tombons en premier lieu sur Nietzsche et Wagner.
J'ai l'impression, sans en être certain, que cela se produit et se produira de moins en moins avec Nietzsche, et de plus en plus avec Wagner.

C'est possible. Wagner a plusieurs handicaps : il ne pourra jamais se défendre, il n'était pas un grand écrivain, seuls les amateurs lisent ses livres, d'ailleurs peu traduits, on peut tout faire dire à la musique, ses critiques antisémites, même légères, peuvent être assimilées aux pires atrocités nazies, la proximité de sa famille avec Hitler, sa solitude à l'égard de toute institution officielle (on sait combien ces milieux sont importants quand il s'agit de laver plus blanc que blanc). Nietzsche a plusieurs avantages : il a été récupéré par la pensée de gauche et officiellement blanchi par le milieu universitaire, ses quelques phrases où il fustige les antisémites font contrepoids au reste de ses accusations envers les Juifs, comme elles condamnent Wagner (en somme, il vaudrait mieux dire des choses affreuses dans des théories complexes plutôt que des choses sans importance avec simplicité, car les esprits simples, la majorité, ne retient que ce qu'elle peut), le Nietzsche Archiv a été dissous, tandis que Bayreuth est toujours debout, comme un rappel de l'histoire, la soeur de Nietzsche est passée aux oubliettes en même temps que le Nietzsche Archiv où elle offrit la canne du philosophe à Hitler. Mais cela étant dit, Wagner a toujours eu un côté sulfureux, bien avant l'apparition du nazisme. C'est une part importante de sa personnalité, que Nietzsche lui enviait beaucoup, lui le rigide professeur qui faisait sourire Cosima dans son Journal.


Liber a écrit:
chercher à savoir ce que Wagner et Nietzsche ont à voir exactement avec Hitler.
Rien. On ne pourrait pas même les considérer comme des sources probantes ou vraisemblables de la "pensée" de Hitler. C'est accorder un succès, une audience et même une autorité excessive et délirante à Nietzsche et à Wagner que d'y chercher les origines, le fondement et le fonds où puisaient Hitler et sa basse-cour pour vociférer leurs oraisons.

Les citations que j'ai données plus haut sont vraiment très parlantes pour qui connaît les livres de Nietzsche. On peut voir comment Hitler a grossièrement simplifié les thèses de la Généalogie de la morale :
« Le Führer est profondément religieux, bien que totalement anti-chrétien ; il voit le christianisme comme un symptôme de décadence. Et pour cause, c’est une branche de la race Juive. » — Joseph Goebbels, dans son journal, 28 décembre 1939.
« Le christianisme est le prototype du Bolchévisme : la mobilisation des masses d’esclaves par les Juifs avec pour objectif d’ébranler la société. » — Adolf Hitler, 1941

A rapprocher de la première dissertation.

« Le peuple allemand, en particulier la jeunesse, a appris une fois encore à évaluer racialement les gens. Il s’est une fois encore détourné des théories chrétiennes, de l’enseignement chrétien qui a régi l’Allemagne depuis plus de mille ans et qui a causé le déclin racial de l’identité allemande, et presque sa mort raciale. » — Heinrich Himmler, le 22 mai 1936 lors d’un discours à Brocken, Allemagne.

Voir l'Antéchrist, en particulier le rôle joué par Luther contre la romanisation de l'Allemagne.

Venons-en au cas Wagner. Je me contenterai d'être strictement subjectif, en étayant mon avis sur certains propos de Nietzsche, dont je crois qu'il faut prendre beaucoup plus au sérieux qu'on ne le fait souvent ce qu'il dit de Wagner lorsqu'il s'en sépare.

Parlez-vous du moment réel de la séparation, ou de la séparation plus tardive qui aura lieu dans son esprit ? Car, au moment où Nietzsche fuit l'Allemagne et les cercles wagnériens, il n'est pas en mesure de critiquer Wagner, il n'a pas les arguments, sa philosophie est encore embryonnaire. Dans ce qui suit, je vais tâcher de défendre Wagner, ne serait-ce que pour montrer la réversibilité des arguments de Nietzsche. Vous trouverez beaucoup mieux chez Janz, qui était musicologue, ainsi que sur les théories de Nietzsche concernant la musique en général, y compris celles, philologiques, sur la métrique grecque.

Il permet de comprendre, me semble-t-il, que ce n'est pas l'antisémitisme de Wagner qui pourrait contribuer à une quelconque intelligence d'Hitler ou des nazis, mais l'art total, où l'on trouve beaucoup plus que les germes de l'hubris moderne.

Oui, mais attention, l'art de Wagner se déploie aussi, et Nietzsche l'a très bien remarqué (il n'est pas à une contradiction près), dans l'infiniment petit. C'est un art d'une extraordinaire finesse, d'un raffinement tout mozartien. Mozart et sa musique "méditerranéenne" a été l'idéal de Nietzsche, au point de proposer au cercle wagnérien un médiocre compositeur (son secrétaire, qu'il avait surnommé Gast) qu'il compare à Mozart, ce qui les fit bien rire. Il est étrange de constater à quel point Nietzsche est resté à l'écart de la musique de son époque, là où Wagner a tant influencé les compositeurs qui l'ont suivi.

Quel iconoclaste pourrait supporter sa musique ? Il m'a toujours semblé impossible de l'écouter ; il représente à mes oreilles ce qui, par excellence, sonne faux ; je n'entends chez lui que de l'autosuggestion ; je n'y trouve qu'une surabondance d'artifices

Pourtant, le principe du leitmotiv oblige l'auditeur à une grande attention. Quelle finesse d'écoute ne faut-il pas pour repérer les modifications des leitmotivs qui évoluent presque à l'infini pour décrire les émotions qui transfigurent les personnages ? C'est là que Wagner nous montre son talent dans l'infiniment petit, faisant de ses grands drames de 4 ou 5 heures de la musique de chambre. On peut bien sûr reprendre une autre critique de Nietzsche sur la volonté qu'il exige de l'auditeur de le suivre dans son art. Mais enfin bon, toute oeuvre d'art qui se respecte exige une grande attention. Il faut se souvenir qu'avant Wagner, on discutait de tout et de rien dans les loges en attendant les trois airs qui faisaient la réputation d'un opéra. Cela fut même à l'origine du scandale de Tannhauser, Wagner ayant déplacé le ballet à l'heure du dîner, empêchant leurs protecteurs de voir s'ébattre ces demoiselles entretenues !

« Le théâtre est une forme de "démolâtrie" en matière de goût, le théâtre est une levée en masse, un plébiscite contre le bon goût... » (Notez les 3 formes que choisit Nietzsche pour désigner le peuple : demos, masse et plèbe...).

Etonnante critique pour quelqu'un qui a commencé sa carrière par une étude sur le théâtre grec et qui voulait précisément sauver le peuple du pessimisme moderne par l'art wagnérien, résurgence de la grande tragédie antique.

En cela, Wagner est un séducteur de grande classe. Il n'est, dans les choses de l'esprit, rien de las, d'exténué, rien qui présente un danger mortel et dénigre le monde, que son art ne défende en secret. ― C'est le plus sombre obscurantisme qu'il cache dans les voiles lumineux de l'Idéal. Il flatte tous les instincts nihilistes (bouddhistes) et les travestit en musique, il flatte toute forme de christianisme, toute forme religieuse qui exprime la décadence.

Cette critique ne peut viser avec justesse que Parsifal, même dans l'esprit de Nietzsche. Les personnages de Wagner luttent contre un monde qui s'oppose à leur idéal auquel ils se dévouent jusqu'à la mort. Nietzsche admira beaucoup cette force intime ! N'était-il pas lui-même un de ces personnages wagnériens, qui cherchent "dans leur plus profond désespoir leur espoir le plus invicible" ?

Je crois que c'est encore pire qu'un revirement pour Nietzsche, c'est toute l'œuvre de Wagner enfin révélée dans ce qu'elle est vraiment.

Non, je ne pense pas. Nietzsche écrit dans un de ses carnets (je crois), que c'est Cosima qui l'a conduit au pied de la croix. Parsifal est une étrangeté dans l'art wagnérien, on se demande pourquoi il a écrit cette oeuvre. Nietzsche, bien qu'il semble si sûr, ne l'est pas du tout ! Il fait un long aparté dans la troisième dissertation de la Généalogie où il prend le contrepied du passage que vous citez. Il aurait voulu que Wagner terminât sa carrière par un projet (qu'on n'a jamais retrouvé) des Noces de Luther ! Pourquoi ce niais de la campagne ? Wagner, conformément à toute sa vie, devait finir sur un éloge de la sensualité, et non de la chasteté ! Seule réponse possible aux yeux de Nietzsche : c'est Cosima qui l'a conduit jusque-là !

Ça sent l'exorcisme. Énième illustration de la difficulté peut-être insurmontable qu'ont les Allemands à digérer leur passé.

Oui, exactement ! Alors que les mélomanes du monde entier écoutent Wagner avec insouciance.
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